Le Tribunal administratif de Montreuil juge, de manière inédite, que la jurisprudence « Quémener » s’applique à l’opération d’échange d’usufruit de titres d’une société de personnes procédant d’une fusion-absorption.
Rappel
En application de la jurisprudence Quéméner (CE, 16 février 2000, n°133296), la plus-value de cession de parts d’une société de personnes non soumise à l’IS fait l’objet d’un mécanisme de correction. Ainsi, le prix de revient fiscal des parts est fixé à partir de leur valeur d’acquisition, majorée du montant des bénéfices précédemment imposés entre les mains de l’associé et des pertes comblées par celui-ci, et minorée des bénéfices répartis et des pertes qu’il a déduites. Cette jurisprudence assure donc une neutralité fiscale aux associés de sociétés de personnes et tient compte du mécanisme de translucidité fiscale qui leur est applicable, afin d’éviter une double imposition ou une double déduction entre les mains de ces derniers.
Le Conseil d’État a déjà confirmé que les modalités de calcul issues de la jurisprudence « Quémener » s’appliquent aux plus ou moins-values résultant d’annulation de parts réalisées à l’occasion d’une confusion de patrimoine effectuée conformément à l’article 1844-5 du Code civil (CE, 27 juillet 2015, n°362025, SA MEA).
Le Tribunal administratif de Montreuil vient étendre l’application de cette jurisprudence au calcul de la plus/moins-value d’échange d’usufruit de parts sociales de sociétés de personnes constatée à l’issue d’une opération de fusion-absorption.
L’histoire
Dans le cadre d’une restructuration réalisée au sein d’un groupe, une société détenant l’usufruit de parts sociales composant le capital d’une société de personnes reçoit, à la suite de la fusion absorption de ladite société de personnes, l’usufruit des parts sociales composant le capital de la société absorbante, également société de personnes.
À la suite de la fusion-absorption, l’associé, société soumise à l’impôt sur les sociétés, ayant reçu l’usufruit des titres de la société absorbante constate une moins-value d’échange de l’usufruit des titres qu’elle déduit de son résultat imposable. Cette moins-value a été déterminée par la différence entre la valeur nette de l’usufruit des parts composant le capital de la société absorbée et celle des parts composant le capital de la société absorbante, augmentée du montant de l’amortissement fiscal de l’usufruit des titres de la société absorbée.
À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a contesté le calcul réalisé par la société lors de l’échange de l’usufruit des parts sociales. Selon les calculs de l’Administration, l’échange d’usufruit aurait généré une plus-value d’échange justifiant la remise en cause partielle du déficit reportable de la société.
La décision du TA
Le Tribunal administratif de Montreuil confirme de manière inédite que la jurisprudence Quémener trouve à s’appliquer dans le cas où, à l’occasion d’une opération de fusion-absorption, une société reçoit l’usufruit des parts de la société de personnes absorbante en contrepartie de l’usufruit des parts de la société de personnes absorbée.
En outre, il juge que ne font pas obstacle à la constatation d’une plus ou moins-value à l’issue de cette opération :
- la circonstance que les parts composant le capital d’une société de personnes soient démembrées ;
- la circonstance que la valeur de l’usufruit des parts sociales soit évaluée sur la base du montant des distributions prévisionnelles.
Il rejette en conséquence la requête de la société.
On notera que le TA de Montreuil adopte ici la même position que celle retenue par la CAA de Paris sur la question du contrôle des déficits réalisés au cours d’exercices prescrits et reportés/non imputés au titre d’exercices non prescrits en raison de la situation déficitaire de la société contrôlée (CAA Paris, 13 avril 2022, n°19PA01644, ST Dupont).
Voir TA Montreuil, 27 janvier 2022, n°1908418