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Le Made in America Tax Plan

Fin mars et début avril, les États-Unis ont dévoilé leur feuille de route pour une nouvelle réforme de leur fiscalité, signant par la même occasion un tournant dans la politique fiscale de la première puissance économique mondiale.

L’équation financière pour l’administration Biden est, sur le papier, simple : financer un ambitieux plan d’investissements notamment dans les infrastructures et la lutte contre le changement, sans oublier l’accès à la santé et les études, en combinant hausses d’impôt et augmentation de la dette publique.

A ce jour, côté « dépenses », le American Jobs Plan annoncé fin mars a été chiffré à 2300 milliards de dollars, affectés essentiellement à l’amélioration des moyens de transports (321 milliards), des soins aux personnes âgées (400 milliards), la promotion de la recherche (180 milliards), et l’accès amélioré à de l’eau potable (111 milliards) et réseaux de télécommunication en zone rurale (100 milliards). Si on y ajoute les crédits d’impôts également annoncés en faveur de la production d’énergies renouvelables, la facture pourrait même atteindre 2700 milliards de dollars.

Le Families Plan dévoilé il y a 2 jours contient également sa part de dépenses en faveur des familles les plus défavorisées, qui ajoute au total à financer ?

Côté « ressources », le Made In America Tax Plan présenté quelques jours plus tard, fournit quelques réponses, sous forme de diverses hausses d’impôt centré sur les sociétés. Ces hausses d’impôt s’accompagnent d’un rapport du Trésor prévoyant un retour des États-Unis sur le devant de la scène en matière de négociations et accords sur la fiscalité internationale qui pourrait aboutir à « un changement des règles du jeu » pour reprendre les termes de la Secrétaire d’Etat Janet Yellen.

Surprises ou chronique d’une hausse générale annoncée ?

Pour autant, nombre de ces propositions n’ont pas surpris les opérateurs économiques. En effet, elles étaient annoncées dans le programme du candidat Biden dès 2020. Ainsi, la hausse du taux de l’impôt sur les sociétés, ainsi que le durcissement des règles d’imposition minimum (les bien-nommées règles « GILTI » (phonétiquement ‘coupables’) issues de la réforme Trump), le refus d’accorder des déductions d’impôts aux entreprises qui délocaliseraient des emplois hors du territoire américain, ainsi que la suppression des aides aux groupes engagés dans la production d’énergies fossiles au profit des énergies propres ou renouvelables, sont la concrétisation d’une promesse de campagne, certes formulée de façon assez générale mais assez explicite au fond. D’autres propositions en revanche, comme l’instauration d’un impôt minimum de 15 % sur les bénéfices comptables, sont nouvelles et feront l’objet d’un suivi attentif dans les mois qui viennent.

Par ailleurs, le Plan met également en avant une meilleure allocation de ressources à l’IRS (Internal Revenue Service, en charge notamment des vérifications des entreprises et particuliers) afin de redonner à ce dernier les moyens d’un contrôle efficace et d’une mise en œuvre des mesures votées par ailleurs. Le Plan ne dévoile cependant pas la nature et le montant de l’enveloppe qui y serait consacré.

De façon générale, on notera que le Made In America Tax Plan exprime la volonté de concilier l’augmentation des ressources fédérales nécessaires à l’American Jobs Plan, tout en préservant la compétitivité des États-Unis au plan international en termes d’attractivité. Sur ce point, les débats entre Démocrates et Républicains promettent d’être acharnés. En effet, ces derniers avaient voté la réforme précédente (Tax Cuts and Jobs Act) pour encourager le rapatriement des capitaux accumulés par les groupes américains pour cause de fiscalité domestique alourdie et l’investissement sur le sol national. Lors des débats à la Commission des Finances du Sénat lors de la présentation du Plan par le Sénateur Wyden (Parti Démocrate), l’inquiétude du clan républicain au sujet d’une réforme en passe de détricoter, à leurs yeux, les efforts consentis depuis 2017 était palpable. De plus, il est probable que les auteurs du projet de loi, puis le législateur, aient à concéder quelques compromis pour permettre au texte d’être voté, et ce, alors même que les Démocrates ne possèdent qu’une majorité sur le fil dans les deux Chambres du Congrès et que certains ont déjà le regard rivé vers les Mid-Term Elections de l’automne 2022, où de nombreux sièges démocrates sont en jeu.

Ces compromis au sujet de la « compétitivité » pourront d’ailleurs également trouver à s’exprimer sur le terrain des inégalités perçues entre multinationales et PME, ces dernières ayant beaucoup souffert ces derniers mois des effets de la pandémie et des mesures sanitaires imposées depuis mars dernier de façon plus ou moins large par les Etats, ou entre sociétés et personnes physiques. Pour ces dernières, le troisième plan (Families Plan) comporte son propre volet fiscalité ciblant les ménages les plus riches, incluant une hausse du taux marginal, un basculement de la taxation des plus-values dans le régime des revenus communs et une tentative de fin des avantages concédés aux  « carried interest » pour tous les gérants de fonds.

Les États-Unis en pointe sur un nouvel ordre fiscal mondial ?

Côté « international », le virage pris par les États-Unis pour se concentrer sur la coopération internationale signe un véritable changement de paradigme par rapport à l’ère Trump. Entre le Président Biden qui martèle depuis le début de son mandat sa volonté de s’engager à nouveau dans les discussions multilatérales et sa secrétaire d’Etat au Trésor qui annonce vouloir stopper « la course vers le bas » des économies, les pays de l’OCDE peuvent s’attendre à un rebond des débats autour des travaux tels que Piliers I & II. Si sur le fond, les perceptions américaines peuvent sembler alignées avec les objectifs qui sous-tendent ces travaux, à savoir, très schématiquement : d’une part une nouvelle méthode de répartition de la base imposable des groupes engagés dans des activités de services digitaux, plus en faveur des juridictions où se situent les marchés débouchés, et d’autre part, une imposition minimum des groupes multinationaux afin de limiter l’intérêt d’implantations dans des territoires à faible fiscalité, la politique pour y parvenir, quant à elle, diffère sensiblement.

En premier lieu, les États-Unis considèrent que le Pilier I, relatif à la nouvelle répartition de la base imposable, est trop discriminant à l’encontre des groupes américains, et ce d’autant plus que nombre de pays ont, en attendant un compromis réellement partagé et mis en œuvre au plan international, introduit leur propre version d’une taxe sur les services digitaux. On se souvient encore des passes d’armes entre Bercy et la Maison Blanche lorsque la taxe française est entrée en vigueur… A noter que ce qui était initialement une première réponse européenne, non coordonnée au demeurant, a fait école et est désormais intégrée dans des codes fiscaux et parfois avec un champ d’application bien plus large. En témoigne l’exemple indien, dont la nouvelle taxe vise quasiment l’intégralité du e-commerce. Or la crise économique provoquée par la pandémie et les mesures de soutien votées en masse ne font qu’accentuer la pression pour trouver ou conserver des ressources financières publiques précieuses.

En contrepartie, Biden propose donc une nouvelle méthode visant cette fois non plus un secteur d’activité en particulier, mais les 100 plus grands et profitables groupes mondiaux. Selon le calcul américain, la réduction du nombre d’entreprises concernées serait largement compensée par l’imposition de bases par définition plus larges dès lors que le seuil de profitabilité serait élevé. Reste la question de la définition de ce seuil pour confirmer l’équilibre avancé, ainsi que la réaction des autres grandes économies à cette contre-proposition.

En second lieu, pour ce qui est du Pilier II, la proposition américaine est audacieuse en ce qu’elle fixe un taux minimum d’imposition de 21% là où les travaux de l’OCDE n’avaient pas avancé de taux mais avaient probablement en tête ceux des européens comme l’Irlande, Chypre (12,5%) ou le Royaume-Uni (19% jusqu’à l’annonce en mars dernier d’une augmentation à 25% à compter de 2023). Pour le reste, les modifications annoncées aux régimes GILTI et BEAT – ce dernier remplacé par le SHIELD – ressemblent au mécanisme envisagé par l’OCDE. Mais, en attendant que les détails de ces changements soient dévoilés dans un véritable projet de loi, la règle américaine pourrait se révéler plus stricte que les règles du Pilier II. A la clé, un véritable désavantage compétitif pour les multinationales américaines si le reste de la planète ne s’alignait pas sur ce seuil de 21%, puisque seules les premières se verraient appliquer ce plancher.

Quelles suites ?

La combinaison de propositions aboutissant à modifier de façon importante la politique fiscale des États-Unis, avec la faible majorité du parti présidentiel au Congrès, laisse entrevoir de nombreux épisodes avant un éventuel aboutissement sous forme d’une entrée en vigueur.

La première incertitude concerne le package global présenté in fine au vote, tenant compte à la fois des dépenses et des ressources, ces dernières elles-mêmes réparties entre un plan pour les sociétés et un plan pour les ménages tout juste dévoilé.

La deuxième concerne les règles budgétaires américaines de Budget Reconciliation, imposant d’étudier les effets des lois de finance sur une fenêtre de 10 ans, afin d’éviter les déséquilibres budgétaires théoriques. Il y a 4 ans, cette procédure avait amené le Congrès à inclure une fin programmée de certains régimes avantageux ou un durcissement d’autres règles (comme la transition de l’EBITDA vers l’EBIT comme agrégat de référence pour la limite de déductibilité des intérêts). Cette fois, il faudra surveiller les compromis sur les dépenses d’infrastructure ou les aides aux ménages permettant de limiter certaines hausses d’impôt annoncées, notamment en termes de taux d’impôt sur les sociétés ou imposition minimum. Ces compromis pouvant avoir des sources multiples, on ne peut que conseiller aux entreprises actuellement implantées aux États-Unis ou envisageant une expansion sur ce marché, de suivre de près les débats et procéder à des modélisations récurrentes avant toute décision définitive.

Enfin, comme toujours, on rappellera que les annonces évoquées ici ne concernent que l’impôt fédéral, et ne seront pas nécessairement suivies par les différents États en matière de State Tax. La vigilance sera également là de mise.

 

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