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Intangibilité du bilan d’ouverture : conditions de mise en œuvre du droit à l’oubli

Photo du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur la dévolution de la charge de la preuve dans le cadre de la mise en œuvre du « droit à l’oubli » permettant de déroger à la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit.

Rappel

On sait que les erreurs ou les omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d’un exercice qui entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l’actif net peuvent, à l’initiative du contribuable qui les a involontairement commises ou à celle de l’Administration, être réparées dans ce bilan.

Lorsque les mêmes erreurs ou omissions se retrouvent dans les écritures de bilan des exercices antérieurs, elles doivent être symétriquement corrigées, pour autant que l’Administration n’établisse pas qu’elles revêtent, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré.

Ce jeu des corrections symétriques des bilans est toutefois limité par la règle dite de l’intangibilité du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit (CGI, art. 38, 4 bis). Cette règle a pour effet de limiter la portée de la correction symétrique des bilans et de permettre ainsi au service vérificateur de procéder à des rehaussements de bénéfices au titre du 1er exercice non prescrit à raison d’erreurs qui peuvent avoir été commises au cours d’un exercice prescrit.

Ce principe comporte néanmoins des exceptions. En particulier, il ne s’applique notamment pas lorsque l’entreprise établit que les erreurs ou omissions à l’origine de l’insuffisance d’actif net ont été commises plus de 7 ans avant l’ouverture du 1er exercice non prescrit, soit depuis plus de 10 ans, si l’on ajoute les 3 ans couverts par la prescription abrégée en matière d’impôt sur les sociétés (exception dite du « droit à l’oubli »).

Cette exception, qui ne joue pas pour les erreurs volontaires exclusives de bonne foi (CE (na) 25 juillet 2013, n°365679), s’exerce aussi bien lorsque l’erreur affecte un élément de l’actif que du passif du bilan.

Enfin, le Conseil d’Etat a, plus récemment, précisé qu’une erreur affectant de manière constante un élément de l’actif ou de passif, même reconduite de bilan en bilan, n’est pas constitutive d’une erreur récurrente interdisant de revendiquer le bénéfice du droit à l’oubli, dès lors que l’inscription initiale erronée n’a fait et ne devait faire comptablement l’objet d’aucun réexamen depuis cette date (CE, 24 janvier 2018, n°397732, SARL Bar du Centre).

L’histoire

A l’issue d’une vérification de comptabilité d’une SCI, portant sur les exercices clos de 2011 à 2013, l’Administration a remis en cause comme injustifiés dans leur principe et leur montant des passifs inscrits au bilan de clôture de l’exercice clos en 2013 comme correspondant à des emprunts et les intérêts de ces emprunts contractés auprès d’une entreprise liée de droit luxembourgeois.

Par le jeu de la correction symétrique des bilans, l’Administration a réintégré les emprunts dans les résultats de l’exercice clos en 2011.

La société a alors demandé à bénéficier du droit à l’oubli (et donc de la correction du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit – 2011 en l’espèce), en arguant que cette dette correspondait à un apport datant de 1989 et qu’il s’agissait dès lors d’une erreur commise depuis plus de 7 ans avant l’ouverture du 1er exercice non prescrit.

L’Administration a toutefois refusé de faire droit à cette demande, confortée en cela par la CAA de Marseille.

La décision du Conseil d’Etat

Pour confirmer le refus de l’Administration de faire bénéficier la société du droit à l’oubli, la CAA avait jugé que dès lors que la société ne justifiait pas de manière suffisamment précise de la réalité, de l’ancienneté, et du montant des dettes dont elle se prévalait, elle n’était pas fondée à soutenir que les écritures litigieuses trouveraient leur origine dans de simples erreurs ou omissions non délibérées.

Autrement dit, les juges d’appel ont considéré que c’était à la société requérante de prouver qu’elle était de bonne foi et qu’elle n’avait pas commis d’erreur délibérée.

Le Conseil d’Etat annule leur décision pour erreur de droit, et considère qu’en l’espèce, la société apportait bien la preuve objective d’une erreur commise depuis plus de 7 ans avant l’ouverture du 1er exercice non prescrit.

C’est alors à l’Administration qu’il incombait d’apporter la preuve du caractère délibéré de cette erreur pour écarter l’application du droit à l’oubli – preuve non apportée en l’espèce.

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