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Application du correctif Quemener et absence d’abus de droit : suite et fin de la saga « Lupa »

Dans l’affaire Lupa, le Conseil d’Etat, statuant en 2e cassation, confirme l’application du correctif issu de la jurisprudence Quemener, et écarte l’existence d’un abus de droit. Il refuse la modification du périmètre de l’abus de droit invoquée par l’Administration en cours d’instance, qui entendait déplacer les débats sur le terrain d’un abus de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.

L’affaire Lupa – Actes 1 & 2

La société française Lupa détenait 9 sociétés de droit luxembourgeois, dont les actifs étaient constitués par des titres de SCI françaises détenant chacune un immeuble en France. Elle a tout d’abord procédé à la dissolution sans liquidation des sociétés luxembourgeoises, après que ces dernières aient réévalué la valeur des titres de leurs SCI (opération exonérée en France par application de l’ancienne convention fiscale franco-luxembourgeoise). Puis, elle a procédé à la dissolution sans liquidation des SCI françaises, après réévaluation par celles-ci de la valeur de leurs immeubles.

Cette deuxième réévaluation avait généré une plus-value au niveau des SCI, imposable entre les mains de leur associé. Toutefois, cette plus-value avait été compensée par la moins-value d’annulation des parts sociales des SCI, du même montant, du fait de l’application des correctifs Quemener (mécanisme de correction applicable à la plus-value de cession de parts d’une société de personnes non soumise à l’IS, dégagé par le Conseil d’Etat dans une décision éponyme du 16 février 2000, n°133296, puis étendu à la plus-value d’annulation de parts constatée à l’occasion d’une TUP de la société de personnes au bénéfice de son associé unique dans une décision SAS MEA du 27 juillet 2015, n°362025).

A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a considéré les opérations successives comme constitutives d’un montage relevant de l’abus de droit au motif qu’elles permettaient l’intégration dans l’actif de la société française des immeubles détenus par les SCI à leur valeur vénale sans imposition de la plus-value résultant de leur réévaluation.

Elle a refusé la déduction extra-comptable des moins-values d’annulation des titres de SCI et a redressé la société Lupa en conséquence.

Ce redressement a donné naissance à un long contentieux.

Si les juges du fond ont déchargé le contribuable des impositions en cause, le Conseil d’Etat a, à l’inverse, jugé que l’application de la jurisprudence Quemener à la TUP d’une société de personnes, précédée de la réévaluation de ses actifs, devait être conditionnée à une double imposition effective de la société qui réalise l’opération de dissolution (CE, 6 juillet 2016, Ministres des finances c/ SARL Lupa immobilière France, n°377904).

Cela étant, dans une affaire distincte, il a finalement opéré un revirement de jurisprudence et abandonné la condition tenant à la « double imposition effective » de la société réalisant l’opération (CE, 24 avril 2019, n°412503, Société Fra SCI).

Tirant les conséquences de cette décision, la CAA de Paris (CAA Paris, 8 juillet 2022, n°16PA02400 et 16PA02401), devant laquelle l’affaire Lupa était entretemps revenue après la 1re cassation, a confirmé l’application du correctif Quemener et écarté l’existence d’un abus de droit.

La décision du Conseil d’Etat statuant en 2e cassation

Sur l’absence d’abus de droit au titre de la correction Quemener

Le Conseil d’Etat confirme d’abord l’application des correctifs Quemener aux opérations litigieuses, après avoir rappelé l’absence de nécessité d’une double imposition, en ligne avec sa décision Société Fra SCI de 2019.

Il considère que leur application doit, en l’espèce, être regardée comme conforme à l’objectif de neutralité fiscale affiché, puisqu’elle aboutit à l’imposition « du seul enrichissement dont [les sociétés requérantes ont] bénéficié à raison de la détention des parts des SCI ».

Il juge ensuite que l’ordre dans lequel les actes litigieux ont été réalisés ne peut suffire, à lui seul, à démontrer l’existence d’un abus de droit, quand bien même une telle chronologie aurait effectivement permis à la société requérante d’alléger sa charge fiscale.

Sur l’impossibilité pour l’Administration de se prévaloir d’un autre abus de droit

L’Administration avait sollicité, en cours d’instance (après la 1re cassation), une substitution de motifs, pour porter les débats sur l’existence d’un abus, non plus de la jurisprudence Quemener, mais de la convention franco-luxembourgeoise.

Le Conseil d’Etat rejette en bloc cette demande, en considérant que l’accueillir reviendrait à priver le contribuable d’une garantie de procédure tenant à la possibilité de saisir le comité de l’abus de droit fiscal (LPF, art. L. 64).

En effet, ces abus de droit étaient distincts de ceux qui fondaient la proposition de rectification de l’Administration et la réponse aux observations du contribuable, tant s’agissant de la norme dont il aurait été fait une application abusive, que du périmètre des actes qui seraient constitutifs de l’abus de droit.    

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