Site icon Deloitte Société d'Avocats

La fiscalité, objet médiatique non-identifié

La fiscalité, objet médiatique non-identifié

Cela fait près de deux ans qu’elle se glisse dans chaque conversation, qu’elle fait la une de tous les journaux, on ne parle que d’elle, chacun y va de son commentaire. Pourtant rien ne prédisposait cette matière aride et très technique, usuellement cantonnée à la presse juridique et financière, à trouver sa place aux 20 Heures ou en une de médias généralistes.

Comment expliquer l’hyper-médiatisation du sujet « fiscalité » ? Quels sont des ingrédients de ce feuilleton politico-médiatique qui touche tant de pays ? Doit-on se satisfaire de cette omniprésence ? Retour sur le phénomène médiatique 2013.

Un sujet médiatique inattendu dans le top des classements

La fiscalité s’est invitée à toutes les tables et a battu des records d’audience cette année. Elle fait l’objet de simples commentaires, de débats animés, d’enquêtes ou de tentatives de décryptage dans tous les supports (Capital, Envoyé Spécial, Cash Investigation, Spécial investigation, etc.). De l’expert à l’amateur, tous s’y adonnent, soit sur des cas particuliers, soit en évoquant les grands concepts fiscaux. Signe indéniable de cette lame de fond, le classement Kantar des 25 bruits médiatiques de l’année 2013 qui fait figurer deux sujets fiscalité, dont un dans le trio de tête, l’affaire Cahuzac.

Pourtant, l’impôt n’est pas un sujet nouveau, il est aussi ancien que la notion d’Etat. Mais bien que la fiscalité soit un sujet difficile à aborder nécessitant détails techniques et spécifiques, les chiffres sont implacables : au cours de l’année 2013, près de 1240 articles de la presse générale nationale comprenaient dans leur titre les mots « fiscalité », « taxe » ou « impôt » (voir graphique ci-contre), faisant de la fiscalité un sujet plus médiatique que Brangelina ou l’équipe de France.

La thématique est devenue la porte d’entrée pour parler politique, économie ou consommation, elle passionne, elle fait vendre et elle a ses icônes : Cahuzac, Saint Amans, Piketti, Google, Total, etc.

Les magazines sectoriels dédient une rubrique à la bonne pratique fiscale de leur marché, les médias économiques courent après le scoop à Bercy, les journalistes politiques analysent l’influence fiscale de tel ministre ou tel député. La fiscalité est le nouveau feuilleton dont chacun veut connaître la suite au prochain numéro. Mais pourquoi diable un tel engouement ?

Les ingrédients d’un bon western : le bon, la brute et le truand ?

D’abord, pour une fois, ce n’est pas un French paradox, la fiscalité est un sujet commun à toute l’Europe de l’Ouest1

Ensuite, si la faible croissance et la crispation budgétaire sont sans doute des facteurs rationnels expliquant l’émergence du sujet dans le quotidien, c’est surtout l’apparition de protagonistes, d’icônes et de clivages bons-méchants qui composent les ingrédients de ce véritable western médiatique. Des règlements de compte individuels (Cahuzac, Depardieu ou B. Arnault) aux affrontements entre tribus (pigeons, poussins ou sacrifiés) en passant par des guerres de territoire avec l’émergence de la géopolitique fiscale (véritable guerre entre les Etats pour capter les ressources auprès des entreprises internationales), tout le monde tire dans tous les coins. Il y a ceux qui évitent les balles et ceux qui prennent les balles perdues. Comment est-ce arrivé ?

Le clivage entre les méchants et les gentils n’est plus le même. On a assisté à un changement de paradigme à tous les étages. Autrefois, les contribuables s’opposaient à ceux qui encaissaient l’impôt, les Etats. Aujourd’hui, la confrontation est entre ceux qui paient, ceux qui ne paient pas et ceux qui ne paient pas assez. Aujourd’hui, les projecteurs sont régulièrement braqués sur les stratégies fiscales des entreprises pour éviter les tirs gouvernementaux. L’Etat, ce shérif qui ne peut rien contre Google et qui regarde impuissant des banques s’exiler à Londres. Le territoire de jeux des entreprises n’est plus le même non plus et la fiscalité devient le premier sujet de diplomatie internationale. Les Etats-Unis font disparaître le secret bancaire suisse et cette victoire est perçue comme une prise de guerre.

Quelles conséquences à l’hypermédiatisation ?

Mais cette mise en scène crée des dangers sur le fond. En donnant la parole à tous, les messages se brouillent. Le gouvernement, entre deux cafouillages est pris de court par les médias. Les élus apprennent parfois un projet dans la presse avant d’en être informés par Matignon. Ainsi, la « remise à plat de la fiscalité » en est l’illustration : P. Moscovici a découvert les intentions de J.M. Ayrault dans le journal.

Les messages retransmis par la presse sont parfois simplistes, caricaturaux ou alarmistes. Des simplifications voire des confusions naissent. Ainsi, l’optimisation fiscale, qui consiste à étudier les options possibles pour effectuer un choix devient pour certains de la fraude. Le contribuable, inondé de messages contradictoires est victime du fameux « ras-le-bol fiscal », qui met son consentement à l’impôt – base de la fiscalité – à rude épreuve. Lorsqu’on interroge un journaliste sur cette survisibilité, il répond qu’il « en a conscience, mais que malheureusement, Bercy produit chaque jour un nouvel épisode pour défrayer la chronique ».

Plus que d’une pause fiscale, un « silence » fiscal devient indispensable. Au-delà du travail de communication à fournir côté gouvernement et Parlement, les journalistes ont sans doute ici un rôle civique à jouer, le temps d’une trêve en offrant le silence aux lecteurs. Un véritable travail de pédagogie doit être mis en œuvre pour que la fiscalité redevienne un sujet rationnel et maîtrisé. Il faut dépassionner les foules sur le sujet et faire la démonstration de l’utilité réelle des mesures. Il faut sortir de ce western où chacun joue pour son camp et donner de l’envergure et de la hauteur de vue. Pour cela, la parole doit être réservée à ceux qui connaissent le sujet et fondent leur discours sur des éléments tangibles.


1  Source : European Tax Survey par Deloitte Société d’Avocats, Membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited.
Exit mobile version