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Dutreil-transmission : fin des turbulences avant la prochaine tempête ?

Pacte Dutreil et engagement collectif réputé acquis

Après la révision attendue et enfin publiée de la doctrine fiscale, la transmission d’entreprise sous Dutreil ne semble jamais avoir bénéficié d’un cadre aussi balisé … mais dont la pérennité n’a jamais été autant chahutée.

 La mise à jour de la doctrine fiscale relative au dispositif fiscal de faveur dit « pacte Dutreil » et entrée en vigueur de 6 avril 2021 a fait couler beaucoup d’encre tant elle reflétait une position équivoque de l’administration, parfois même en contradiction avec les évolutions législatives du dispositif, remettant en cause l’approche pratique de certains dossiers de transmission. Cette dernière était ouverte à la consultation publique afin de recevoir les remarques des praticiens qui n’ont pas manqué de faire part de leurs nombreux commentaires et interrogations.

C’est ainsi que, le 21 décembre, l’administration fiscale a publié une seconde mise à jour de sa doctrine en revenant sur la plupart des commentaires qui avaient suscité la critique. Notons que les principaux points de débat ont été corrigés dans le sens de l’esprit simplificateur voulu par le législateur de 2019 et tel que plébiscité par la pratique.

Les sujets sur lesquels nous pourrions souligner les évolutions sont nombreux, cependant, nous nous limiterons ici aux principaux points que nous avions alors commentés et pour lesquels l’administration fiscale a revu sa copie.

Une définition de la holding animatrice précisée

L’administration fiscale avait introduit dans sa doctrine une définition de la holding animatrice dans le cadre du dispositif Dutreil. Elle a intégré à cette occasion la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat qui a reconnu la possibilité aux holdings animatrices d’exercer une activité mixte sous réserve notamment que la valeur vénale de ses actifs soit constituée majoritairement par des participations dans des filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.

Il convient toutefois de souligner que dans cette seconde version, l’administration formalise expressément une contrainte supplémentaire en exigeant que cette prépondérance s’apprécie, non seulement au jour de la transmission comme préconisé par la jurisprudence, mais également pendant toute la durée des engagements de conservation.

La composition des actifs d’une société holding ainsi que leur valeur étant amené à évoluer, cette condition implique une vigilance accrue du respect, sur le long terme, des critères démontant l’effectivité de l’animation.

Les restructurations et transmissions de groupes de sociétés sous pacte Dutreil facilitées

L’administration fiscale a fait évoluer sa doctrine afin de lui redonner une certaine cohérence avec la pratique des transmissions réalisées par l’intermédiaire d’une ou deux sociétés holdings interposées.

Elle revient ainsi sur sa position qui consistait à imposer au donateur, qui aurait apporté à une holding l’intégralité de sa participation dans sa société opérationnelle, de participer directement à l’engagement collectif, pris sur les titres de la société cible. Cela supposait qu’il retrouve préalablement une participation directe dans cette société, remettant ainsi en cause la structuration souhaitée du groupe.

Ces nouveaux commentaires précisent par ailleurs que le niveau de participation, directe ou indirecte, dans une holding interposée, qui doit être maintenu pour toute la durée des engagements, est apprécié en nombre de titres détenus et non en pourcentage écartant ainsi le préjudice qui résulterait d’une dilution de l’associé sous engagement sous réserve que les seuils minimum de droits financiers et de droits de vote prévus au 1 du b de l’article 787 B du CGI continuent d’être respectés.

Nous relevons positivement l’abandon de l’interprétation trop littérale de l’article 787 B f. qui permet l’apport à une holding de titres sociaux soumis à engagements de conservation sans remettre en cause l’exonération partielle sous réserve du respect d’un rigoureux régime juridique. L’administration avait en effet, une lecture restrictive de ce régime en exigeant que l’actif de cette holding soit composé majoritairement des titres sous engagements de conservation à l’exclusion de toute autre participation de la même société. Désormais, ce ratio prendra en compte l’intégralité de la participation dans la société cible, mêmes ceux qui ne sont pas soumis aux engagements de conservation.

L’organisation de la gouvernance d’entreprise post-transmission assouplie

Alors que, dans la version d’avril, l’administration fiscale tentait de limiter la faculté pour le donateur de poursuivre une fonction de direction dans la société, post-transmission, elle reconnait désormais expressément que la condition d’exercice d’une fonction de direction est remplie lorsqu’un signataire de l’engagement collectif exerce cette fonction alors même qu’il aurait depuis la signature de cet engagement, transmis tous les titres qui y sont soumis.

Cet ajustement de la doctrine redonne en pratique toute son efficacité aux engagements collectifs dit « défensifs » mis en place dans les sociétés familiales où l’accompagnement du donateur, maintenu à la fonction de direction, apparait indispensable à la pérennité de l’entreprise.

En ce sens également, dans le cadre d’un engagement collectif réputé acquis, si la fonction de direction doit bien être remplie par le donataire à compter de la transmission, l’administration admet désormais de manière explicite une codirection entre donataire et donateur et l’exercice de cette fonction par un mandataire en présence d’héritiers mineurs.

Pacte Dutreil : un dispositif à peine stabilisé… mais déjà menacé 

Les praticiens peuvent ainsi retrouver une certaine sérénité dans la mise en place de la transmission d’entreprise sous Pacte Dutreil, même si l’exonération partielle appliquée reste conditionnée au respect de nombreuses contraintes, qui constituent une nécessaire contrepartie à l’application de ce dispositif fiscal de faveur.

Cependant, il convient de garder à l’esprit que ce nouveau cadre normatif de la transmission d’entreprise s’inscrit dans un contexte bien particulier et peu favorable au Pacte Dutreil. Dès le mois de mai 2021, un rapport de l’OCDE mettait en évidence la forte concentration des richesses dans les pays de l’OCDE ainsi que la répartition inégale des successions, soulignant que l’impôt sur les successions est un moyen efficace au service de la réduction de ces inégalités.  Dans le même sens, le rapport de la Commission sur les grands défis économiques « Blanchard-Tirole », préconisait une réforme d’ampleur de l’imposition des successions en suggérant notamment de réserver l’exonération « Dutreil » aux entreprises de taille modeste par la mise en place d’un plafonnement.

En outre le jour même où l’administration révélait ses nouveaux commentaires, le Conseil d’Analyse Economique publiait une étude qui faisait ce même constat que la transmission du patrimoine, notamment professionnel, est un frein à la lutte contre les inégalités, appelant cette fois à la suppression du dispositif Dutreil jugé inefficace.

Aussi, alors que nous entrons dans un temps de campagne présidentielle puis législative, les enjeux liés à la fiscalité successorale ne manqueront pas d’être des marqueurs politiques forts entre les divers candidats. Il est permis de penser que le paysage que nous connaissons en la matière pourrait être radicalement différent à l’été prochain. Ce qui laisse planner une incertitude sur le sens d’une nouvelle évolution.

Au regard des textes légaux, de la jurisprudence et de la doctrine fiscale en vigueur, le droit positif n’a jamais offert un cadre aussi sécurisé aux transmissions d’entreprises. Face à cet alignement des planètes, par nature éphémère et déjà menacé, il est donc urgent de profiter de ce dispositif qui reste encore à ce jour extrêmement favorable à la transmission des entreprises et groupes familiaux.   

 

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