Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – novembre 2023 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
L’article 11 du projet de loi de finances pour 2025 prévoit l’introduction d’une contribution exceptionnelle et temporaire sur les bénéfices des très grandes entreprises, ce qui aurait un impact sur les comptes consolidés et l’application des règles GloBE du Pilier 2.1
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Projet de loi de finances pour 2025, 10 oct. 2024, art.11
Économie générale de la contribution exceptionnelle projetée – Les entreprises relevant du champ de cette contribution exceptionnelle seraient celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à un milliard d’euros au titre des exercices concernés, c’est-à-dire les deux premiers exercices consécutifs clos à compter du 31 décembre 2024.
Le chiffre d’affaires à retenir pour apprécier ce seuil serait celui réalisé par le redevable en France au cours de l’exercice (ou de la période d’imposition), ramené à 12 mois le cas échéant, et, pour la société mère d’un groupe d’intégration fiscale, la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe (dans ce cas, le redevable serait la société tête de groupe). La notion de chiffre d’affaires n’est pas plus détaillée, mais, ainsi que le relève d’ailleurs le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, il est probable que la définition qui sera retenue par l’administration sera alignée sur celle utilisée dans le cadre des précédentes contributions exceptionnelles sur l’IS (i.e. le montant hors taxe de l’ensemble des produits qui se rapportent à l’exploitation normale et courante de l’activité de l’entreprise, à l’exclusion donc des produits exceptionnels et des produits financiers, sauf pour certaines entreprises comme les établissements de crédit).
L’assiette de la contribution exceptionnelle serait égale à l’IS calculé sur l’ensemble des résultats imposables aux taux prévus à l’article 219 du CGI (donc non seulement les résultats soumis à l’IS au taux de droit commun, mais également les résultats soumis au taux de 10 % en application du régime « patent box»), déterminé avant imputation des réductions, crédits d’impôt et créances fiscales de toute nature.
La contribution exceptionnelle serait due au titre des deux premiers exercices consécutifs clos à compter du 31 décembre 2024.
Le taux serait le suivant :
> entreprises dont le chiffre d’affaires est égal ou supérieur à un milliard d’euros et inférieur à trois milliards d’euros :
- 20,6 % pour le 1er exercice clos à compter du 31.12.2024 (soit pour les revenus soumis au taux standard de 25 %, un TEI de 30,15 % – sans prise en compte de la contribution sociale sur l’IS); à un milliard d’euros et inférieur à trois milliards d’euros:
- 10,3 % pour le second exercice clos à compter de cette même date (soit pour les revenus soumis au taux standard de 25 %, un TEI de 27,58 %- sans prise en compte de la contribution sociale sur l’IS) ;
> entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à trois milliards d’euros :
- 41,2 % pour le 1
erexercice clos à compter du 31.12.2024 (soit pour les revenus soumis au taux standard de 25 %, un TEI de 35,30 % – sans prise en compte de la contribution sociale sur l’IS), - 20,6 % pour le second exercice clos à compter de cette même date (soit pour les revenus soumis au taux standard de 25 %, un TEI de 30,15 % – sans prise en compte de la contribution sociale sur l’IS).
Un mécanisme de lissage spécifique serait prévu, pour atténuer les effets de seuil, pour les entreprises dépassant les seuils de chiffres d’affaires de moins de 100 millions d’euros.
Selon nous, et à ce stade, il n’y a pas de doute que cette contribution exceptionnelle et temporaire sera qualifiée d’« impôt couvert» dans le cadre de l’application des règles Pilier 2, dès lors qu’il s’agira bien d’un impôt sur les bénéfices comptabilisé par le redevable dans ses états financiers. De plus, la contribution exceptionnelle ne sera pas appliquée sur le montant de l’impôt complémentaire qui pourrait être dû au titre de Pilier 2.
Impact de l’introduction de cette nouvelle contribution dans les comptes consolidés – À titre de synthèse, pour les entreprises concernées et clôturant leur exercice le 31 décembre, la contribution exceptionnelle s’appliquerait strictement à l’exercice 2024 et à l’exercice 2025. De la sorte, la charge d’impôt courant s’appliquant au résultat 2024 et au résultat 2025 tiendrait compte de cette contribution exceptionnelle, en plus de l’impôt sur les sociétés et de la contribution sociale de 3,3 %, le cas échéant.
Au titre des impôts différés, la charge/le produit d’impôt comptabilisé au titre de l’exercice au cours duquel la contribution sera définitivement votée devra également en tenir compte. En effet, dès la nouvelle contribution votée (a priori avant le 31 décembre 2024), les impôts différés devraient être réévalués pour tenir compte de l’application de cette contribution aux sources d’impôt différé devant se retourner strictement sur l’exercice clos le 31.12.2025.
Selon que les sources identifiées d’impôt différé devant se retourner sur l’exercice clos le 31.12.2025 génèrent des impôts différés actifs ou passifs, la hausse temporaire du taux d’impôt sera susceptible de générer une charge (en cas d’impôt différé passif) ou un produit d’impôt (en cas d’impôt différé actif).
Impact de la contribution exceptionnelle pour les calculs Pilier 2– En raison du seuil de chiffres d’affaires retenu (un milliard d’euros), les groupes dont les entités françaises seront dans le champ d’application de la contribution exceptionnelle seront également dans le champ d’application du Pilier 2 (groupes dont le chiffre d’affaires annuel consolidé est égal ou supérieur à 750 millions d’euros). Dans ce contexte, la question des effets de cette contribution sur les calculs nécessaires pour Pilier 2 se pose nécessairement.
Mesures transitoires de protection – Pour rappel, des règles de simplification (dites « Safe Harbor Rules », SHR) sont susceptibles de s’appliquer au titre des trois premiers exercices d’application du Pilier 2. Ainsi, pour un groupe dont la date de clôture coïncide avec l’année civile, les règles SHR peuvent s’appliquer au titre des exercices 2024, 2025 et 2026.
Dans le cadre de ces règles SHR, si un des 3 tests est réussi au titre de l’exercice considéré, alors aucun impôt complémentaire n’est dû au titre du Pilier 2, sans qu’un calcul GloBE ne soit nécessaire.
Le test n° 2 (test de taux effectif d’imposition simplifié) est rempli lorsque le taux effectif d’imposition (TEI) du pays est supérieur à 15 % au titre de l’exercice 2024 et 16 % au titre de l’exercice 2025 (les deux exercices nous concernant). Ce TEI est déterminé par le rapport entre, d’une part, l’impôt comptabilisé dans la norme de consolidation (somme de l’impôt courant et de l’impôt différé comptabilisés, abstraction faite des provisions pour risque fiscal) et, d’autre part, le résultat avant impôt.
Pour les groupes français concernés par la contribution exceptionnelle en 2024 et en 2025, la charge d’impôt courant 2024 (et 2025) est susceptible d’être plus élevée avec la contribution exceptionnelle que sans son application. En revanche, selon que les différences temporaires identifiées comme devant se retourner en 2025, sont source d’impôt différé actif ou d’impôt différé passif, la charge d’impôt différé nette est de son côté susceptible d’être plus ou moins élevée. De la sorte, en fonction des éléments source d’impôt différé se retournant en 2025 (et donc devant être valorisés en termes d’impôt différé dès 2024 en utilisant le taux de 27,58 % ou 30,15 % selon que le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros ou supérieur à trois milliards d’euros), la charge d’impôt différé 2024 sera supérieure ou inférieure à celle qui aurait été comptabilisée sans la contribution. En fonction du poids relatif dudit impôt différé, la contribution exceptionnelle et temporaire est dès lors susceptible d’entraîner un TEI inférieur ou supérieur au seuil fatidique de 15 %. À défaut de passer les deux autres tests (test de mini mis et test du profit de routine ou de substance), le groupe est susceptible de sortir des règles de simplification (sans pouvoir y revenir au titre des exercices suivants).
En 2025, la hausse de la charge d’impôt courant comptabilisée, générée par l’application de la contribution exceptionnelle, devrait être en partie compensée par le retournement de l’impôt différé comptabilisé fin 2024 le cas échéant. En effet, les impôts différés permettent de rattacher les effets de la taxation future d’une opération dès son exercice de comptabilisation.
Dans l’hypothèse où le groupe ne pourrait pas bénéficier des règes de simplification en France, le calcul GloBE devra alors être effectué.
Calcul GloBE – Pour rappel, dans le cadre des calculs de TEi GloBE, l’impôt différé retenu ne tient pas compte des effets liés aux changements de taux, d’autant plus que les impôts différés doivent obligatoirement être recalculés au taux de 15 % si le taux d’IS national est plus élevé. De la sorte, l’impact en compte de résultat de la réévaluation des impôts différés à la clôture de l’exercice 2024 au titre des différences temporaires/déficits devant se retourner au cours de l’exercice 2025, ne devra pas être pris en compte. En revanche, la charge d’impôt courant au titre de l’exercice 2024 (ainsi que celle au titre de 2025) tiendra compte de la charge de contribution comptabilisée au titre de l’exercice, ce qui devrait être favorable pour le test n’ 2.
1 Nd.A : Les discussions en première lecture du projet de texte étant encore en cours au moment où nous écrivons ces lignes, notre analyse repose sur la version originelle du texte.