La théorie du prix d’acquisition s’oppose à la déduction d’un amortissement rétrospectif couvrant la période durant laquelle les installations n’étaient pas encore à l’actif de la bénéficiaire des apports.
Lorsqu’elles portent sur des installations reçues en apport, les modalités pratiques du changement de la méthode comptable de provisionnement des coûts de démantèlement ne sont pas neutres sur le plan fiscal en application de la théorie du prix d’acquisition. Par ailleurs, l’exception à l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit prévue pour les amortissements excessifs ne joue pas en matière d’amortissement rétrospectif.
Les modalités pratiques du changement de méthode comptable
Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, en cohérence avec l’évolution de la norme comptable (PCG, art. 321-10), les coûts de démantèlement, qui s’entendent des frais incombant à certaines sociétés pour la remise en état d’un site, la dépollution ou la déconstruction d’une usine, ou l’enlèvement de déchets en raison de leur activité et d’obligations législatives, règlementaires ou contractuelles, font l’objet d’une provision pour charges non déductible (CGI, art. 39 ter C, BOI-BIC-PROV-60-100-20).
En pratique, la constitution de cette provision se traduit par l’inscription d’un actif de contrepartie d’un montant équivalent qui est amortissable en linéaire sur la durée d’utilisation du site ou des installations concernées. Corrélativement, la reprise de la provision lors de l’engagement effectif des coûts de démantèlement sera imposable.
Auparavant, les provisions liées aux coûts de démantèlement étaient déductibles dans les conditions de droit commun (CGI, art. 39, 1-5°) et ne donnaient pas lieu à constatation d’un actif de contrepartie.
En l’espèce, une société avait constitué et déduit des provisions pour charges liées aux coûts de démantèlement de 5 centrales thermiques jusqu’à leur apport en 1995 à une autre société qui sera elle-même absorbée par sa société mère en 2003.
Lors de l’apport partiel d’actifs, placé sous le régime de droit commun, les provisions ont été reprises par l’apporteuse. La société bénéficiaire de l’apport a reconstitué ces provisions (32 M€) sans les déduire de son résultat fiscal. Par la suite, elle a procédé à des dotations complémentaires (12 M€) qu’elle a déduites fiscalement. En 2003, la société mère qui a placé l’absorption de sa filiale sous le régime de faveur (CGI, art. 210-0 A) a repris la totalité de ces provisions pour coûts de démantèlement à son passif.
En 2005, la société mère a entrepris d’acter le changement de méthode comptable du provisionnement des coûts de démantèlement de la façon suivante :
- réintégration de la totalité des provisions pour coûts de démantèlement qui figuraient au passif de son exercice clos en 2004 (48 M€)
- mais taxation de la seule fraction des provisions correspondant aux dotations effectuées depuis 1995 (12 M€), dès lors que les provisions antérieures avaient été réintégrées chez la société apporteuse et que leur reconstitution n’avait pas été déduite chez la bénéficiaire des apports
- reconstitution d’une provision non déductible de 48 M€ et inscription d’un actif de contrepartie de même montant
- reconstitution rétrospective, et déduction, d’un amortissement cumulé de cet actif de contrepartie pour se mettre dans la même situation que si la nouvelle méthode avait été appliquée dès l’origine
Mise en œuvre de la théorie du prix d’acquisition
La théorie du prix d’acquisition permet de refuser, à la société bénéficiaire d’un apport, la déduction des charges nées chez la société apporteuse avant la date d’effet de l’apport ou prévisibles à cette date. Ces charges sont supposées avoir été déjà prises en compte pour le calcul de la rémunération des apports et faire ainsi partie du prix d’acquisition des actifs transférés (arrêts CE du 6 novembre 1974 n° 89562 et n° 89564 et du 18 mars 1992 n° 62402).
Les provisions qui ont été constituées par l’apporteuse en vue de couvrir des charges futures sont prises en compte dans l’évaluation de l’actif net apporté. Par suite, lorsque les charges afférentes sont constatées par la société bénéficiaire de l’apport, son résultat imposable ne saurait en être affecté. Ainsi, alors même que leur constitution n’a pas été déduite par la société bénéficiaire de l’apport, la reprise de ces provisions doit être comprise dans son résultat imposable pour y neutraliser l’impact des charges.
Il a par ailleurs été précisé que la taxation de la reprise de la provision par la société absorbante ou de la société bénéficiaire de l’apport est indépendante du fait qu’elle ait été déductible ou non chez l’absorbée ou l’apporteuse (Conseil d’Etat, 25 septembre 2013, n° 356382, Oddo).
Au cas particulier, l’amortissement rétrospectif cumulé résultant de la mise en œuvre rétrospective du changement de méthode comptable se décomposait en :
- 29 M€ au titre de la fraction de l’actif de contrepartie correspondant à la provision pour coûts de démantèlement constituée jusqu’en 1995
- 9,7 M€ au titre de la fraction de l’actif de contrepartie correspondant à la provision pour coûts de démantèlement constituée de 1995 à 2004
En application de la théorie du prix d’acquisition, cet amortissement cumulé ne pouvait être déduit que dans la mesure des coûts qui seraient déductibles du résultat imposable de la bénéficiaire de l’apport au moment de leur engagement. Dès lors que les coûts de démantèlement provisionnés jusqu’à la date d’effet de l’opération d’apport et reconstitués au travers de l’actif de contrepartie ont minoré la valeur d’apport, ils ne pourront pas être déduits du résultat imposable de la société bénéficiaire de l’apport lors de leur engagement et, par suite, l’amortissement corrélativement pratiqué n’est pas déductible.
Intangibilité du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit et amortissement rétrospectif
En pratique, l’Administration a réintégré dans le résultat imposable de l’exercice clos en 2007 (premier exercice non prescrit, CGI, art. 38, 4 bis) le montant des amortissements relatifs aux provisions qui avaient été constituées avant l’apport partiel d’actifs en 1995.
En effet, en refusant la déduction d’une fraction de l’amortissement rétrospectif, le service vérificateur a rehaussé la valeur de l’actif net de clôture de l’exercice clos en 2007, tout en ne modifiant pas sa valeur à l’ouverture, ce qui s’est traduit par une variation de l’actif net taxable de cet exercice (CGI, art. 38, 2).
Cela étant, on sait que dans la perspective de maintenir un certain « droit à l’oubli », le législateur a prévu des exceptions au principe de l’intangibilité du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit, notamment lorsque l’erreur commise par le contribuable résulte de dotations aux amortissements excessives au regard des usages mentionnés à l’article 39, 1-2° du CGI, c’est-à-dire les usages de chaque nature d’industrie, de commerce ou d’exploitation, déduites sur des exercices prescrits (CGI, art. 38, 4 bis, al. 3).
Sans surprise, le juge confirme qu’en procédant à la déduction fiscale de la totalité des amortissements cumulés constatés lors de la mise en œuvre de la nouvelle méthode comptable, la société n’entrait pas dans le champ de cette exception. Il n’était pas reproché à la société d’avoir pratiqué des dotations excessives au regard des usages mais d’avoir entendu déduire des amortissements qui n’étaient pas déductibles dans leur principe.