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La société à mission : un cadre juridique opérationnel pour responsabiliser les entreprises

Le concept de « société à mission » a été introduit par la loi Pacte de 2019 (article 176). Son fonctionnement a été précisé par le décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020 (ci-après nommé le « Décret »).  
 
Décryptons cette nouvelle notion.  

La « société à mission » est définie comme une entreprise dotée d’une raison d’être et tenue de poursuivre des objectifs sociaux et environnementaux. Il ne s’agit pas d’une forme sociale nouvelle mais d’une qualité dont une société peut faire publiquement état.  

Elle correspond au « troisième étage » du dispositif instauré par la Loi Pacte, exposé ci-dessous, ayant pour objectif de redéfinir le rôle de la société dans le monde de demain, à travers une prise en compte accrue et objective de l’impact social et environnemental de son activité :  


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Analyse de la labellisation « société à mission » 

Le troisième et dernier palier de ce nouveau dispositif est opératoire depuis janvier 2020. Nos experts vous livrent leur analyse : 

Conditions pour bénéficier du statut de « société à mission » 

L’article L 210-10 du Code de Commerce expose les conditions à respecter pour être qualifiée « société à mission » : 

Conditions concernant les statuts de la « société à mission » 

Condition de vérification de l’exécution des objectifs par un organisme tiers 

La vérification de la mise en œuvre de cette mission volontairement déterminée par la société à mission, se fait dans les conditions exposées au Décret, par un organisme tiers indépendant (l’« OTI »). Ce dernier vérifie l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux. L’OTI, qui peut en pratique être l’un des commissaires aux comptes de la société, a une grande liberté d’action pour remplir sa mission car le Décret l’autorise notamment à procéder à toute vérification sur place qu’il estime utile et consulter tout document qu’il juge nécessaire. A la fin de sa mission, l’OTI rend un avis motivé aux termes duquel il indique notamment si la société respecte ou non les objectifs qu’elle s’est fixés. L’OTI peut aussi indiquer son impossibilité de parvenir à une conclusion mais les conséquences d’une absence d’avis ne sont pas précisées dans le Décret. 

Condition de publication 

Une déclaration de qualité de société à mission, une fois décidée par les organes sociaux, doit être faite par la société au greffier du tribunal de commerce, suivie par la publication de cette qualité au registre du commerce et des sociétés. La publication intervient sous réserve de la conformité des statuts aux conditions exposées ci-dessus.  

En dépit de cette procédure simple qui a pour objectif d’inciter les sociétés à faire la démarche, regrettons sans le bouder le fait qu’aucune précision n’est apportée sur l’examen de conformité des statuts qui doit être effectué par le greffier. Ce dernier est donc laissé seul face à cette responsabilité. Dans le silence des textes, on peut suggérer que, a minima, le greffier vérifiera la satisfaction formelle des exigences légales (une raison d’être, des objectifs articulés inscrits dans les statuts).

Quelle responsabilité pour les sociétés qui choisissent la qualité de « société à mission » ? 

Dans les différentes sources d’inspirations de la loi Pacte (rapports parlementaires et, notamment, le rapport de Mme Nicole Notat et M. Jean-Dominique Senard du 9 mars 2018 intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif »), il est indiqué que la « société à mission » crée une obligation de résultat, contrairement à une société à « raison d’être » qui implique uniquement une obligation de moyens. Cela soulève la question des conséquences pratiques de ces obligations, positivement : que faut-il faire et, négativement, que se passe-t-il en cas de non-respect de ces obligations ? 

La seule sanction légalement prévue est le retrait de la qualification de « société à mission » dès lors que les conditions qui justifient ce label ne sont pas ou plus remplies.  

A cela s’ajoute le droit commun qui laisse entendre que différentes actions sont possibles : 

La responsabilité des dirigeants d’une « société à mission », qui est déjà, indépendamment de toute mission, une responsabilité pas toujours facile à engager, peut certainement s’envisager en application du droit commun. Comment en serait-il autrement dès lors que les statuts de la société sont modifiés pour y intégrer une raison d’être doublée des objectifs sociaux ou environnementaux ? Dans l’hypothèse de décisions de gestion contraires à cette raison d’être ou aux autres objectifs fixés dans les statuts, les associés pourraient engager la responsabilité des dirigeants sur le fondement de la violation des statuts (article L 225-251 du Code de commerce). A la condition, toutefois, et cela n’est pas anodin, qu’ils prouvent un dommage et un lien de causalité entre la violation des statuts et le dommage causé. 

On constate donc, au travers de cet exemple, que si la responsabilité des dirigeants trouvera, en principe, un fondement, elle ne semble pas devoir être mise en œuvre facilement.  

Il n’en reste pas moins que la société à mission vise des objectifs, en tant qu’entité commerciale, ce qui amène à se demander si cela a un effet direct sur la responsabilité civile de l’entreprise, responsabilité alors engagée par des tiers. Pourrait-on considérer que le fait de ne pas suivre la raison d’être ou les objectifs sociaux et environnementaux, ou de les suivre de manière non satisfaisante ou insuffisante, est constitutif d’une faute ?  Si c’était le cas, ce serait là le vrai changement dans les conditions de l’engagement de la responsabilité des sociétés.  Pour autant, en l’état des textes et de la jurisprudence, cette hypothèse semble réduite. Il faudrait cependant attendre la construction d’une jurisprudence pour identifier les réelles conséquences du label de « société à mission » sur la responsabilité civile des dirigeants et sur celle de la société en tant que personne morale. 


 
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