Une récente décision de la Cour de cassation ravive le débat sur la question de la nécessité juridique d’indemniser les filiales sortantes à raison de la perte de leurs déficits générés au cours de leur appartenance au groupe intégré.
Rappel
Si le 1er alinéa de l’article 223 A du CGI dispose que, par son option, la société mère d’un groupe intégré se constitue seule redevable des impositions d’ensemble et que le dernier alinéa du même article prévoit que les filiales sont tenues à une simple garantie de paiement à hauteur des impositions qui leur auraient incombé hors intégration, les textes n’envisagent pas les conséquences d’une sortie du groupe, laquelle est susceptible d’engendrer un préjudice pour la filiale sortante du fait de la perte définitive des déficits générés par elle au cours de l’intégration et transmis à la société mère du groupe d’intégration.
Tirant argument du silence de la loi sur ce point, l’Administration a longtemps considéré que l’indemnité versée par une société mère à sa filiale sortante à raison de la perte de ses déficits était constitutive d’une subvention imposable.
Puis, il y a quelques années déjà, le Conseil d’État a jugé qu’aucune disposition législative ne fait obstacle à ce que la société mère d’un groupe fiscal s’engage, dans le cadre d’une convention d’intégration, à dédommager une filiale déficitaire qui quitte le groupe, à raison du préjudice subi au titre de la perte de ses déficits générés au cours de son appartenance au groupe, et a posé le principe de la non-imposition d’une telle indemnité (CE, 11 décembre 2009, n°301341, Sté GE Healthcare Clinical Systems).
Il en va de même lorsque la convention d’intégration ne fixe pas les modalités de l’indemnisation mais en pose le principe et prévoit une clause de rendez-vous lors de la sortie de la filiale déficitaire (CE, 24 novembre 2010, n°333867, Sté Saga).
L’Administration a intégré ces décisions à sa doctrine (BOI-IS-GPE-30-30-10, 7 mars 2018, n°260 et 270). Elle a toutefois précisé, en complément, que le montant de l’indemnité ne pouvait excéder celui résultant de l’évaluation du préjudice subi par la société qui sort du groupe du fait de l’attribution définitive de ses déficits à la société mère durant sa période d’appartenance au groupe. A défaut, l’excédent constitue une subvention imposable (BOFiP précité, n°280).
Si le traitement fiscal de l’indemnité versée à la filiale sortante est désormais bien encadré, la question de la nécessité juridique de prévoir une telle indemnité est moins claire.
L’histoire
Une société et sa filiale sortent au 1er janvier 2013 du groupe d’intégration fiscale dont elles étaient membres en raison de leur cession à un autre groupe.
La société a procédé à la dissolution sans liquidation de sa filiale et a ensuite engagé une action en responsabilité à l’encontre de son ancienne mère intégrante, aux fins d’obtenir une indemnisation au titre des déficits réalisés par sa filiale lors de son appartenance au groupe d’intégration fiscale.
La décision de la CA de Paris
Devant la CA de Paris, la société sollicitait d’abord l’engagement de la responsabilité contractuelle de l’ancienne mère intégrante en se fondant sur la convention d’intégration, laquelle prévoyait, dans son article relatif à la sortie du périmètre d’intégration, une clause de rendez-vous, ainsi que sur le principe de neutralité, mentionné dans le préambule de la convention.
La Cour juge, en premier lieu, qu’il n’existe aucun droit dans la loi fiscale pour une société filiale sortant du groupe d’être indemnisée de la perte de ses déficits ; les conventions peuvent toutefois en disposer autrement.
Elle relève ensuite que la clause de rendez-vous prévue par la convention d’intégration prévoyait seulement qu’en cas de sortie du périmètre d’intégration « les parties conviennent de se rapprocher pour déterminer si la sortie de la filiale s’est traduite pour elle par des prérogatives susceptibles de faire l’objet d’un dédommagement ».
La Cour souligne que la filiale se trouvait, au moment de la cession, en état de déficit chronique depuis plusieurs années et qu’il n’a ainsi pas été envisagé qu’elle puisse réaliser des bénéfices et profiter du déficit reportable qui avait été acquis par la mère intégrante, ce qui justifiait qu’aucune négociation n’ait eu lieu.
S’agissant enfin du principe de neutralité figurant dans le préambule de la convention d’intégration, la Cour juge qu’il n’a vocation à jouer que dans le cadre de l’intégration, et est par conséquent étranger à la question de l’indemnisation d’une société sortant du périmètre et perdant son droit à déficit reportable.
La société a également tenté d’engager la responsabilité extra-contractuelle de l’ancienne mère intégrante, lui reprochant d’avoir conclu une convention d’intégration fiscale dans son avantage exclusif, au détriment de sa filiale dont elle était l’associé unique. La Cour rejette également cet argument.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société contre la décision de la CA de Paris, sans se prononcer au fond, au motif que « le moyen de cassation (…) n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ».
Rappelons qu’à notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est encore jamais formellement prononcée sur la question. Quelques juridictions du fond ont, toutefois, pu sanctionner la non‑indemnisation d’une filiale sortante par sa mère intégrante.
Ainsi le Tribunal de commerce de Paris a-t-il jugé qu’une convention prévoyant la neutralité seulement durant l’intégration fiscale, mais non lors de la sortie, présentait un caractère déséquilibré pour la filiale sortante (TC Paris, 18 novembre 2004, n°2003023988).
- Cour de cassation 12 mai 2021 n°19-19.252 Société d’applications mécaniques du diamant c Sté WHA Holding
- Voir CA du 28 février 2019, n°18/1621