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Simplicité du CIR et complexité administrative

Créé en 1983, le CIR est-il devenu le dispositif trop complexe que les entreprises dénoncent ou reste-t-il le plus simple du financement de la recherche en France ?

Le CIR : un dispositif intrinsèquement complexe ou le plus simple du financement de la recherche ?

Dans le paysage des dispositifs fiscaux, le Crédit Impôt Recherche (CIR) est un cas unique qui mobilise au-delà des spécialistes usuels dans l’entreprise (RH et financiers/fiscalistes), les compétences scientifiques de haut niveau (ingénieurs et docteurs). Requérant des compte-rendus financiers et techniques, le CIR est aussi un dispositif apparemment lourd et coûteux pour l’entreprise. Aussi, malgré sa grande utilité pour développer l’innovation dans les entreprises et son réel succès (plus de 20 000 entreprises l’utilisent), des voix s’élèvent régulièrement pour en critiquer la difficulté et la complexité.

Qu’en est-il vraiment ? Existe-t-il des pistes de simplification potentielles inexploitées ?

Le CIR : une solution efficace et simple en théorie

Rappelons que le CIR a pour objectif de soutenir les entreprises dans leurs efforts et risques d’innovation et de modernisation de leurs compétences, de leurs produits et leurs technologies. Il s’agit ainsi de financer la capacité de mener des projets au-delà des moyens financiers disponibles de l’entreprise (donc au-delà des arbitrages internes aux organisations de l’entreprise – marketing, production, ventes, formation, etc.).

Le dispositif fiscal présente plusieurs avantages :

Rechercher de l’argent en externe dans la société n’est pas plus simple, car produire les documents nécessaires aux investisseurs est souvent un travail majeur d’explicitation et d’exposition du business plan complet de l’entreprise !

Une complexité pratique qu’il faut admettre

Le CIR n’est pas seulement défini par les quelques articles de loi qui en définissent le principe. La mise en œuvre repose sur :

Le CIR ne fait ainsi qu’hériter de la complexité administrative française. En regardant de plus près les composantes de l’assiette du CIR, la simplification semble peu évidente :

Chacun des éléments de l’assiette du CIR doit donc produire son lot de justificatifs adapté, complet et précis. On peut évidemment regretter que l’administration ait mis près de 30 ans à préciser la notion de personnel éligible et de rémunération ou les personnels dans des instructions fiscales (2015 et 2016), mais la démarche de clarification systématique des éléments du dossier financier est maintenant bien établie.

Cet édifice de justificatifs financiers repose sur une fondation de projets scientifiques, qui doivent tous se présenter comme étant de véritables projets de recherche, et non pas des bricolages ou rattrapages techniques (réinvention de l’eau tiède, etc.).

Le dossier technique de justification est ainsi un élément clé. Il valide en premier, non pas le projet de R&D de l’entreprise, mais la démarche suivie par l’entreprise, qui démontre ainsi l’existence et la qualité de son projet R&D : il y a des objectifs techniques et scientifiques clairs, des difficultés scientifiques et techniques, l’entreprise a fait un effort pour vérifier qu’il n’existait pas de solution répondant déjà au besoin sur le marché, et enfin, quels travaux de conceptualisation et expérimentaux (pour aboutir ou non) ont été réalisés et pour quels résultats. Tout chercheur admettra que ces éléments sont nécessaires pour définir un projet de recherche.

Une appétence internationale pour le dispositif

Le CIR n’est pas un dispositif exceptionnel à la France. Il s’agit au contraire d’une mesure largement utilisée dans et hors de l’OCDE (UK, Belgique, USA, Japon, Italie, Chine, Corée, etc.), chacun avec ses variantes locales (périmètre d’éligibilité, assiette fiscale, taux, crédit ou déduction d’impôt, etc.). Mais le succès international de ce type de mesure montre d’une part un besoin général de financement de la R&D des entreprises dans la course à l’innovation, et la part volontariste et contributive des états dans le développement économique. Il n’est pas de pays qui signe un chèque en blanc à ses entrepreneurs : la production de rapports techniques et financiers détaillés est universellement demandée, avec des niveaux de justification comparables à ceux de la France. Certains pays ont une notion de rapport technique « court », utilisé pour un premier examen des dossiers, et un dossier long détaillé en cas de contrôle approfondi.

Le CIR : un dossier sans erreur

La véritable difficulté du CIR est la nécessité de réaliser un dossier sans erreur. Une demande de subvention peut être corrigée, amendée, présentée plusieurs fois, argumentée à l’oral. La procédure d’examen par les services fiscaux ne permet pas l’à peu près ou des itérations successives de mise au point, dans un sens d’augmentation ou de réduction. Le dispositif peut même être bien pire que pour la subvention : au-delà des redressements, des amendes parfois élevées sanctionnent les erreurs techniques ou d’appréciation !

En conclusion

Si l’on admet le besoin de financements complémentaires pour les entreprises de leur R&D à risque, ainsi que la légitimité de l’Etat à supporter le développement de l’activité économique par la R&D, le CIR est un dispositif qui, après comparaisons, s’avère non seulement adapté dans ses différents volets, mais aussi performant dans la proportion des justificatifs demandés. Après une période d’apprentissage, et avec un peu de rafraichissement annuel, les entreprises françaises peuvent mettre en œuvre le CIR de façon performante.

La mise en œuvre rigoureuse et sans risque au sein de l’entreprise exige néanmoins un réel niveau de compétence des différents volets requis, ainsi que d’organisation pour produire en continu les éléments nécessaires à la documentation efficace du CIR. Un examen extérieur par des spécialistes techniques et juridiques pour valider le dossier avant sa communication aux services fiscaux peut être un atout de sécurisation important.