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Provisions comptabilisées mais non déduites fiscalement et intangibilité du bilan d’ouverture

Photo du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat précise que le caractère délibéré ou non d’une surestimation de l’actif net ne commande pas l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit.

Dans le prolongement de la méthodologie qu’il a tracée dans l’affaire Foncière du Rond-Point pour la prise en compte des provisions comptabilisées mais non déduites fiscalement, le Conseil d’Etat précise que le caractère délibéré ou non d’une surestimation de l’actif net ne commande pas l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CE, 5 décembre 2016, n°398859, Orange).

Une règle objective

Une société avait constitué en 2002 et 2003 des provisions pour dépréciation des titres de sa filiale intégrée. Ces provisions, constituées comptablement, n’ont toutefois pas été déduites du résultat fiscal de la société. En 2005, la filiale a fait l’objet d’une transmission universelle de patrimoine et la reprise comptable de ces provisions a été déduite extra-comptablement afin de ne pas impacter le résultat fiscal de cet exercice, ce que l’Administration a contesté.

On sait que le Conseil d’Etat a jugé, dans un arrêt de principe, que lorsqu’une provision est comptabilisée et que l’ensemble des conditions fiscales sont remplies, l’entreprise ne dispose d’aucune option fiscale et doit la déduire. Le juge a considéré qu’en pareille hypothèse, l’Administration pouvait mettre en évidence une variation d’actif net taxable au titre de l’exercice de reprise de la provision en minorant la valeur de l’actif net d’ouverture de cet exercice. Il a également précisé qu’elle devait corriger à la baisse la valeur de l’actif net de clôture de l’exercice précédent, la correction des valeurs devant ainsi être opérée jusqu’à l’exercice de dotation de la provision. Ainsi, la taxation éventuelle de cette reprise par le service vérificateur pourrait être compensée, par le jeu des corrections symétriques et de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit, par une déduction au titre du premier exercice non prescrit (CE, 23 décembre 2013, n° 346018, Société Foncière du Rond-Point, Stricto sensu Mars 2014, n° 68).

LE CARACTÈRE DÉLIBÉRÉ OU NON D’UNE SURESTIMATION DE L’ACTIF NET NE COMMANDE PAS L’INTANGIBILITÉ DU BILAN D’OUVERTURE 

On s’accordait également à penser que compte tenu du mode opératoire tracé par le juge pour justifier l’action de l’Administration, ce principe d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit s’opposait à toute taxation de la reprise de la provision lorsque cette reprise affectait le résultat de ce premier exercice non prescrit. En effet, dès lors que la provision ne peut être constatée au bilan d’ouverture de cet exercice, aucune variation d’actif net taxable ne peut être mise en évidence au titre de ce même exercice à raison de la reprise de la provision.

En rupture avec cette approche, la CAA de Versailles avait estimé que renoncer à la déduction fiscale d’une provision comptabilisée constituait une erreur délibérée, s’opposant à l’application du principe d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CAA Versailles, 18 février 2015, n° 13VE02491, SA Orange). Cette décision nous avait paru discutable dès lors que la loi ne prévoit pas d’exception relative au caractère délibéré ou non de l’erreur commise par le contribuable.

Le Conseil d’Etat confirme notre approche en jugeant que les seules exceptions à la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit sont celles expressément prévues par la loi elle-même, à savoir les erreurs ou omissions commises plus de sept ans avant l’ouverture de cet exercice, ou qui résultent de dotations aux amortissements excessives au regard des usages ou de charges qui auraient dû venir en augmentation de l’actif immobilisé déduites sur des exercices prescrits.

Ainsi, la circonstance que la surestimation de l’actif net de la société procède d’une initiative délibérément irrégulière ou non n’est pas pertinente pour s’opposer à l’application du principe légal d’intangibilité du premier bilan non prescrit.

Une solution qui a ses limites

Cette décision assure une protection efficace lorsque la provision non déduite est effectivement reprise au cours du premier exercice non prescrit. En revanche, lorsque cette reprise est effectuée sur un exercice plus récent, la neutralisation du redressement requiert la mise en oeuvre du mécanisme des corrections symétriques pour l’application duquel le caractère délibéré ou non de l’erreur reste déterminant et fonction du contexte.

En effet, si le Conseil d’Etat a très tôt jugé que l’Administration ne saurait limiter les corrections apportées aux écritures de l’assujetti à certaines d’entre elles seulement, alors qu’il est établi que la même erreur se retrouve dans d’autres écritures (CE, 27 octobre 1958, n° 39767 et 11 juin 1982 n° 24639), il refuse le bénéfice de cette correction symétrique aux erreurs délibérées (CE, 21 novembre 1971, n° 75549 ; 7 juillet 2004, n° 230169, SARL Ghesquière Equipement).

Dans le cas des provisions, si la non déduction peut être qualifiée d’erreur délibérée, le bilan de clôture de l’exercice précédant celui au cours duquel elles sont reprises ne pourra pas être rectifié et, par suite, il ne sera pas possible de remonter jusqu’au 1er exercice non prescrit pour bénéficier de l’intangibilité du bilan d’ouverture de cet exercice. En définitive, la reprise de la provision sera taxable alors que sa dotation ne pourra plus être déduite.

Cela étant, pour caractériser une omission ou une erreur délibérée, deux conditions doivent être remplies. La première est objective, elle tient au fait que la règle de droit applicable doit être clairement et précisément établie. La seconde est subjective, elle porte sur le comportement du contribuable dont il doit être établi qu’il a méconnu sciemment l’application d’une règle claire et précise qui s’imposait à lui.

Compte tenu de l’incertitude antérieure quant à la règle de droit, on peut penser que pour tous les exercices clos avant la décision du juge qui a révélé le caractère obligatoire de la déduction des provisions en cause, soit le 23 décembre 2013, la non-déduction fiscale de la provision, même si elle découlait d’une décision manifeste de l’entreprise, procédait d’une interprétation de la loi fiscale et non d’une erreur commise délibérément. Dans ces situations, la reprise taxable des provisions pourrait être compensée par la déduction de la provision, a posteriori, au titre du premier exercice non prescrit.

Pour les exercices clos à compter de la décision qui a consacré la règle de droit, l’entreprise qui ne déduit pas une provision comptabilisée devra très précisément documenter sa position afin de pouvoir justifier du bien-fondé de celle-ci, au risque de ne pas pouvoir en obtenir la déduction ultérieure lorsqu’elle procédera à sa reprise si l’Administration peut établir qu’elle remplissait toutes les conditions de déductibilité lors de sa dotation.

On observera que dans le doute légitime et de bonne foi sur le respect des critères de déductibilité, il sera plus expédient de déduire la provision. En effet, si la déduction de la provision est rejetée à l’occasion d’un contrôle, sa reprise sera corrélativement non imposable. En revanche, si la provision n’a pas été déduite et que le service vérificateur établit qu’elle remplissait effectivement tous les critères de déduction, sa reprise sera taxable sauf en cas de reprise au titre du premier exercice non prescrit, alors que sa déduction ne pourra plus être obtenue.

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