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Transfert de bénéfices au profit d’une société libanaise bénéficiant du régime des sociétés offshore

Selon la CAA de Versailles, l’Administration est dispensée, pour la mise en œuvre des dispositions de l’article 57 du CGI, d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de dépendance, lorsque la société bénéficiaire du transfert est établie dans un pays à fiscalité privilégiée (en l’espèce, société bénéficiant du régime libanais des sociétés offshore).

Rappel

On sait qu’en vertu de l’article 57 du CGI, l’Administration bénéficie d’une présomption de l’existence d’un transfert indirect de bénéfices par une société assujettie à l’IS en France vers l’étranger à condition qu’elle ait établi :

Ces avantages peuvent notamment prendre la forme de majorations ou de minorations du prix de vente, mais également d’avantages « par nature », c’est-à-dire des « cas d’avantages qui, par nature, déclenchent le jeu de la présomption de transfert indirect de bénéfices, sans qu’il soit besoin de procéder à une quelconque forme de comparaison avec des opérations réalisées par des entreprises comparables exploitées normalement » (analyse du rapporteur public Romain Victor dans ses conclusions sous CE, 19 septembre 2018, n°405779, Sté Philips France).

La société contrôlée peut toutefois renverser la présomption de transfert indirect de bénéfices hors de France si elle est en mesure d’établir l’existence d’une contrepartie obtenue justifiant l’octroi de l’avantage litigieux.

L’histoire

Une société française exerçant une activité de régie publicitaire et d’organisation de salons a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2008 à 2011.

L’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion la déductibilité des « charges de sous-traitance » versées à une société libanaise (qui partageait le même dirigeant que la société contrôlée), dans le cadre de contrats de prestations de services. Elle a également mis en œuvre le dispositif de l’article 57 du CGI pour assujettir les charges litigieuses à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI.

La décision de la CAA de Versailles

1.Non déductibilité des charges litigieuses sur le terrain de l’AAG

Par application des 2 contrats de prestations de services litigieux, la société libanaise s’était engagée à fournir à la société française des prestations de services d’assistance de direction générale, de gestion et d’assistance financière (rémunérées forfaitairement) ainsi que des prestations de représentation commerciale (rémunérées par une commission indexée sur le CA réalisé). Les sociétés s’étaient par ailleurs entendues sur le fait que la société française puisse se substituer à la société libanaise pour rémunérer leur dirigeant commun.

La CAA de Versailles rappelle les principes bien établis de dévolution de la charge de la preuve en matière de justification des charges (CE 20 juin 2003, n°232832, S.A Etablissements Lebreton – Comptoir général de peintures et annexes, CE 21 mai 2007, n°284719, min c/ Sté Sylvain Joyeux).

Elle relève, à cet égard, que :

Elle en conclut que l’Administration doit être regardée comme établissant que le paiement par la société française à la société libanaise des sommes en litige était dépourvu de contrepartie et constituait bien un acte anormal de gestion, de sorte qu’elle était fondée à en remettre en cause la déductibilité.

Mise en œuvre de l’article 57 du CGI

Sur l’existence d’un lien de dépendance : On rappelle que l’Administration est, par exception, dispensée d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de dépendance lorsque le transfert s’effectue au profit d’entreprises établies dans un pays à fiscalité privilégiée ou un ETNC. En l’espèce, la société libanaise bénéficiait du régime spécifique des sociétés offshore.

En vertu du droit libanais et notamment du décret-loi n°46 du 24 juin 1983 modifié dont le principal objet était d’alléger les modalités de constitution d’une société offshore, les sociétés de droit libanais ayant une activité de négociation et signature de contrats dont l’exécution a lieu hors du Liban, et/ou de gestion, à partir du Liban, de sociétés dont l’activité s’exerce exclusivement hors du Liban, d’exportation de services professionnels, administratifs et organisationnels, pour le compte d’établissements situés hors du Liban, et exerçant leurs activités essentielles hors du territoire national sont considérées comme des sociétés offshore et bénéficient à ce titre d’un régime fiscal privilégié. Dans ce cadre, ces sociétés sont exemptées d’un grand nombre d’impôts, notamment de l’impôt sur les bénéfices de droit commun, mais acquittent en contrepartie une imposition forfaitaire annuelle, de l’ordre d’un million de livres libanaises, soit quelques centaines d’euros.

Dès lors, la Cour considère que la société libanaise bénéficiait bien d’un régime fiscal privilégié, de sorte que l’Administration était dispensée d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de dépendance… mais seulement pour l’application de l’article 57 du CGI.

En effet, la Cour choisit, de façon assez singulière, de se référer également aux dispositions de la convention franco-libanaise.

Celle-ci permet, en son article 11, que soient opérés des rehaussements de bénéfices imposables en présence de relations commerciales ou financières différant de celles qui auraient été convenues entre entreprises indépendantes, lorsque soit une entreprise d’un État contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre État contractant, soit les mêmes personnes participent directement ou indirectement à une telle situation de direction, de contrôle ou de capital. La Cour relève, pour l’application de ces dispositions, l’existence d’un lien de dépendance de fait (dirigeant commun).

On observera que cette référence à la convention franco-libanaise est d’autant plus curieuse, que, dans une décision relative à une société libanaise bénéficiant du même régime offshore, le Conseil d’État avait écarté la qualification de résident libanais, et donc l’application de la convention (CE, 20 mai 2016, n° 38994, Sté Easyvista).

Sur l’existence d’un avantage : la Cour se réfère au raisonnement déjà retenu pour caractériser l’existence d’un acte anormal de gestion pour en conclure que les sommes versées à la société libanaise constituaient de pures libéralités, consenties dans un intérêt autre que celui de la société française.

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