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Précompte mobilier : Incompatibilité avec la directive mère-fille

Photo de la Cour de Justice de l'Union Européenne

La CJUE juge que l’ancien système du précompte mobilier n’est pas conforme à la directive mère-fille.

Pour mémoire, il résultait de l’articulation entre le régime des sociétés mères et de l’ancien système dit de « l’avoir fiscal et du précompte mobilier » que, lorsqu’une société mère française redistribuait à ses actionnaires les dividendes reçus de ses filiales françaises, il lui était permis d’affecter l’avoir fiscal attaché à la 1re distribution au paiement du précompte dû au titre de la redistribution. Si, en revanche, les dividendes faisant l’objet de la redistribution provenaient de ses filiales communautaires, une telle imputation était impossible, l’ancien article 158 bis du CGI n’attribuant l’avoir fiscal qu’aux dividendes distribués par des sociétés françaises.

La CJUE a dès lors jugé ces dispositions contraires aux libertés d’établissement et de circulation des capitaux prévues par les articles 49 et 63 du TFUE (15 septembre 2011, aff. C-310/09, Société Accor ; notamment réaffirmée dans la décision CJUE, 4 octobre 2018, aff. C‑416/17). La question de la compatibilité du précompte avec la directive mère-fille (directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990) n’avait toutefois pas encore été tranchée par la Cour.

L’histoire

Dans cette affaire, plusieurs sociétés mères françaises ont redistribué à leurs actionnaires, pendant la période comprise entre 2000 et 2004, des dividendes provenant de filiales établies dans d’autres États membres de l’UE et ont été assujetties au précompte mobilier à raison de ces distributions.

Devant les juridictions nationales, ces entreprises ont attaqué les commentaires administratifs correspondants, par la voie d’un recours pour excès de pouvoir, considérant que ceux-ci réitéraient les dispositions nationales instituant le précompte mobilier, elles-mêmes incompatibles avec la directive mère-fille (directive 90/435/CEE, dans sa version applicable à l’époque des faits).

Le Conseil d’État a donc saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de savoir si l’article 4 de la directive mère-fille, compte tenu notamment de son article 7 § 2, fait obstacle à une disposition nationale qui prévoit, dans le cadre de la mise en œuvre d’un dispositif destiné à supprimer la double imposition économique des dividendes, un prélèvement lors de la redistribution par une société mère de bénéfices qui lui ont été distribués par des filiales établies dans un autre État membre de l’UE.

La décision de la CJUE

La Cour retient, en contradiction avec les conclusions de l’avocat général Juliane Kokott, la non-conformité de l’ancien précompte mobilier français à la directive mère-fille. Elle estime en effet que son article 4 § 1 « s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’une société mère est redevable d’un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales, donnant lieu à l’attribution d’un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n’ont pas supporté l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % » prévu par le second paragraphe de cet article.

Elle juge également que le système du précompte mobilier ne relève pas de l’article 7 § 2 de la directive. 

Sur l’interprétation de l’article 4 § 1 de la directive mère-fille

Pour rappel, lorsqu’une société mère reçoit des dividendes d’une de ses filiales, l’État membre de la société mère doit (sous réserve de l’imposition d’une QPFC, forfaitairement fixée à 5 %, directive 90/435/CEE puis 2011/96, art. 4 § 2) :

Après avoir relevé que le législateur français a opté pour le système d’exonération, la Cour constate que l’application du précompte était susceptible d’entrainer une imposition supérieure au plafond de 5 % des dividendes provenant d’un autre État membre, lors de leur redistribution. Elle juge donc que le dispositif du précompte mobilier est incompatible avec l’article 4 de la directive mère-fille.

Elle exclut en outre le recours au crédit d’impôt afin de remédier à cette incompatibilité – car il implique notamment l’introduction de nouvelles exigences et formalités non prévues par la directive mère-fille.

Sur l’interprétation de l’article 7 § 2 de la directive mère-fille

La Cour constate que l’ancien précompte mobilier était susceptible de soumettre les bénéfices perçus par une société mère française, de ses filiales établies dans un État membre, à une double imposition économique lors de leur redistribution. Par conséquent, elle exclut également l’application de l’article 7 § 2 de la directive mère-fille selon lequel cette directive ne saurait affecter « l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d’impôt aux bénéficiaires de dividendes ».

On notera, comme l’ont déjà précédemment souligné certains auteurs que « […] l’invocation d’une méconnaissance de cette directive est beaucoup plus efficace que celle des grandes libertés garanties par le droit primaire de l’Union : elle permet d’obtenir une restitution complète du précompte, et non simplement l’application d’un mécanisme destiné à supprimer les différences de traitement fiscal entre les dividendes distribués par les filiales établies en France, d’une part, et ceux distribués par des filiales d’autres États membres, d’autre part. » (cf. Thurian Jouno, Droit fiscal n°29, 17 Juillet 2020, n°312 Chroniques – Jurisprudence des cours administratives d’appel – Bibliographie fiscale par Thurian Jouno et Olivier Lemaire).

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