- Com 12 juin 2019, pourvoi n° 16-25.025, inédit
L’assistance financière désigne le fait pour une société de donner les moyens financiers à une personne pour l’achat de ses propres titres de capital (actions). Réglementée de manière restrictive pour la première fois par une directive européenne de 1976, régime modifié dans un sens plus libéral par une nouvelle directive européenne en 2006, le droit français persiste à prohiber cette pratique. La jurisprudence, peu abondante sur le sujet, en a progressivement délimité le champ ; c’est heureux, tant cette conception se révèle trop rigoriste. L’arrêt du 12 juin 2019 en est une nouvelle illustration.
Le siège de l’interdiction en droit français est l’article L225-216 du code du commerce qui interdit à une société « (d’)avancer des fonds, (d’)accorder des prêts ou (de) consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers ». Cette assistance financière, ainsi nommée parce que la société cible offre à la société acquéreuse, une assistance en lui donnant les moyens de réaliser l’acquisition, a été combattue au motif de la protection du capital social.
Cette justification est dorénavant obsolète et la directive de 2006 indique que les législations des Etats membres devraient « permettre aux sociétés anonymes d’accorder une aide financière en vue de l’acquisition de leurs actions par un tiers, dans la limite de leurs réserves distribuables, afin de renforcer la flexibilité face aux modifications des droits attachés à la participation au capital de la société ». Obsolète sans aucun doute, il n’en demeure pas moins que les textes français n’ont pas évolués…, ce qui permet de comprendre l’importance du cantonnement opéré par la jurisprudence.
Faits
En l’espèce, une société acquiert les titres de capital d’une autre société, laquelle est propriétaire d’immeubles. Peu après cette acquisition, les immeubles sont vendus à un tiers.
Le prix de vente des immeubles est versé, non à la société venderesse, mais à la société qui a acquis les titres de capital, laquelle verse alors les fonds ainsi reçus aux cédants des titres de capital (les ex-actionnaires de la société cible).
Procédure
La Cour d’appel saisie de la licéité de l’opération sanctionne cette opération en considérant qu’il s’agit d’une assistance financière prohibée, constitutive d’une faute de gestion commise par le dirigeant.
Solution contestée par le dirigeant condamné, amenant la Cour de cassation à casser la décision d’appel qui a vu dans ce montage une assistance financière prohibée.
En effet, pour la Chambre commerciale, « l’opération litigieuse ne constituait pas une avance de fonds faite par la société (cible), ni un prêt par elle accordé en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions, de sorte qu’elle ne pouvait, à ce titre, constituer une faute de gestion commise par M. Q…, en qualité de dirigeant de la société (cible) ».
Arrêt inédit confirmant le droit positif
La décision est « inédite » : cela se comprend parce qu’elle est d’espèce (et ne comporte ni affirmation d’un principe, ni ne constitue-t-elle une inflexion de la jurisprudence). En revanche, l’arrêt confirme le raisonnement à mener en présence d’ingénierie sociétaire et contractuelle qui permettent à l’acquéreur d’une société d’en financer l’acquisition au moyen des actifs acquis (directement ou indirectement).
En revanche, l’arrêt confirme le raisonnement à mener en présence d’ingénierie sociétaire et contractuelle qui permettent à l’acquéreur d’une société d’en financer l’acquisition au moyen des actifs acquis (directement ou indirectement).
La jurisprudence a dit que l’article L225-216 était d’interprétation stricte (car c’est un texte « répressif »), de sorte que seules des avances, prêts et sûretés accordées par la cible en vue de l’acquisition de ses titres tombent sous le coup de l’interdiction.
Dès lors que l’opération est postérieure, elle ne peut constituer une assistance financière prohibée.
L’opération n’est alors, logiquement, pas conclue en vue de … !
De plus, dès lors que l’opération prend une forme différente des modalités visées par le texte (en l’espèce, une cession d’actifs), elle ne peut pas plus être prohibée puisqu’elle demeure alors en dehors de son champ d’application.
Les conséquences ne sont pas anodines : l’opération n’encourt pas de grief de nullité d’une part, le dirigeant ne commet pas (à ce titre, du moins) une faute de gestion, d’autre part. Pratiquement, cela impose d’être vigilant et de structurer savamment toutes les opérations d’acquisition et de restructuration afin d’éviter tout risque de remise en cause. Si donc cet arrêt (inédit on l’a dit) est un rappel bienvenu, on peut regretter que ni la loi PACTE, ni la toute nouvelle loi de simplification du droit des sociétés, suivant en cela la position européenne (depuis 2006 !) n’ont pas jugé opportun de libérer le droit français des sociétés d’une notion, et d’une contrainte, qui n’est plus justifiée aujourd’hui… et demeure largement incomprise des investisseurs étrangers, en général ignorants d’un tel concept.
Ici, comme ailleurs, les annonces de simplification et d’allégement des contraintes réglementaires demeurent… des annonces !