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Coronavirus et droit du travail : la France est en guerre … et nous aurons bientôt un droit de la guerre

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La France en guerre contre le coronavirus : un droit spécial social du coronavirus en cours de préparation

Face à l’épidémie de coronavirus que traverse la France, la crise sanitaire la plus grave depuis un siècle, le Président de la République a déclaré, à plusieurs reprises, dans son allocution télévisée du lundi soir 16 mars 2020, que « la France est en guerre » contre le coronavirus.

Lorsqu’un pays est en guerre, des mesures exceptionnelles sont prises : c’est ainsi que les Français ont été appelés à ne pas sortir, sauf cas exceptionnels. Ils ne doivent pas en particulier aller travailler, sauf lorsque le télétravail se révèle impossible. Un train de mesures nouvelles, qui seront adoptées par ordonnance, est en cours de préparation.

Selon les dernières déclarations du Président, « dès mercredi, en conseil des ministres, sera présenté un projet de loi permettant au gouvernement de répondre à l’urgence et, lorsque nécessaire, de légiférer par ordonnances dans les domaines relevant strictement de la gestion de crise. Ce projet sera soumis au Parlement dès jeudi ».

En d’autres termes, le Président de la République annonce qu’il prépare un « droit de la guerre », qui prendra la forme en particulier d’un droit social spécial du coronavirus.

Droit social spécial du coronavirus : bonne ou mauvaise chose ?

Faut-il se réjouir de cette annonce, compte tenu des circonstances exceptionnelles que traverse le pays et des dangers que le coronavirus fait peser sur l’activité des entreprises et la santé des salariés ? Ou au contraire le déplorer, en estimant qu’il n’est jamais bon de déroger au droit commun, applicable en temps de paix, parce que ces dérogations conduisent nécessairement à restreindre les droits et libertés ?

Il est sans doute trop tôt pour répondre à la question. Il faudra juger sur pièces, au regard des textes adoptés, pour se forger une opinion.

En tout état de cause, on peut faire au moins deux observations :

Premièrement, y compris en temps de guerre, tout n’est pas permis.

Ainsi, par exemple, une interdiction générale des licenciements, évoquée par la Ministre du travail Muriel Pénicaud (« pendant la période, c’est zéro licenciement »), est impossible. Elle serait contraire à la constitution, et en particulier à la liberté d’entreprise. Le droit de la guerre obéit donc lui-même à des principes supérieurs : « à la guerre comme à la guerre » n’est pas un mot d’ordre qu’une société libérale et démocratique peut inscrire au frontispice de ses bâtiments publics.

Deuxièmement, les entreprises ne disposent pas aujourd’hui « d’armes de guerre » contre le coronavirus

Les entreprises ne disposent pas en effet aujourd’hui, en droit du travail, d’outils (ou d’armes) façonnés pour lutter contre le coronavirus et gérer les conséquences de cette épidémie sur leur activité comme sur la santé de leurs salariés.

En d’autres termes, il n’existe pas un droit social spécial du coronavirus et les outils, traditionnels, dont disposent les entreprises ont été inventés et mis au point dans d’autres circonstances que celles qu’elles traversent aujourd’hui.

Les pouvoirs de l’employeur sont ainsi limités ; dans la lutte contre le coronavirus, il ne dispose pas des pleins pouvoirs pour arrêter et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour préserver le maintien de l’activité et la santé des salariés.

Prenons quelques exemples, éclairants.

 

L’entreprise peut-elle imposer à un salarié de prendre des congés ?

Réponse négative.

Elles devront recueillir son accord.

Peuvent-elles dispenser un salarié d’activité, y compris en maintenant sa rémunération ?

Là encore, une réponse négative s’impose.

 

Les entreprises peuvent-elles être contraintes de verser sa rémunération à un salarié qui ne peut pas travailler sans pour autant bénéficier des indemnités journalières maladie ?

Réponse positive.

Sauf à démontrer qu’elles sont confrontées, avec le coronavirus, à un cas de force majeure.

 

Si un employeur envisage des modifications importantes de l’organisation du travail, le recours au « chômage partiel » ou des dérogations à la durée du travail et aux repos, devra-t-il nécessairement consulter préalablement son CSE, quand bien même ces mesures devraient être prises de toute urgence ?

Réponse positive.

Le coronavirus n’exonèrera pas l’employeur de son obligation de consultation préalable.

 

On voit bien là, avec ces différents exemples, que les entreprises disposent pour faire la guerre au coronavirus d’outils inventés en temps de paix et qu’en attendant de nouveaux outils, promis par le Président, ceux-là doivent toujours servir, et ceux-là seulement.
L’adoption d’un droit de la guerre ou d’un droit social spécial du coronavirus devrait conduire à donner à l’employeur des pouvoirs plus grands dans la lutte contre cette épidémie pour maintenir l’activité de l’entreprise et protéger la santé des salariés, sans pour autant, soyons-en sûr, le transformer en despote.

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