Avant les ordonnances Macron de 20171 , la notion de groupe de sociétés en matière de licenciement économique résultait des seules définitions prétoriennes.
Les juges circonscrivaient le périmètre d’appréciation de la cause économique du licenciement au niveau du secteur d’activité du groupe, et procédaient de même concernant le périmètre de reclassement dans le groupe des salariés impactés par le projet de licenciement pour motif économique.
Poursuivant un objectif de sécurisation de la rupture du contrat de travail, la réforme opérée par les ordonnances Macron a consacré et codifié une définition qui se veut unifiée de la notion de « groupe » pour la mise en œuvre du licenciement pour motif économique.
La confrontation des solutions prétoriennes avec celles résultant désormais des textes montre que le changement n’est pas radical, et l’unification demeure inachevée.
Les « groupes de sociétés » selon la jurisprudence : motif et reclassement.
Pour apprécier le périmètre de la cause économique du licenciement, la Cour de cassation définissait le groupe d’une manière extensive.
Elle procédait par renvoi aux dispositions du Code du travail relatives au Comité de groupe, instance représentative visant à assurer aux représentants du personnel des entreprises qui le composent une information concernant l’activité, la situation financière, ainsi que l’évolution et les prévisions de l’emploi au niveau du groupe et de chacune des entreprises. Ce renvoi n’était toutefois que partiel puisque la Cour précisait qu’il n’y avait pas lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national, au contraire des dispositions relatives au Comité de groupe précisant que le siège social de l’entreprise dominante du groupe doit être situé en France.
La Cour de cassation considérait en effet que « le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national » (Cass. Soc. 16 novembre 2016, n°14-30063).
En renvoyant aux dispositions relatives au Comité de groupe, la Cour de cassation renvoyait indirectement, par le jeu du premier alinéa de l’article L.2331-1 du Code du travail, à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L.233-16 du Code de commerce, qui définissent le groupe au regard de la détention de parts dans le capital, de droits de vote ou encore de l’influence dominante exercée sur une entreprise en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires, mais également, par le jeu du second alinéa de l’article L.2331-1 du Code du travail, à la notion d’influence dominante dans le cadre d’un même ensemble économique, dès lors que l’entreprise dispose au moins de 10 % du capital d’une autre entreprise, « lorsque la permanence et l’importance des relations de ces entreprises établissent l’appartenance de l’une et de l’autre à un même ensemble économique ».
Pour apprécier ensuite le périmètre de reclassement au sein du groupe en cas de licenciement pour motif économique, la Cour de cassation énonçait que « cette pertinence doit s’apprécier parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel […] » (Cass. Soc. 16 nov. 2016, n°15-15190 et suivants).
La Chambre sociale distinguait ainsi le périmètre du groupe pour l’appréciation du motif économique du licenciement, opérée sous l’angle de considérations de contrôle ou d’influence dominante, du périmètre retenu pour l’appréciation du groupe de reclassement, opérée sous l’angle de la permutabilité du personnel entre des entreprises, compte tenu de leurs activités, de leur organisation ou de leur lieu d’exploitation.
Dès lors, les juges retenaient une approche extensive du groupe de reclassement autour du critère central de la permutabilité des salariés, sans caractériser plus avant la nature des relations entre les entreprises.
Maintien des solutions antérieures ?
Désormais, depuis la réforme opérée par les ordonnances Macron, la notion de groupe au sens du licenciement économique est définie par renvoi direct aux dispositions précitées du Code de commerce.
S’agissant de l’appréciation du périmètre de la cause économique du licenciement, l’article L.1233-3 du Code du travail dispose que « la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce. »
Cette notion de groupe est reprise en des termes identiques, s’agissant de l’appréciation du périmètre de reclassement des salariés impactés par un licenciement économique, à l’article L.1233-4 du Code du travail, tout en maintenant expressément dans la loi le critère de la permutation des salariés au sein du groupe ainsi identifié.
Au contraire des affirmations d’une partie de la doctrine, ce nouveau renvoi direct aux dispositions du Code de commerce ne correspond pas à une approche exclusivement capitalistique du groupe, dans la mesure où les dispositions de l’article L.233-16 du Code de commerce hors tout lien capitalistique font expressément référence à la notion d’influence dominante.
D’ailleurs, ni le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ni celui relatif à l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 ne font état de la volonté de procéder à une définition capitalistique du groupe2 .
Cette même définition (par renvoi) du groupe a également été consacrée par les ordonnances susvisées en matière de reclassement du salarié en cas d’inaptitude non professionnelle et d’inaptitude professionnelle (articles L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail).
Il n’en demeure pas moins que, là où le Code du travail permettait de reconnaître un groupe de façon extrêmement large, par référence à la notion d’influence dominante dans le cadre d’un même ensemble économique, les dispositions du Code du commerce se réfèrent, de manière plus exigeante, à la notion d’influence dominante en vertu d’un contrat ou des statuts. On glisse ainsi d’une notion très large, car factuelle, à une notion plus encadrée, supposant une influence dominante en raison d’un acte juridique.
La jurisprudence seule pourra dire si elle entend alors restreindre les hypothèses d’influence dominante, en requérant la preuve d’un rapport contractuel avec plus ou moins de précision ; ou si, demeurant dans la logique de fait, elle accepte la qualification d’une influence dominante avec un contrat qualifié de manière souple (non formalisé, par exemple).
Le renvoi direct aux dispositions du Code de commerce entraîne donc bien un rétrécissement de la notion de groupe, en exigeant a minima un filtre contractuel ou statutaire, et non plus une simple constatation de fait.
Ainsi, les ordonnances font coexister différentes définitions légales du groupe dans le Code du travail, étant précisé qu’il existe également une définition du groupe aux fins de mise en place de l’épargne salariale prévue par l’article L.3344-1 du Code du travail. L’apport n’est pas à dédaigner toutefois en « mettant du droit » là où régnait le fait, insufflant, on peut l’espérer en pratique, de la sécurité juridique.
Si elle a eu le mérite de codifier la notion de groupe utilisée en matière de licenciement pour motif économique et pour inaptitude, la réforme du droit du travail par voie d’ordonnances ne simplifie pas véritablement la notion de groupe, ce qui limite la sécurisation recherchée.
1 Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail (JO du 23 septembre 2017) et ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (JO du 21 décembre 2017), ratifiées par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 (JO du 31 mars 2018)
2 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, JORF n°0223 du 23 septembre 2017 texte n° 32, et rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, JORF n°0297 du 21 décembre 2017 texte n° 45