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Coronavirus : quel usage de la force majeure dans les contrats commerciaux ?

La pandémie de Coronavirus percute de plein fouet l’exécution des contrats en rendant celle-ci plus difficile, voire impossible. Il ne s’agit pour autant pas d’un cas de force majeure systématique, qui autoriserait le débiteur d’une obligation de s’exonérer de ses obligations. Mais, en même temps, cela peut constituer un fait pris en compte pour adapter l’exécution du contrat.

Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire.

Rappels du contexte

Cet état de « guerre sanitaire » annoncé par le Président de la République le 16 mars dernier suscite de nombreuses interrogations parmi les entreprises : quel comportement doivent-elles adopter dans la gestion des relations commerciales alors qu’elles font face pour la plupart à des retards d’exécution, des défauts d’approvisionnement, voire à des demandes de résiliation de contrats ?

Si, le 28 février dernier, le Ministre de l’Economie a déclaré que le coronavirus « sera considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises », il a précisé :  cela « pour tous les marchés publics de l’Etat… nous n’appliquerons pas de pénalité ». Cette déclaration engage donc l’Etat pour les marchés publics et les contrats de droit public comportant une clause de pénalité. Un texte est attendu à cet égard dans les prochains jours.

Dans ce contexte, la question de la force majeure dans les contrats de droit privé conclus par les entreprises prend tout son sens : la pandémie de coronavirus sera-t-elle également considérée comme un cas de force majeure dans les contrats privés soumis au droit français ?

Premier élément de réponse, fondamental : la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, adoptée dimanche 22 mars, ne qualifie pas l’épidémie de covid-19 de cas de force majeure.

Les éléments constitutifs du cas de force majeure

Dans les relations contractuelles, la force majeure permet à la partie qui l’invoque, dans l’hypothèse où elle est effectivement caractérisée, de s’exonérer de toute responsabilité en cas d’inexécution de ses obligations, de suspendre le contrat voire, et surtout de le résilier sans pénalités. La question de l’application de la force majeure met en balance des intérêts nécessairement divergents selon qu’on se place du point du vue du client ou du point de vue du fournisseur.

S’agissant de la définition de la force majeure, l’article 1218 du code civil dispose que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

Trois conditions cumulatives à remplir

Il en résulte que  pour être considéré comme un cas de force majeure, le coronavirus doit être :

1. Extérieur

Le coronavirus est évidemment indépendant de la volonté des parties. Le critère d’extériorité est donc rempli.

2. Imprévisible

Le coronavirus doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat.

Il convient donc d’identifier à partir de quand le coronavirus ne peut plus être considéré comme imprévisible.

Dans des contentieux où la force majeure était invoquée dans des relations contractuelles en raison d’une épidémie, les juges ont déjà pu retenir un défaut d’imprévisibilité. A titre d’exemple, il a été considéré que le virus de la dengue n’était pas un cas de force en raison du caractère récurrent de cette maladie dans les Antilles françaises (CA Nancy, 1re Chambre civile, 22 novembre 2010, RG nº 09/00003). De même pour le virus du H1N1, les juges ont pu considérer qu’il ne constituait pas un cas de force majeure au moment de la conclusion du contrat en cause car il n’était plus imprévisible à cette date en raison des annonces faites avant même la mise en place de mesures sanitaires (CA Besançon, 2e Chambre commerciale, 8 janvier 2014, RG nº 12/02291).

S’agissant du coronavirus, il a été déclaré « urgence de santé publique à portée internationale » par l’Organisation Mondiale de la Santé le 30 janvier dernier, cette date pourrait être susceptible d’être retenue comme date de référence. En tout état de cause, un contrat conclu aujourd’hui ne pourrait certainement plus être suspendu au titre d’un cas de force majeure lié au Coronavirus.

3. Irrésistible

Le coronavirus doit être insurmontable pour le débiteur de l’obligation, c’est-à-dire qu’il n’a aucun moyen d’exécuter ses obligations contractuelles. Le débiteur devra donc démontrer qu’il n’avait aucun moyen d’exécuter ses obligations même en recourant à des moyens alternatifs (changement de fournisseur, recours à un nouveau circuit d’approvisionnement, etc.)

Le défaut d’irrésistibilité a déjà fait obstacle à la qualification de force majeure dans le cadre de certaines épidémies. (CA Nancy, 1re Chambre civile, 22 novembre 2010, RG nº 09/00003 / CA Basse-Terre, 1re Chambre, 17 décembre 2018, RG nº 17/00739). En effet, l’épidémie invoquée doit faire obstacle à l’exécution de l’obligation principale du contrat, de sorte que s’il s’agit simplement d’en rendre l’exécution plus compliquée, et même plus onéreuse, cela ne constitue pas en soi une cause d’irrésistibilité.

Un lien de causalité à démontrer

Il conviendra également de démontrer le lien de causalité entre l’épidémie de coronavirus et l’inexécution contractuelle. En ce sens, les juges ont pu admettre que le virus Ebola pouvait être considéré comme un cas de force majeure mais ont débouté une société demandant des délais de paiement pour ses cotisations sociales au motif qu’elle n’avait pas établi que sa baisse de trésorerie était liée au virus Ebola affectant ses deux filiales implantées en Afrique de l’Ouest (CA Paris, pôle 06, 12e chambre, 17 mars 2016, RG n° 15/04263).

Une appréciation au cas par cas

En tout état de cause, le juge se livrera à une appréciation in concreto et au cas par cas des cas de force majeure qui seraient soulevés par les entreprises souhaitant soit résilier un contrat soit échapper au paiement d’éventuelles pénalités de retard soit de manière plus générale s’exonérer de leurs responsabilités.

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