Le Conseil d’État juge que l’acquisition en 2010 des parts d’une SCI, suivie de la cession par celle-ci de son principal actif, puis d’une distribution massive de dividendes placée sous le bénéfice du régime mère-fille et de la constitution d’une provision pour dépréciation des titres de ladite SCI, est constitutive, en l’absence d’un avantage économique, d’un abus de droit.
L’histoire
Le 23 décembre 2010, une société française acquiert l’intégralité des parts d’une SCI.
Le 28 décembre 2010, la SCI cède son unique immeuble dans le cadre d’un démembrement de propriété :
- l’usufruit temporaire est cédé à l’associé majoritaire de la société mère de la SCI
- tandis que la nue-propriété est cédée à une SCI créée ad hoc (détenue en quasi-intégralité par la société mère de la SCI).
Le même jour, la SCI verse un acompte sur dividendes du montant du produit de cette vente à sa société mère, que cette dernière a placé sous le bénéfice du régime mère-fille.
A la clôture de l’exercice 2010, la société mère a, de plus, constitué une provision pour dépréciation des titres de la SCI, déductible au taux normal de l’IS (en application des dispositions de l’article 219, I, a sexies-0 bis, s’agissant des titres d’une société à prépondérance immobilière).
Enfin, le 15 décembre 2013, juste après l’expiration du délai de détention de 2 ans permettant de bénéficier du régime mère-fille, elle a procédé à la TUP de la SCI.
L’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’abus de droit par fraude à la loi, l’application du régime mère-fille.
La décision du Conseil d’État
Sur l’application littérale du texte en contrariété avec l’intention de ses auteurs
Le Conseil d’État se réfère, en 1er lieu, aux principes qu’il avait dégagés dans ses décisions relatives aux « coquillards » (cas de sociétés acquérant les titres de sociétés « coquilles vides » pour en percevoir des distributions conséquentes, avant de constituer des provisions pour dépréciation des titres des sociétés en cause).
Le Conseil d’État, se référant aux travaux préparatoires, avait alors jugé qu’en instaurant le régime mère-fille, le législateur avait eu comme objectif de favoriser l’implication de sociétés mères dans le développement économique de sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l’économie française (CE, 17 juillet 2013, n°356523, 360706 et 352989, SARL Choiseul Garnier Holding).
Il relève, qu’au cas d’espèce, la SCI s’était dépouillée de son unique actif, et que sa société mère n’avait, pendant les 2 années suivant la distribution de dividendes litigieuse, pris aucune mesure de nature à permettre à la SCI de poursuivre son activité ou d’en trouver une nouvelle. Surtout, elle avait procédé à sa dissolution moins de 2 mois après l’expiration du délai minimal de conservation auquel était subordonné le bénéfice du régime mère-fille.
Sur le but exclusivement fiscal des opérations
La société se bornait à faire valoir que l’immeuble dont s’était séparée la SCI était demeuré au sein du groupe dont elle faisait partie.
Notons que le Conseil d’État a déjà, par le passé, admis, pour écarter le but exclusivement fiscal, de tenir compte de l’intérêt, pour une société membre d’un groupe, d’acquérir un élément d’actif en vue de le céder à une société opérationnelle liée dans le cadre de la stratégie de croissance externe du groupe (CE, 19 mai 2021, n°433201, Sté Douaisienne de transport). Mais, dans cette affaire, la société acquise avait poursuivi une activité après s’être défaite de l’élément d’actif considéré.
Au cas d’espèce, le Conseil d’État juge que l’argument avancé par la société requérante ne permet toutefois pas d’expliquer la succession des différentes opérations, notamment le maintien à son actif, pendant la seule durée nécessaire pour bénéficier du régime mère-fille, d’une société vidée de sa substance et dépourvue de toute activité, par la poursuite d’un but autre que fiscal.