Les RAS appliquées aux dividendes versés aux compagnies d’assurances en unités de comptes situées dans d’autres États membres sont susceptibles de constituer une atteinte au principe de libre circulation des capitaux.
En principe, les dividendes de source française versés à des personnes physiques ou morales non-résidentes sont soumis en France à une RAS dont le taux équivaut au taux normal de l’IS (CGI, art 119 bis et 187– 26,5% en 2021). Toutefois, en application des conventions fiscales internationales conclues par la France, le taux de cette RAS peut être diminué, voire réduit à néant. La RAS est liquidée sur le montant brut des revenus mis en paiement (CGI, ann. II, art. 48).
Néanmoins, la RAS prévue au 2 de l’article 119 bis du CGI se trouve restreinte par la jurisprudence en application des principes posés par la liberté de circulation des capitaux.
L’histoire
Une société d’assurance-vie britannique assurant la conclusion et la gestion de contrats d’assurance-vie en unités de comptes – dont la valeur est déterminée par rapport à des valeurs support, constituées en l’espèce de titres de sociétés françaises – a perçu des dividendes de sociétés françaises en 2007 et 2008. Ces dividendes ont été soumis à une RAS au taux de 15 % en application de l’art. 9 de la convention franco-britannique.
Après paiement de la RAS, la société en a réclamé la restitution auprès de l’administration fiscale française estimant que celle-ci constituait une entrave au principe de libre circulation des capitaux, dans la mesure où elle se trouvait règlementairement tenue, concomitamment à la perception de ces dividendes, de constituer des provisions techniques (par transposition de la directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie, chapitre 2), qui si elle avait été établie en France, auraient annulé la charge fiscale supportée à raison de ces revenus.
En effet, les sociétés françaises d’assurance-vie sont dans l’obligation de constituer, au titre de leurs engagements réglementés, des provisions techniques représentatives de leurs engagements vis-à-vis de leurs assurés qui doivent, en permanence, être représentés par des actifs équivalents. Ainsi, la perception de dividendes provenant d’actifs admis en représentation des engagements réglementés entraîne une augmentation, à concurrence de tout ou partie de leur montant, des engagements de l’assureur vis-à-vis de l’assuré, et par suite des provisions techniques constituées par la société.
Il en résulte qu’une société d’assurance-vie française est imposée en vertu des règles prévues par l’article 38 du CGI, sur le montant net des dividendes perçus (bénéfice imposable = dividende [produit] – provisions techniques [charges]), alors qu’une société d’assurance-vie britannique est soumise à une RAS sur le montant brut des dividendes français perçus, sans prise en compte des provisions techniques [charges] constituées en application de la même réglementation européenne.
L’affaire est portée devant les juridictions. En appel, La CAA de Versailles, se référant aux principes dégagés par la CJUE dans l’arrêt C-342/10 Commission c/ Finlande du 8 novembre 2012 a admis que l’application de la RAS de l’article 119 bis du CGI sur une base brute sans prise en compte des « frais professionnels » constituait une entrave au principe de libre circulation des capitaux. En revanche, elle a estimé qu’au fond, la société n’a pas justifié des charges qu’elle entendait déduire de l’assiette de la RAS litigieuse et a rejeté la demande de restitution de RAS de la société britannique à raison de ce seul motif.
La décision
Le Conseil d’État confirme, se fondant également sur la jurisprudence de la CJUE relative aux fonds de pension (voir notamment CJUE, 8 novembre 2012, aff. 342/10, Commission c/ Finlande ; CJUE, 13 novembre 2019, aff. 641/17, College Pension Plan of British Columbia) que dans l’hypothèse où le versement des dividendes entraîne une augmentation corrélative de la provision technique constituée par la société britannique, la différence d’imposition des dividendes de source française, selon qu’ils sont perçus par une société française ou par une société établie dans un autre État membre, soumise à RAS est susceptible de constituer une atteinte à la libre circulation des capitaux.
Il relève par ailleurs qu’une telle différence de traitement n’est justifiée en l’espèce :
- ni par la comparaison de situations qui ne sont pas objectivement comparables : les sociétés d’assurance-vie non-résidentes se trouvent, dans une situation objectivement comparable à celle des sociétés françaises, en ce qui concerne le traitement fiscal des dividendes provenant d’actifs admis en représentation des engagements réglementés – leur activité étant encadrée par la même directive européenne ;
- ni par une raison impérieuse d’intérêt général.
Il casse donc l’arrêt d’appel estimant que la CAA aurait dû rechercher :
- si les RAS dont la décharge est demandée par la société britannique étaient afférentes à des dividendes provenant d’actifs admis en représentation de ses engagements réglementés ; et
- si la perception de ces dividendes avait eu pour effet d’augmenter, et dans quelle proportion, les montants des provisions techniques figurant au passif de son bilan.
Selon les conclusions de la rapporteure publique sous la décision, les éléments présents au dossier ne paraissaient pas tout à fait suffisants pour prononcer la décharge totale des montants de RAS en litige.
L’affaire est renvoyée devant la CAA de Versailles où la poursuite des échanges contradictoires serait donc nécessaire.
Cette décision du CE intervient juste après que la Commission européenne ait adressé à la France une lettre de mise en demeure lui demandant de modifier ses règles en matière de RAS concernant les dividendes versés aux compagnies d’assurances en unités de comptes établies dans d’autres États membres de l’EEE (Comm. UE, communiqué, 18 févr. 2021).