Site icon Deloitte Société d'Avocats

Liquidation amiable d’une filiale étrangère : sort des pertes subies par une société mère française sur les titres et sur les créances détenues sur sa fille

La CAA de Paris écarte, en l’espèce, la déductibilité de la perte sur créance correspondant aux avances accordées par une société mère française à sa filiale turque avant que celle-ci ne fasse l’objet d’une liquidation amiable, ainsi que de la moins-value à court terme constatée à raison des titres annulés à l’occasion de la liquidation.

L’histoire

Une société française a accordé des avances à sa filiale turque détenue à 90 %, qui rencontrait des difficultés financières depuis plusieurs années déjà.

Elle a également procédé à sa recapitalisation, avant qu’une décision de liquidation amiable ne soit arrêtée en AGE en janvier 2014.

De ce fait, au titre de son exercice clos en 2015, la société française a :

De plus, en 2014, elle avait accordé une avance complémentaire dépréciée à la clôture de l’exercice.

A l’issue d’une vérification portant sur les exercices 2014 et 2015, l’Administration a remis en cause la déduction de la dépréciation de la créance correspondant à l’avance accordée en 2014 ainsi que la déduction de la perte sur les créances constatées en 2015, estimant qu’il s’agissait, en réalité, d’un abandon de créance à caractère financier, non déductible en application des dispositions de l’article 39,13 du CGI.

Elle a également remis en cause la déduction en 2015 de la moins-value à court terme, sur le terrain des dispositions de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI.

Pour mémoire, ce dispositif limite la déduction des moins-values résultant de la cession, moins de 2 ans après leur émission, de titres de participation reçus en contrepartie d’un apport, lorsqu’à la date de leur émission, les titres reçus avaient une valeur réelle inférieure à leur valeur d’inscription en comptabilité.

La décision de la CAA de Paris

Sur la perte sur créance

La CAA de Paris confirme la requalification de la perte sur créance en abandon de créance à caractère financier, non déductible.

Elle rappelle que la déduction d’une perte sur créance, motivée par le caractère définitivement irrécouvrable de la créance, implique que le contribuable établisse la réalisation de « vaines diligences en vue de son recouvrement ».

Au cas d’espèce, elle relève que la société française s’était engagée, à la date de la décision en AGE de la liquidation amiable, à régler les dettes de sa filiale turque, renonçant à toute réclamation ou tout recours si ses apports financiers étaient effectués de manière gratuite et inconditionnelle.

Aussi, la société devait-elle être regardée, dès cette date, comme ayant nécessairement et volontairement renoncé au recouvrement de la créance en litige – d’autant qu’elle avait parfaitement connaissance de la situation économique et financière très dégradée de sa filiale depuis plusieurs années déjà et de son incapacité à rembourser ses dettes.

On notera que cette solution est en ligne avec la grille d’analyse retenue tant par l’Administration que par le juge de l’impôt, en vertu de laquelle l’élément intentionnel caractérise l’abandon de créance par rapport à la perte sur créance irrécouvrable qui n’est, en principe, que subie (pour une illustration récente, dans un cas de figure similaire – aides consenties à une filiale faisant ensuite l’objet d’une liquidation conventionnelle – voir CAA Bordeaux, 21 octobre 2021, n°19BX03240).

La Cour indique enfin que la circonstance que la société turque n’ait pas comptablement inscrit ces avances en constatant un profit, mais enregistré ces sommes dans un compte intitulé « autres réserves », reste sans incidence sur la nature réelle de l’opération réalisée et, par suite, sur sa qualification.

On notera qu’elle confirme également – sans surprise – la non-déductibilité des provisions constituées par la société française à raison d’avances consenties à sa filiale turque en juin 2014 – soit après que la décision de liquidation amiable ait été prise en AGE. A cette date, la société française avait nécessairement connaissance de ce que cette avance constituait une aide financière à fonds perdus. Aussi, la somme provisionnée n’était pas constituée pour faire face à un risque de non-recouvrement d’une créance, elle-même destinée à faire face à une charge déductible.

Sur l’application du dispositif de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI

La CAA retient, en 1er lieu, une acception large de la notion de « cession », en jugeant que pour l’application du dispositif de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI, « les opérations de fusion ou de liquidation de sociétés sont assimilables à une cession, dès lors qu’elles se traduisent par un transfert de l’actif social de la société absorbée ou liquidée » (en ligne avec les commentaires administratifs, voir BOI-BIC-PVMV-30-30-120, 3 mai 2017, § 60,  solution également précédemment retenue par la CAA de Paris, 23 novembre 2022, n°21PA05210, Société Agapes, et de manière plus nuancée, par le Conseil d’Etat, CE, 11 juin 2024, n°470721, Sté Agapes).

La société contestait l’application du dispositif – lequel vise, on le rappelle les seuls titres de participation – au motif que les titres émis en contrepartie de l’augmentation de capital de sa filiale correspondaient, non pas à des titres de participation, mais à des titres de placement (alors même que les titres émis préalablement à cette augmentation de capital avaient été comptabilisés en tant que titres de participation).

La Cour rappelle qu’au plan comptable, les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle.

Elle juge ensuite que les titres émis ultérieurement par la même société ne peuvent recevoir une qualification comptable différente, dès lors qu’à la date de leur souscription, « l’acquéreur entend conserver le contrôle de la société jusqu’à sa disparition, par absorption ou par liquidation, ou jusqu’à la cession du contrôle à un tiers » (même considérant de principe que celui retenu par la CAA de Paris dans l’affaire Agapes précitée et tout récemment repris par le TA de Montreuil, 6 juin 2024, n°2109724, SA Shiseido Europe).

Au cas d’espèce, elle relève qu’à l’issue de la recapitalisation de sa filiale turque, la société requérante était détentrice de 90 % de ses titres, qu’elle avait comptabilisés comme des titres de participation. Cette qualification ne saurait être contredite par la seule circonstance que la société aurait eu pour seul objectif de satisfaire à des contraintes juridiques locales dans le cadre de cette augmentation de capital.

La Cour souligne, enfin – mais sans l’expliciter davantage – qu’à la date d’émission de ces titres, la société française entendait conserver le contrôle de sa filiale et maintenir son activité. En l’absence d’éléments complémentaires, il est permis de s’étonner de ce dernier point, dès lors qu’ainsi que le relève par ailleurs la Cour, la filiale turque connaissait des difficultés financières significatives depuis plusieurs années, et que sa liquidation amiable semble avoir été décidée à brève échéance après l’opération de recapitalisation.   

Exit mobile version