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Une société qui cède l’une de ces usines peut assumer les coûts de restructuration de cette usine sans caractériser un transfert de bénéfices si elle est en mesure de démontrer qu’elle les a supportés dans son propre intérêt

Une société française a mené une restructuration de son outil de production en France dans le cadre d’une stratégie globale décidée par le groupe basé à l’étranger. Elle a cédé une usine en France pour 1 € symbolique et a également assumé un ensemble de coûts liés à cette restructuration.

A l’occasion d’un contrôle, l’administration fiscale a contesté la déduction de ces charges et critiqué le prix de cession, en faisant état d’une présomption de transfert de bénéfices au sens des dispositions de l’article 57 du Code Général des Impôts (« CGI »). Reste que la société a combattu avec succès cette présomption en démontrant qu’elle avait tiré une contrepartie au moins équivalente à cette opération de restructuration.

Rappel des faits

La société américaine détenait intégralement sa filiale française, spécialisée dans le développement et la fabrication de circuits intégrés imprimés sur silicium. Cette filiale française avait cédé sa propre filiale dédiée à cette activité. La cession auprès d’un tiers pour 1 € conduisait à dégager une importante moins-value.

Dans le cadre de cette cession, la société française a conservé à sa charge :

Au cours d’une vérification, le service de contrôle a contesté l’ensemble de cette opération de cession. Il a considéré que la société française avait, d’une part, commis des actes anormaux de gestion (articles 38-1 et 39-1 du CGI) en acceptant de supporter ces différentes charges et, d’autre part, il avait consenti à un transfert indirect de bénéfices (article 57 du CGI) en s’engageant ainsi, sans contrepartie, à assumer certains des coûts supplémentaires.

Le Tribunal administratif de Marseille a été saisi par la Société. L’administration fiscale a alors opéré une substitution de base légale, accueillie favorablement par le juge. L’administration fiscale a ainsi contesté l’ensemble des charges déduites par la société, sur le fondement des dispositions de l’article 57 du CGI : elle a développé sa position sur l’idée que ces différents engagements étaient en réalité liés à une réorganisation du groupe, ayant conduit à imposer à la société toutes ces charges dans le cadre de la cession de l’usine, alors qu’elles auraient dû être supportées par le groupe. L’administration a interjeté appel du jugement qui a invalidé cette approche.

Si l’administration a bien démontré l’existence d’une présomption de transfert indirect de bénéfices, la Société a pu la renverser en montrant son intérêt à réaliser les opérations contestées.

La Cour administrative d’appel a maintenu la position du juge de première instance. Elle a en effet retenu que, si l’administration a effectivement démontré l’existence d’un avantage, constitutif d’une présomption de transfert de bénéfices, la société a en revanche pu faire état des contreparties dont elle a bénéficié. Cette dernière a en effet justifié que la restructuration et l’ensemble des charges financières qu’elle avait assumées servaient son propre intérêt. La jurisprudence est constante sur ce point (Conseil d’État, 7e et 8e s.-s., 1er décembre 1976, n°88003R)  : l’intérêt de l’un n’étant pas exclusif de l’intérêt de l’autre.

Cet arrêt rappelle ainsi que l’existence d’un intérêt de groupe n’est pas, à elle seule, une condition suffisante pour démontrer l’absence d’intérêt propre d’une société, alors que la présomption de transfert de bénéfices a été instituée par la caractérisation d’un avantage par nature.

La preuve de l’existence d’un avantage peut en effet être apportée par deux moyens (CE, 7 nov. 2005, n° 266346 et 266438, Min. c/ Sté Cap Gemini, extrait ccls. E. Glaser.) : soit l’avantage est démontré par comparaison avec des opérations réalisées par des tiers dans des conditions similaires, mais à un prix différent, soit l’avantage est constitué par sa nature même.

En l’espèce, cette dernière qualification semble avoir été admise par le juge, bien qu’elle pourrait être discutée : les arguments soulevés par l’administration ne semblent guère convaincants alors que la jurisprudence apprécie habituellement de manière stricte la qualification d’un avantage par nature. Il n’existait en effet aucune transaction intragroupe entre la société française et sa mère étrangère, si bien qu’il n’existait aucun élément matériel permettant de caractériser un transfert de bénéfices. En outre, les frais de restructuration incombaient juridiquement à la Société. Enfin, la référence au Chapitre IX des principes OCDE[1] paraît de surcroît bien légère pour emporter la conviction.

Cet arrêt est à retenir, car d’aucuns pourraient considérer que l’absence de référence explicite à l’avantage par nature dans la motivation retenue par la Cour d’appel, à l’occasion de cette décision, vise à infléchir l’habituelle stricte appréciation du juge quant à l’existence d’un avantage par nature.

La Cour a cependant reconnu la démonstration des contreparties dont a bénéficié la société. La cession visait bien à s’assurer de la pérennité de la société française, même si elle prenait effectivement place dans la stratégie globale du groupe. Les coûts liés à la cession étaient moins élevés que ceux prévus en cas de cessation de son activité ou de sa restructuration. L’ensemble des charges a été considéré par le Rapporteur public, ayant souligné que cette opération était principalement engagée afin d’assurer la survie de la société française, comme des « conditions financières (…) imposées par le repreneur », « favorables » à la société française puisqu’elle a démontré que cette cession à un tiers devait être vue comme la pire des décisions à l’exception de toutes les autres.

Une question subsiste : la société aurait-elle pu se voir priver d’une garantie procédurale par la substitution de base légale tardive ?

La société a fait valoir que la substitution de base légale devant le juge de première instance, plus de trois ans après l’envoi de la proposition de rectification, la privait de l’accès à la procédure amiable prévue par la convention fiscale applicable entre la France et les Etats-Unis permettant d’éliminer la double imposition économique née de ces rectifications, une voie de recours spécifique aux rehaussements fondés sur les dispositions de l’article 57 du CGI. Elle peut être demandée dans les trois ans qui suivent la réception de la proposition de rectification.

La Cour ne s’est pas prononcée sur ce point. Le Tribunal administratif avait considéré que cette procédure ne devait pas être regardée comme une garantie de la procédure d’imposition interne, si bien que cette substitution de base légale ne privait en rien la société française d’une voie de recours. Une interprétation limitative des garanties de procédure dont bénéfice le contribuable semblait ainsi prévaloir, refusant de les analyser au regard de normes internationales de portée pourtant supérieure à la loi.[2]

En réalité, il a certainement considéré qu’il revenait au Service de l’administration fiscale en charge de ces procédures de se prononcer sur la recevabilité d’une telle demande. La convention fiscale prévoit en effet que le délai pour demander l’ouverture de la procédure amiable commence ainsi à courir à compter de l’acte par lequel l’administration fiscale porte à la connaissance du contribuable sa position conduisant à la double imposition, soit en l’espèce la substitution de base légale. Avant la substitution de base légale, la rectification portait sur un acte anormal de gestion relatif à une transaction réalisée avec un tiers, qui ne relève pas de la procédure d’élimination de la double-imposition.


[1] Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, janvier 2022, OCDE, 59.96.

[2] L’article 55 de la Constitution fait primer, dans la hiérarchie des normes, le droit issu des conventions internationales sur les lois nationales.

 

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