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Rémunération d’un ES et convention France-Gabon

La CAA de Versailles apporte des précisions sur les modalités de détermination du résultat fiscal imputable à une succursale gabonaise d’une société française.

L’histoire

Une société française exerce une activité de forage, de maintenance de puits de pétrole, gaziers et de géothermie au bénéfice de clients exploitants pétroliers. Elle dispose de plusieurs succursales à l’étranger, dont l’une est située au Gabon.

La société met à la disposition de sa succursale gabonaise des salariés détachés, des appareils de forage, et lui apporte son savoir-faire et son expérience. Le siège supporte les risques liés à la prospection et à la signature des contrats avec les clients sur le site gabonais.

Dans ce cadre, la société a déduit extra-comptablement de son résultat soumis à l’impôt en France le résultat fiscal qu’elle estimait lié à son exploitation au Gabon, par application du principe de territorialité.

Pour établir le bénéfice attribuable à la succursale, la société a distingué, d’une part, les charges directement payées par l’établissement gabonais dont le montant correspondait à un prix de marché (Charges dites ‘POG’) et d’autre part, les charges engagées par le siège en France (Charges dites « Siège ») constituées du personnel et du matériel mis à disposition de la succursale. Les Charges « Siège » ont été affectées à l’établissement stable à prix coûtant.

Le redressement

À l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos le 29 février 2012, le 28 février 2013 et le 31 décembre 2013, l’Administration a remis en cause les modalités de calcul retenues par la société française pour déterminer le bénéfice à attribuer à la succursale gabonaise.

Selon l’analyse fonctionnelle établie par l’Administration, la succursale aurait agi en tant que sous-traitant du siège de la société (fonctions et risques limités). Sur cette base, l’Administration considère que l’application de la méthode du prix de revient majoré est la méthode la plus adaptée aux circonstances de l’espèce pour déterminer la rémunération de pleine concurrence de l’établissement stable.

L’Administration a considéré que le taux de marge qui doit être appliqué est de 18,61 %, correspondant à la « moyenne glissante » des marges sur les coûts de 2010 à 2012, établie à partir d’un panel de 6 entreprises exerçant des activités d’extraction de pétrole et de gaz.

Elle a ensuite appliqué ce taux sur les coûts, constitués des Charges POG et de l’ensemble des Charges Siège qui ont été allouées à la succursale.

L’Administration a toutefois opéré une distinction selon la nature des Charges Siège en considérant :

Pour déterminer le bénéfice qu’aurait dû percevoir la succursale, l’Administration a ensuite appliqué la formule suivante :

[(POG + S1 + (S2 x 0,1861)) x 0,1861] – (S2 x 0,1861)

Pour chacun des exercices vérifiés, l’Administration a ensuite constaté que cette méthode de calcul aboutissait à la détermination d’un résultat inférieur au résultat déduit fiscalement par la société, ce qui justifiait un redressement selon les dispositions des articles 57 et 209 du CGI.

La société a contesté le redressement sans toutefois remettre en question l’analyse fonctionnelle du Service devant le TA d’Orléans, lequel a validé, sur le principe, la méthode de calcul et le taux retenu par l’Administration pour calculer la marge nette de l’établissement gabonais.

En revanche, le Tribunal a remis en cause le mark-up appliqué par l’administration aux Charges Siège dites « S2 », considérant que le Service n’apportait pas la preuve de l’existence d’un avantage au sens de l’article 57 du CGI en se contentant d’affirmer qu’un mark-up aurait dû être appliqué sans toutefois le justifier, en l’absence de comparaison avec des transactions comparables sur le marché libre.

Tirant les conséquences de l’absence d’application d’un mark-up sur les Charges « Siège » dites « S2 », le TA d’Orléans a partiellement déchargé la société des impositions litigieuses en appliquant la formule suivante :

[(POG + S1) x 0,1861]

La société, comme l’Administration, ont fait appel de la décision.

La décision de la CAA de Versailles

Sur le taux de marge retenu par l’Administration

Devant la Cour, la société contestait la méthode utilisée par l’Administration pour fonder son redressement ainsi que le taux de marge retenu ; sur ce point elle produisait sa propre étude de comparables.

Sur ces deux points, la CAA considère d’une part que la méthode utilisée par l’Administration est adaptée à une activité de sous-traitance (la succursale étant sous-traitant du siège, en raison de la répartition des risques entre le siège et la succursale). D’autre part, s’agissant de l’étude fournie par la société, la Cour considère qu’elle ne pouvait être prise en compte dans l’instance, puisqu’elle était rédigée en langue anglaise. En tout état de cause, elle indique que les sociétés que la requérante entendait intégrer au panel ne remplissaient pas la condition d’indépendance, et ne pouvaient dès lors pas être regardées comme exploitées normalement au sens de l’article 57 du CGI.

Sur l’application du mark-up spécifique aux Charges Siège dites « S2 » – et la mise en œuvre subséquente de l’article 57 du CGI 

L’Administration contestait, elle, la remise en cause par les juges de 1ère instance du taux de mark-up appliqué de manière spécifique aux Charges Siège dites « S2 ».

La CAA rappelle d’abord que le siège français mettait à disposition de son établissement gabonais du matériel qualifié et des matériels de forage très coûteux (plusieurs millions d’euros chacun), et qu’il est indéniable que ces prestations de mises à disposition participaient à une activité d’exploitation de puits de pétrole.

Aussi, elle juge que l’Administration était en droit d’appliquer aux Charges Siège dites « S2 » un taux de mark-up identique à celui retenu pour calculer la marge nette de l’établissement gabonais (celui-ci étant considéré, pour le calcul de son bénéfice imposable, comme ayant une activité d’exploitation de puits de pétrole, et le panel retenu reflétant le taux de marge nette des sociétés spécialisées dans cette activité).

Elle en conclut dès lors que l’Administration apportait bien la preuve d’un écart significatif entre le bénéfice déclaré par la société au titre de sa succursale gabonaise, et le bénéfice de l’établissement « reconstitué » avec sa propre méthode de calcul, écart constitutif d’un avantage au sens de l’article 57 du CGI.

Sur la méthode de calcul retenue par l’Administration pour déterminer le bénéfice attribuable à la succursale gabonaise

La société contestait également la formule appliquée par l’Administration pour déterminer le bénéfice réalisé par sa succursale gabonaise, et tout particulièrement l’application du mark-up complémentaire aux Charges Siège dites « S2 », estimant que cette formule aboutissait à rémunérer doublement les prestations de mise à disposition.

La Cour valide toutefois la formule de l’Administration, en indiquant notamment que celle-ci a calculé, à partir du coût de revient majoré, la rémunération de pleine concurrence de l’établissement gabonais, puis son bénéfice, le bénéfice résiduel étant ensuite attribué au siège français.

Sur l’application de la convention fiscale franco-gabonaise

Précisons, à titre liminaire, que la convention franco-gabonaise a été signée en 1995, et est donc antérieure à la nouvelle approche adoptée par l’OCDE depuis 2010, tendant à considérer les établissements stables comme des entreprises fonctionnellement distinctes (« approche autorisée »).

La société contestait l’application de la marge aux Charges Siège dites « S2 », estimant qu’elles étaient contraires aux dispositions de la convention fiscale franco-gabonaise, lesquelles prévoient que « pour déterminer les bénéfices d’un établissement stable, sont admises en déduction les dépenses exposées aux fins poursuivies par cet établissement stable » (art. 7 § 4).

La Cour rejette toutefois l’argument, rappelant que la convention prévoit également que doivent être imputés à l’établissement stable « les bénéfices qu’il aurait pu réaliser s’il avait constitué une entreprise distincte exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l’entreprise dont il constitue un établissement stable » (art. 7 § 2).

Au cas d’espèce, elle relève que dès lors que la mise à disposition de matériels et de personnels qualifiés ne peut, logiquement, lorsque des entreprises ne sont pas liées, être facturée à prix coûtant, l’Administration pouvait bien appliquer aux Charges Siège « S2 » une marge pour calculer les bénéfices qu’aurait pu réaliser l’établissement stable gabonais s’il avait constitué une entreprise distincte exerçant son activité dans des conditions de pleine concurrence.

On notera qu’un pourvoi a été formé devant le Conseil d’État.

L’avis du Praticien Matthieu Petit

Dans un débat complexe où le contribuable et l’Administration ne sont pas d’accord sur la méthode de prix de transfert à appliquer, cet arrêt nous rappelle le rôle clé de l’analyse fonctionnelle qui permet la justification de la sélection de la méthode considérée comme étant la plus appropriée aux circonstances de l’espèce. Au cas présent, l’Administration a présenté une analyse fonctionnelle, non contestée par le contribuable, où la succursale était considérée comme sous-traitante de son siège ; l’application de la méthode du prix de revient majoré paraissait donc pertinente. Cette démonstration lui donne un avantage clair dans la dévolution de la charge de la preuve alors que le contribuable n’a pas justifié le bien-fondé de la méthode qu’il préconise.

S’agissant du mark-up appliqué sur les Charges Siège dites « S2 », on peut toutefois se demander si c’est à raison que la Cour a rejeté la décision du Tribunal administratif dans la mesure où l’Administration dit avoir déterminé le profit devant être attribué selon la méthode dite du prix de revient majoré. Or, l’utilisation de cette méthode requiert normalement un haut degré de comparabilité transaction par transaction. Il apparaît donc difficile de considérer que l’analyse économique présentée par l’Administration permettait une analyse fine des Charges Siège dites « S2 », puisqu’elle servait également à la justification d’autres transactions.

On peut également s’étonner que la Cour, selon ses termes, ait considéré que « la formule adoptée par le service est correcte » pour la détermination du bénéfice de l’établissement stable.

En effet, selon la méthode du prix de revient majoré, un sous-traitant se voit rémunéré sur ses coûts plus une marge.

Au cas d’espèce, les coûts étaient les suivants :

On aurait donc pu imaginer que le bénéfice de la succursale aurait pu être déterminé de la manière suivante :

La formule aurait alors été la suivante :

[(POG + S1 + (S2 x 1,1861)) x 0,1861] – (S2 x 0,1861)

En l’absence de plus amples informations, il est bien sûr compliqué d’affirmer que la méthode de calcul décrite ci-dessus devait absolument être celle appliquée. En revanche, il est possible d’affirmer que la formule mathématique présentée dans l’arrêt est contradictoire avec l’application de la méthode du coût majoré sur les Charges Siège dites « S2 ». La formule présentée ne permet en effet pas à la succursale de dégager une marge et la conduit à être déficitaire sur cette ligne de charges. Le multiplicateur (i.e. la marge) étant forcément inférieur à 1 : la formule [(S2 x 0,1861)) x 0,1861] – (S2 x 0,1861)] est nécessairement négative.

A titre subsidiaire, on peut également noter que l’allocation des frais administratifs et de direction par le siège à la filiale sans mark-up semble cohérente avec les commentaires OCDE ; la convention étant antérieure à 2010.

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