Le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, qui aura donc pris des airs de tragédie shakespearienne, laissant interrogatif sur la qualité de l’air en ce royaume, va toucher à sa fin. Quelle qu’elle soit.
Par trois fois, dans un geste trinitaire digne des épopées chevaleresques, l’esthétique en moins, Westminster a rejeté, ce 29 mars 2019, l’accord de transition. Désormais, « le 12 avril est le nouveau 29 mars », et une sortie sans accord semble inévitable. A ceci près que les rebondissements sont toujours possibles ! La traditionnelle vigueur du parlementarisme britannique ne peut s’être entièrement évaporée dans les brumes des Pubs !
Il n’en reste pas moins que les parlementaires de sa Majesté ont encore, le 1er avril, rejeté l’option d’une union douanière, ainsi que celle d’un « marché commun 2.0 » (adhésion à l’Espace économique européen, EEE, et à l’association européenne de libre-échange, AELE). Ils ont également rejeté un vote (référendum) de tout accord de Brexit avant sa ratification et la reprise intégrale du processus par le parlement (extension du délai, absence d’accord ou révocation de l’article 50 du traité sur l’Union européenne).
Bref, la politique interne du royaume en ruine prend le continent en otage : le parlement vote contre l’accord, mais également contre une sortie sans accord, contre son premier ministre, mais sans le démettre. Position qui, à l’image du délitement que l’on constate dans la société britannique, laisse entière la question de ce que l’on fait du départ de l’Union européenne. Brevitatis causa, l’on assiste à une crise du Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union, et de l’Union vis-à-vis de sa trajectoire demain.
Reprenons un peu de sérénité, tournant un regard au loin, pour passer en revue les formes d’accord qui pourraient être noués entre l’île britannique et le continent européen.
L’Union européenne, tel un descendant de l’Empire romain, excelle dans une stratégie consistant à nouer des accords avec ses voisins proches ou éloignés. A tel enseigne, qu’aucun Etat environnant n’est pas engagé dans une forme ou une autre d’accord de coopération. C’est la force de l’Union, cette capacité à nouer des alliances pragmatiques visant à organiser autant que possible les échanges internationaux, manifestation de son choix d’embrasser le soft power.
Il existe trois options, que l’on dira « de base », plus une : une union douanière, l’espace économique européen (EEE), et un accord de libre échange (les fameux FTA, Free Trade Agreement), lesquels peuvent se combiner. A cela il faut ajouter l’AELE, association européenne de libre-échange, zone de circulation libre des produits, fonctionnant comme une coopération intergouvernementale sans aucun transfert de prérogatives de souveraineté.
A regarder l’existant, on identifie plusieurs modèles possibles.
Le modèle norvégien, tout d’abord. La Norvège est membre de l’EEE et de l’AELE. Simplement dit, dans cette configuration, un Etat accepte les quatre libertés fondamentales (dont la libre circulation des personnes, aux côtés de la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux) ainsi que l’application des normes et standards européens afin de bénéficier du principe de libre-échange. Dans ce cas, demeurent exclues la politique agricole commune ainsi que la politique commune de la pêche. La CJUE n’a aucune compétence, et la contribution au budget de l’Union, réelle, est limitée.
Le modèle suisse, ensuite. La Confédération helvétique est membre de l’AELE, mais non de l’EEE. Elle complète son accès au marché intérieur par des accords sectoriels spécifiques, adoptant ainsi l’acquis communautaire correspondant. En revanche, elle n’est pas soumise à la compétence de la CJUE.
Le modèle turc. La Turquie a conclu une union douanière avec l’Union européenne qui laisse une libre circulation aux marchandises, mais exclut les services, l’agriculture et les marchés publics.
Le modèle canadien ou sud-coréen enfin. Il s’agit alors d’un traditionnel accord de libre-échange.
A suivre les positions exprimées par le Royaume-Uni, on constate, en premier lieu, que l’accord de transition (négocié durant deux ans) cherchait une sortie sans sortir ; il était donc prévisible que celui-ci rencontrerait l’hostilité des « hard brexiters » (essentiellement avec la question irlandaise, des plus sensibles car menaçant l’intégrité du Royaume).
Concernant les autres options, ni union douanière (qui suppose de respecter l’acquis communautaire, bien que maintenant une autonomie tarifaire), ni EEE/AELE (supposant d’accepter les libertés fondamentales), ne sont des options compatibles avec les justifications du choix du Brexit, c’est-à-dire la volonté de quitter l’UE (le « leave »).
Que reste-t-il donc pour s’extirper de ce fiasco complet (une sortie de l’UE décidée essentiellement pour des raisons sans liens avec ce qu’est l’Union et les liens la liant au Royaume-Uni) ?
Une extension, longue, du délai de négociation afin de préparer un traité de libre-échange… ou une révocation de la procédure de sortie. Ou alors, plus prosaïquement, n’en déplaise aux parlementaires incapables de s’accorder pour le bien de leur propre pays, une sortie sans aucun accord, Brexit sec… correspondant à l’absurdité du 1 % de majorité du référendum.
La dernière tentative articule une extension courte du délai, afin d’éviter d’avoir à participer aux élections européennes, la constitution (enfin !) d’une commission incluant l’opposition, le Labour, pour valider et affiner l’accord de transition négocié en y ajoutant sans doute le maintien, à titre de transition, du Royaume-Uni dans une union douanière avec l’UE.
Nous n’avons pas fini de naviguer de surprise en surprise !