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Pas de correction symétrique des bilans en cas d’erreur délibérée

Dans une affaire très singulière dans le cadre de laquelle elle fait jouer la théorie des apparences, la CAA de Paris vient rappeler qu’un contribuable ne peut revendiquer le bénéfice de la correction symétrique des bilans en cas d’erreur délibérée.

Rappel

On sait que les erreurs ou les omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d’un exercice qui entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l’actif net peuvent, à l’initiative du contribuable qui les a involontairement commises ou à celle de l’Administration, être réparées dans ce bilan.

Lorsque les mêmes erreurs ou omissions se retrouvent dans les écritures de bilan des exercices antérieurs, elles doivent être symétriquement corrigées, pour autant que l’Administration n’établisse pas qu’elles revêtent, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré.

Ce jeu des corrections symétriques des bilans est toutefois limité par la règle dite de l’intangibilité du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit (CGI, art. 38, 4 bis). Cette règle a pour effet de limiter la portée de la correction symétrique des bilans et de permettre ainsi au service vérificateur de procéder à des rehaussements de bénéfices au titre du 1er exercice non prescrit à raison d’erreurs qui peuvent avoir été commises au cours d’un exercice prescrit.

Ce principe comporte néanmoins des exceptions. En particulier, il ne s’applique notamment pas lorsque l’entreprise établit que les erreurs ou omissions à l’origine de l’insuffisance d’actif net ont été commises plus de 7 ans avant l’ouverture du 1er exercice non prescrit, soit depuis plus de 10 ans, si l’on ajoute les 3 ans couverts par la prescription abrégée en matière d’impôt sur les sociétés (exception dite du « droit à l’oubli »).

Cette exception, qui ne joue pas pour les erreurs volontaires exclusives de bonne foi (CE (na) 25 juillet 2013, n°365679), s’exerce aussi bien lorsque l’erreur affecte un élément de l’actif que du passif du bilan.

L’histoire

Les faits de l’espèce, assez complexes, peuvent être simplifiés et synthétisés de la sorte.

En 2001, une société française constitue, avec une entreprise chinoise, 2 JV de droit chinois.

En réalité, la société française n’était pas la propriétaire effective des parts de ces JV, dans la mesure où elle avait conclu, avec une société de droit gibraltarien, 2 conventions de portage par lesquelles elle s’était engagée, en qualité de mandataire occulte de ladite société, à détenir facialement les parts et à reverser au véritable propriétaire toutes les sommes lui revenant à raison de la détention de ces parts.

En 2010, la société française a procédé à l’acquisition des titres des 2 JV auprès de la société de droit gibraltarien, mettant fin aux conventions de portage.

A l’occasion d’une plainte déposée contre la société française pour faux et usage de faux, publication et présentation de comptes inexacts devant le juge judiciaire, l’Administration a eu connaissance d’un certain nombre d’informations – et notamment, de l’absence de déclaration par la société française de sommes versées à la société gibraltarienne, à raison notamment de l’acquisition des titres des 2 JV, ce qui lui a permis de bénéficier du délai spécial de reprise prévu à l’article L. 188 C du LPF (délai de prescription décennal applicable en cas d’omissions révélées par une procédure judiciaire).

Elle a considéré que les sommes en question devaient être regardées comme présentant la nature d’un avantage occulte au sens de l’article 111 c, soumises de surcroît à la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI, dès lors que cet avantage a été consenti à une société étrangère.

La décision de la CAA de Paris

La CAA de Paris juge que la société française ne peut pas, pour contester le redressement, faire valoir qu’elle n’était pas le propriétaire réel des parts des JV chinoises, « compte-tenu de la situation juridique apparente » que la société a elle-même créée, en se présentant aux yeux des tiers et notamment à ceux de l’administration fiscale comme le propriétaire des parts litigieuses depuis 2001.

Elle en conclut que l’Administration pouvait bien maintenir les redressements sur le terrain des articles 111 c et 119 bis, 2 du CGI, en s’en tenant à l’apparence créée par la société, dès lors qu’elle a entendu conserver un caractère occulte aux éléments dont elle se prévaut en appel, faute d’en avoir révélé l’existence dans ses déclarations fiscales des années d’imposition en litige (en ce sens, CE, 20 février 1974, n°83270, CE, 8 mars 2004, n°248094 – il résulte d’une jurisprudence constante que l’Administration peut opposer au contribuable l’apparence qu’il entretient si sa situation réelle est réputée occulte à l’égard des tiers et si elle n’a pas été portée à la connaissance de l’Administration).

La société a alors tenté, à titre subsidiaire, de bénéficier du mécanisme de la correction symétrique des bilans.

En effet, l’Administration avait réintégré, au bilan de clôture de l’exercice clos en 2010, la somme versée à la société de droit gibraltarien et réputée correspondre au prix d’acquisition des parts litigieuses.

La société faisait valoir que si elle devait effectivement être réputée propriétaire de ces parts depuis 2001, l’Administration devait, en cohérence, modifier de manière symétrique le bilan d’ouverture de l’exercice 2010, ce qui neutraliserait la variation d’actif net constatée.

La Cour relève toutefois que le choix effectué par la société de ne pas inscrire à son bilan les titres des JV de droit chinois, alors qu’elle s’est présentée comme la propriétaire de ces titres depuis 2001, revêt un caractère délibéré, faisant obstacle à ce qu’elle puisse demander le bénéfice de la correction symétrique des bilans.

Elle précise qu’est sans incidence le fait que le choix de la société française de ne pas inscrire à son actif les parts des JV chinoises aurait été motivé par des raisons commerciales vis-à-vis de ses partenaires étrangers. Rappelons que le Conseil d’Etat a déjà jugé, par le passé, que la circonstance que le but dans lequel l’écriture erronée a été délibérément réalisée n’ait pas été d’éluder l’impôt est sans incidence (CE, 12 mai 1997, n°160777).