Le Conseil d’État juge que les bénéfices résultant de l’exercice par une société étrangère d’une activité occulte en France, mise en évidence à l’issue d’un contrôle fiscal, peuvent être regardés comme des revenus réputés distribués au sens de l’article 109, 1, 1° du CGI.
Pour mémoire, l’article 109, 1, 1° du CGI pose une présomption légale de distribution à l’égard de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Pour l’application de ces dispositions, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’IS, notamment après application, le cas échéant, des redressements qui ont pu être apportés à la suite d’une vérification aux bénéfices déclarés (CGI, art. 110, al. 1).
Cette présomption légale, de portée générale, s’applique :
- uniquement aux résultats bénéficiaires de l’exercice (notamment, CE, 6 décembre 1965, n° 47850 et n° 54363) ;
- indépendamment de la qualité du bénéficiaire (notamment, CE, 19 avril 1982, n° 24989) ;
- lorsque ces sommes sont effectivement désinvesties de l’entreprise (notamment, CE plénière, 5 décembre 1984, n° 46962, Mme Etienvre).
Par ailleurs, conformément au principe de l’indépendance des procédures, la présomption légale de distribution est opposable à la société mais non à ses associés. Ainsi, en cas de contestation par le bénéficiaire présumé des distributions, l’Administration supporte la charge de la preuve de l’appréhension par l’intéressé des revenus distribués.
Cela étant, la théorie du maître de l’affaire permet à l’Administration de présumer que ce dernier est le bénéficiaire des revenus réputés distribués (notamment, CE, 30 décembre 2011, n° 332088).
L’histoire
A l’issue de plusieurs perquisitions sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF, diligentées dans le cadre d’une enquête pour fraude fiscale, l’Administration a établi qu’une société de droit suisse exerçait en France, de manière occulte, une activité de vente de produits en ligne. Elle a relevé, à cet égard, que la société suisse exerçait son activité via un site internet hébergé en France, commercialisait des produits fabriqués en France par son fournisseur exclusif à destination d’une clientèle essentiellement française.
Par ailleurs, l’administrateur unique de la société vérifiée, domicilié en France, a fait l’objet d’un ESFP, à l’issue duquel il a été redressé sur le fondement du 1° du 1 de l’article 109 et du c de l’article 111 CGI, à raison de revenus réputés distribués par la société suisse, à hauteur des crédits apparaissant sur son compte bancaire et dont l’origine demeurait indéterminée à l’issue du contrôle.
La décision du Conseil d’État
Pour se prononcer, le Conseil d’État raisonne en plusieurs temps. Il recherche d’abord si la société de droit suisse était effectivement imposable en France, avant de se prononcer sur l’imposition de l’administrateur unique de la société suisse à raison de ses bénéfices.
Sur l’imposition en France de la société de droit suisse
Sur le terrain du droit interne, le Conseil d’État confirme la décision des juges du fond, qui avaient considéré que la société de droit suisse exerçait son activité en France au cours d’un cycle commercial complet au sens de l’article 209 du CGI.
Sur le terrain de la convention franco-suisse, il valide également l’analyse retenue en appel. La CAA avait jugé que la société de droit suisse devait être regardée, pour l’application de la convention, comme résidente fiscale française, au motif qu’elle avait en France son siège de direction effective. Pour ce faire, elle a relevé que l’administrateur unique de la société devait être regardé comme en étant le dirigeant de fait et que celui-ci effectuait les actes de gestion et de direction de la société de droit suisse et prenait les décisions stratégiques la concernant depuis son domicile français (l’absence de matériel dédié ou de bureau étant, à cet égard, sans incidence). Dans ce cadre, le rôle décisionnaire de l’administrateur unique de la société suisse notamment sur les aspects commerciaux, comptables ou salariaux de la gestion de la société a été retenu.
Sur le quantum de l’imposition en France de la société de droit suisse
Le Conseil d’État confirme la décision des juges du fond de l’absence d’établissement stable en Suisse de la société suisse ayant son siège de direction effective en France. Dans ce cadre, il est intéressant de noter que le Conseil d’État confirme que la location de locaux, le paiement de cotisations sociales, l’existence de lignes téléphoniques, le paiement de divers impôts et taxes, ne sont pas suffisants, en l’absence d’éléments plus précis, pour établir la réalité d’une exploitation sous forme d’établissement stable.
Sur l’imposition de l’administrateur unique de la société à raison de ses bénéfices
Le premier point en litige portait sur l’existence de revenus distribués au sens de l’article 109, 1, 1° du CGI.
Le contribuable, se référant sans doute implicitement à une récente décision du Conseil d’État, arguait que l’imputation, après un redressement, de bénéfices réalisés par une société étrangère, à un établissement stable situé en France, ne saurait, par lui-même, révéler l’existence d’une distribution de revenus par cette société (Conseil d’État, 8 février 2019, n° 410301).
Or, ainsi que le relève le Conseil d’État, il ne s’agissait pas ici de l’imputation de bénéfices à un établissement stable, mais bien de la mise en évidence de l’exercice d’une activité occulte en France. À cet égard, le Conseil d’État relève que l’exercice de cette activité n’a pas été retracée dans la comptabilité de la société de droit suisse, et que les bénéfices en résultant n’ont été ni déclarés, ni soumis à l’impôt en Suisse.
Ainsi, il juge, de manière nous semble-t-il inédite, que les bénéfices mis en évidence à l’issue d’un redressement révélant l’exercice d’une activité occulte en France doivent être regardés comme distribués en application des dispositions de l’article 109, 1, 1° du CGI.
Compte tenu du principe de l’indépendance des procédures, restait encore à prouver l’appréhension par le contribuable de ces revenus distribués.
Ce dernier obstacle est aisément contourné, l’administrateur unique pouvant, sans grande difficulté, être qualifié de seul maître de l’affaire (notamment en ce qu’il était le dirigeant de fait de la société de droit suisse, qu’il disposait de la signature sur les comptes bancaires français de ladite société et qu’il était en mesure d’user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui étaient propres).