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Le barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse : la résistance des juges du fond à l’avis de la Cour de cassation

Photo de la Cour de Cassation

Depuis l’introduction d’un barème encadrant le montant des dommages-intérêts octroyés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse en fonction de l’ancienneté du salarié (institué par l’article 2 de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 puis codifié à l’article L.1235-3 du Code du travail), certains Conseils de prud’hommes ont refusé de voir leur pouvoir d’appréciation du préjudice subi par le salarié licencié limité par ce barème.

Contestation du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Certains Conseils de prud’hommes ont mis en cause la conventionnalité de ce barème, c’est-à-dire sa conformité à des conventions internationales liant la France en tant que partie signataire, invoquant le fait que ce barème serait contraire aux dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne et de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), en ce qu’il ne permettrait pas une « indemnisation adéquate » du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse.

Les Conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse ont alors saisi la Cour de cassation d’une demande d’avis sur la conformité du barème aux conventions internationales précitées.

L’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 sur la conventionnalité du barème

La Cour de cassation a tout d’abord refusé de reconnaître un effet direct à l’article 24 de la Charte sociale européenne au motif d’une marge de manœuvre importante laissée aux Etats par ledit texte. En conséquence, selon la Cour de cassation, ce texte ne peut pas être invoqué à l’occasion d’un litige entre particuliers.

La Cour de cassation a en revanche reconnu un effet direct à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et considéré que le barème Macron est conforme à ces dispositions. Selon la haute juridiction, le barème prévoyant une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal et un montant maximal de salaire brut répond aux exigences de ladite convention (Cour de cassation, Assemblée plénière, Avis n°15012 et 15013, 17 juillet 2019 – cf. l’article de Malik Douaoui du 25 juillet 2019 : « Le barème Macron est sauvé, mais l’histoire n’est pas terminée »).

Résistance opposée par les juges du fond à l’avis de la Cour de cassation

En dépit de l’avis de la Cour de cassation, certaines juridictions de fond continuent à écarter l’application du barème.

Différents arguments sont mis en avant par certains Conseils de prud’hommes (CPH) :

Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris a appliqué le barème en énonçant, de manière laconique, que celui-ci constituait une réparation de préjudice adéquate au cas d’espèce qui lui était soumis. Ce faisant, elle a sous-entendu a contrario qu’il serait possible de déroger au barème dans une situation où celui-ci ne permettrait pas une réparation adéquate du préjudice (Cour d’appel de Paris, 18 septembre 2019, n°17/06676).

Développant davantage sa motivation, la Cour d’appel de Reims s’est d’abord livrée à une analyse « objective et abstraite » pour considérer que le barème est compatible avec la convention de l’OIT (et la charte sociale européenne à laquelle elle confère également un effet direct en dépit de l’avis de la Cour de cassation). Elle a ensuite effectué une analyse de conventionnalité du barème au cas concret de l’espèce, en énonçant que « le contrôle de conventionnalité […] ne dispense pas d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché. » Elle a ainsi admis que le barème puisse être écarté s’il affecte concrètement, de manière disproportionnée, le droit à réparation adéquat du salarié victime du licenciement. La Cour d’appel a toutefois précisé qu’il incombe au demandeur de solliciter cet examen « in concreto », qui ne saurait être exercé d’office par le juge (Cour d’appel de Reims, 25 septembre 2019, n°19/00003).

La Cour d’appel de Paris devrait prochainement se prononcer à nouveau sur cette question dans une autre affaire. Gageons qu’elle donnera plus de précisions à sa motivation. En tout état de cause, il faudra attendre un pourvoi en cassation pour que la question de l’indemnisation du préjudice résultant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse soit définitivement tranchée par la haute juridiction. « L’histoire n’est [donc toujours] pas terminée »…

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