La CAA de Douai écarte la qualification de siège de direction effective d’une société au Luxembourg, dès lors que les décisions stratégiques étaient, au cas d’espèce, systématiquement prises en France.
L’histoire
En 2016, l’Administration a engagé une visite domiciliaire (LPF, art. L. 16 B) dans les locaux d’une société française, à l’issue de laquelle elle a considéré que cette société constituait l’établissement stable en France d’une société luxembourgeoise, à partir duquel cette dernière exerçait une activité de gestion de droits de propriété intellectuelle, la société luxembourgeoise étant propriétaire d’un certain nombre de marques.
Elle a, en conséquence, réclamé à la société luxembourgeoise l’IS et la TVA exigibles au titre des années 2013 à 2015. Le redressement a été assorti de la majoration de 80 %, prévue en cas de découverte d’une activité occulte par les dispositions de l’article 1728, c, du CGI.
La société luxembourgeoise a contesté le redressement devant les juridictions, faisant valoir que la société française se bornait à exploiter de manière passive les marques dont elle était elle-même propriétaire, par l’encaissement des redevances, et qu’elle ne pouvait pas, dès lors, être considérée comme un établissement stable.
La décision de la CAA de Douai
Sur l’existence d’une entreprise exploitée en France au sens de l’article 209, I du CGI
La Cour, rappelle, en 1er lieu, le principe de subsidiarité des conventions fiscales (CE, 19 décembre 1975, n°84774 et 91895 ; CE, 17 mars 1993, n°85894, Memmi ; CE, 28 juin 2002, n°232276, Sté Schneider Electric).
Par application de ce principe, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une convention bilatérale, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie, et ensuite seulement, dans l’affirmative, de déterminer si cette convention fait, ou non, obstacle à l’application de la loi fiscale.
Au cas d’espèce, la Cour considère que le siège social de la société luxembourgeoise ne pouvait être regardé comme son siège de direction effective, et que ce dernier se trouvait, en réalité, en France.
Elle se fonde, pour ce faire, sur les éléments collectés par l’Administration au cours de la visite domiciliaire, lesquels mettent en évidence la réalisation en France des éléments suivants :
- La prise des décisions stratégiques de la société luxembourgeoise (conception par la société française des plans de communication pour développer et pérenniser la clientèle des marques détenues par la société luxembourgeoise, organisation des réunions y afférentes notamment) ;
- Le suivi de la comptabilité (gestion des budgets, mise en place du circuit de facturation – de nombreuses factures établies au nom de la société luxembourgeoise ont notamment été saisies, ainsi que les contrats de licence de marque conclus entre la société luxembourgeoise et les licenciés, des avis d’opérations bancaires au bénéfice de la société luxembourgeoise, des documents relatifs à des réunions avec l’expert-comptable, etc.) ;
- L’animation des sociétés franchisées (notamment, organisation de réunions de communication avec l’ensemble des directeurs et franchisés – en outre, à titre d’exemple, les factures pour la création de flyers et de publicités, à la charge de la société luxembourgeoise, étaient directement adressées aux salariés de la société française).
La Cour en conclut que la société luxembourgeoise disposait bien en France d’un établissement autonome, exploité au sein des locaux de la société française, justifiant ainsi de son assujettissement à l’IS en France en application de l’article 209, 1 du CGI.
Sur l’application de la convention franco-luxembourgeoise
En application de l’article 2§4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958 (précédente convention – à rapprocher de l’article 4§3 de l’actuelle convention fiscale franco-luxembourgeoise de 2018), la résidence fiscale des personnes morales est située au lieu de leur centre effectif de direction, ou si cette direction effective ne se trouve ni dans l’un ni dans l’autre des Etats contractants, au lieu de leur siège. Cette ancienne convention (tout comme celle de 2018), ne contient pas de définition de cette notion de « siège de direction effective ».
De son côté, la jurisprudence du Conseil d’Etat définit généralement la notion de centre effectif de direction comme le lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prennent les décisions stratégiques en matière de gestion et de politique industrielle ou commerciale qui déterminent la conduite des affaires de cette entreprise dans son ensemble (voir notamment CE, 16 avril 2012, n°323592 et BOI-INT-CVB-LUX-10 § 150).
La société luxembourgeoise tentait de faire valoir que son centre effectif de direction se trouvait, pour l’application de la convention franco-luxembourgeoise, au Luxembourg. Elle indiquait, à cet égard, que ses conseils de gérance se tenaient au Luxembourg.
La Cour écarte cette qualification :
- La société ne disposait au Luxembourg que d’une adresse de domiciliation, hébergée par une autre société, d’un bureau de 30 m². Elle n’y avait pas de salarié (simple mise à disposition de personnels dédiés à la gestion administrative et comptable) ;
- Surtout, la prise des décisions stratégiques, le suivi de la comptabilité et l’animation des sociétés franchisées étaient réalisés en France – de sorte que son centre effectif de direction se situait en France.
Rappelons que le Conseil d’Etat a jugé, à plusieurs reprises, pour l’application de la convention franco-luxembourgeoise, que le fait qu’une société tienne ses assemblées générales et ses conseils d’administration au Luxembourg n’est pas un élément suffisant pour établir que son centre effectif de décision se trouve dans cet Etat (CE, 7 mars 2016,n°371435, Société Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme, plus récemment, CE, 15 mars 2023, n°449723).
La société luxembourgeoise ne pouvait dès lors pas revendiquer le bénéfice des dispositions de la convention franco-luxembourgeoise pour s’opposer à l’imposition en France des redevances qui lui étaient versées au Luxembourg.
Sur l’application de la majoration pour activité occulte
Pour mémoire, la découverte d’une telle activité est susceptible d’entraîner l’application d’une majoration de 80 % (CGI, art. 1728,1, c).
La preuve du caractère occulte est présumée apportée dès lors que le contribuable ne s’est pas acquitté de ces obligations déclaratives, sans que l’Administration ne soit tenue de démontrer de surcroît que son comportement révélait son intention de dissimuler son activité.
Le contribuable peut toutefois renverser cette présomption, en faisant valoir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives (notamment CE, 7 décembre 2015, n°368227, Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL).
La justification de l’erreur commise doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d’imposition dans cet autre Etat, que des modalités d’échange d’informations entre les administrations fiscales des 2 Etats (CE, 18 mars 2019, n°410573, Sté Ediprint).
La société tentait de se prévaloir de ce droit à l’erreur, et faisait valoir, de surcroît, qu’elle avait déposé des déclarations au titre de son activité en France portant la mention « néant » ou « zéro ».
La Cour refuse de faire droit à sa demande, lesdites déclarations ayant été déposées au cours des opérations de vérification.
Surtout, elle relève que la charge fiscale supportée au Luxembourg était 6 fois inférieure à celle résultant du montant des droits qui auraient été mis à sa charge en France. Aussi juge-t-elle que, eu égard à l’important écart d’imposition entre le Luxembourg et la France, la société luxembourgeoise ne peut être regardée comme ayant commis une erreur en ne déclarant pas ses résultats en France.