Le droit à l’oubli des erreurs ou omissions intervenues plus de sept ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit peut jouer en présence d’une dette non justifiée inscrite au passif (solde créditeur d’un compte courant d’associé), dès lors qu’il n’existe aucune obligation de réexamen comptable de la dette litigieuse.
On sait que la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CGI, art. 38, 4 bis) a pour effet de limiter la portée de la correction symétrique des bilans et de permettre ainsi au service vérificateur de procéder à des rehaussements de bénéfices au titre du premier exercice non prescrit à raison d’erreurs qui peuvent avoir été commises au cours d’un exercice prescrit.
Ce principe comporte toutefois des limites. En particulier, il ne s’applique notamment pas lorsque l’entreprise établit que les erreurs ou omissions à l’origine de l’insuffisance d’actif net ont été commises plus de sept ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit, soit depuis plus de dix ans, si l’on ajoute les trois ans couverts par la prescription abrégée en matière d’impôt sur les sociétés (exception dite du « droit à l’oubli »). Or, il ressort des travaux parlementaires que ce « droit à l’oubli » ne concerne pas les erreurs de même type reproduites à l’identique d’exercice en exercice, telles que l’application d’une méthode erronée de valorisation des stocks (rapport n° 1976 de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le PLFR pour 2004, p. 131).
Le Conseil d’Etat a confirmé dans un avis cette restriction, en opérant une distinction claire entre, d’une part, les erreurs ou omissions commises depuis plus de dix ans qui affectent l’évaluation d’un élément toujours inscrit au bilan de l’entreprise au jour de son contrôle et, d’autre part, celles qui relèvent de l’application répétée d’une méthode erronée et qui se traduisent par une évaluation incorrecte d’un même poste de bilan, de manière constante d’exercice en exercice, selon un principe identique, mais pour des montants variant en fonction de la composition effective de ce poste (avis du 17 mai 2006, n° 288511, SA Catimini). En pratique, dans le cas où une méthode erronée constamment utilisée depuis un exercice clos depuis plus de sept ans avant le premier exercice non prescrit aurait conduit à la sous-évaluation systématique du stock de marchandises, le droit à l’oubli ne pourrait s’appliquer que pour rehausser l’évaluation des marchandises qui auraient été physiquement conservées dans le stock depuis l’un des exercices.
S’agissant d’une dette non justifiée inscrite au passif, la question s’est posée de savoir si le fait qu’elle soit maintenue en l’état au bilan des dix exercices suivants pouvait être regardé comme une erreur portant sur un passif individualisé et figurant à l’identique au bilan ou devait, au contraire, s’analyser comme la répétition d’une même erreur, insusceptible de bénéficier du droit à l’oubli. En l’espèce, l’Administration avait, dans le cadre d’une vérification de comptabilité, réintégré une somme figurant au compte courant d’un associé, considérant qu’il s’agissait d’un passif injustifié. La société faisait toutefois valoir que la somme litigieuse avait été inscrite de manière erronée au compte courant d’associé plus de sept ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit.
Pour le Conseil d’Etat, dès lors que l’inscription initiale erronée « n’a fait et ne devait faire comptablement l’objet d’aucun réexamen depuis cette date », il ne s’agit pas de la répétition d’une erreur. De surcroît, aucun mouvement de ce compte au cours des sept années suivantes n’a eu pour effet de porter son solde à un montant inférieur. Aussi, juge-t-il que la société pouvait bel et bien bénéficier du droit à l’erreur.
Autrement dit, l’absence d’obligation comptable de réexaminer la pertinence du maintien de la dette au passif de la société a été très déterminante. On notera que le juge n’utilise pas, pour autant, dans le dispositif de sa décision, l’article 38 quater de l’annexe de III au CGI sur la connexion fiscalo-comptable.
Cette solution s’inscrit dans la lignée de la décision Société A Promotions, dans le cadre de laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que le droit à l’oubli ne pouvait jouer en cas d’inscription non justifiée d’une provision pendant des exercices successifs (11 mai 2015, n° 370533). Il avait considéré qu’il s’agissait de la répétition d’une même erreur (peu important que les montants aient été identiques), dès lors que la déductibilité d’une provision doit être appréciée à la clôture de chaque exercice au vu du caractère probable des pertes ou charges provisionnées.
On rappellera qu’en tout état de cause et tant qu’elle n’aura pas été rapportée, les contribuables pourront continuer à se prévaloir de la doctrine administrative plus favorable qui prescrit, sans nuance, que la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture ne s’applique ni aux provisions irrégulièrement comptabilisées, ni aux dettes non justifiées inscrites au passif plus de sept ans avant la date d’ouverture du premier exercice non prescrit (BOI-ANNX-000114-20141013).
L’avis du praticien : Alice de Massiac
Une décision attendue du Conseil d’Etat, ce dernier ne s’étant jusqu’à présent prononcé que sur les provisions et non sur les dettes. Et une décision bienvenue : le CE adopte la même lecture que le BOFiP en acceptant de faire bénéficier du droit à l’oubli les dettes injustifiées depuis plus de 7 ans sans considérer qu’il s’agit d’une erreur répétée. Cette position peut être l’occasion de revisiter les comptes sociaux et de nettoyer sans crainte et sans impôt des dettes inscrites au bilan depuis trop longtemps.