Depuis l’arrêt De Lasteyrie Du Saillant (CJCE 11 mars 2004, aff. C 9/02), la France a appris, à ses dépens, que les libertés fondamentales protégées par le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après « TFUE ») prohibent les impositions à la sortie en particulier lorsqu’elles conduisent à une imposition immédiate des actifs transférés. Ce principe a d’ailleurs été confirmé par la Commission dans une Communication du 19 décembre 2006 (COM(2006) 825).
En bon élève de l’Europe, la France, à compter du 31 décembre 2004, par le vote et la promulgation des dispositions de l’article 34 de la loi de finances pour 2005, n°2004-1484 du 30 décembre 2004, a écarté l’application des conséquences fiscales de la cessation d’entreprise lorsqu’une société résidente de France transfère son siège social dans un autre Etat membre de l’Union et a codifié cette modification de son droit au 2 de l’article 221 du Code général des impôts.
La liberté d’établissement (articles 49 et suivants du TFUE, anciennement 43 du TCE) est donc assurée dès lors que les dispositions du troisième alinéa du 2 de l’article 221 du Code général des impôts conduisent à ne pas procéder à la taxation immédiate des bénéfices d’exploitation de l’exercice en cours, des bénéfices en sursis d’imposition ni à celle des plus-values latentes incluses dans l’actif social lors du transfert du siège social dans un autre Etat membre, et ce que le transfert s’accompagne ou non de la perte de la personnalité morale. En effet, aux termes des dispositions susmentionnées, « le transfert de siège dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, qu’il s’accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique en France, n’emporte pas les conséquences de la cessation d’entreprise ».
Pourtant, tous les cas n’ont pas été pleinement anticipés. En d’autres termes, à notre sens, il demeure encore des scories d’exit tax dans le dispositif français. Ainsi, il est permis de s’interroger sur le traitement réservé aux plus-values latentes des actifs transférés lors du transfert de siège social. Ces actifs sont en effet immédiatement imposables dès lors que le transfert se traduit par une sortie de l’actif du bilan de l’entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés en France (un cas proche, celui de la cession des actifs au moment du transfert, ne sera pas traité dès lors que l’imposition de la plus-value -réelle et non latente cette fois- nous semble incontestable sur le terrain de l’exit tax ou imposition à la sortie). Ce n’est que si lesdits actifs restent imposables en France dans la mesure où ils y forment un établissement stable soumis à l’impôt sur les sociétés, que les conséquences du transfert de siège social ne sont pas appliquées conformément aux dispositions de l’article 221 du Code général des impôts. Bien entendu, le transfert ultérieur des éléments d’actifs inscrits au bilan de l’établissement stable sera là encore le fait générateur de l’imposition des plus-values latentes attachées à ces actifs.
Il convient de bien s’entendre sur la situation visée ici. Pour cela nous prendrons deux exemples précis. Une entreprise ayant son siège en France décide de le transférer dans un autre Etat membre de l’Union européenne, en Italie par exemple. Elle décide que ce transfert de siège s’accompagne d’un transfert de l’ensemble des actifs de son bilan (ces derniers ne restent donc pas à l’actif du bilan d’un établissement stable français et ne sont donc plus imposables à l’impôt sur les sociétés). Il n’y a pas de cession de ces actifs, les plus-values ne sont donc pas réalisées (elles sont latentes) et pourtant elles font l’objet d’une imposition dont l’élément déclencheur est le transfert de siège à l’étranger.
Ce qui est frappant, c’est que si le transfert se faisait en France entre deux villes, jamais les actifs simplement transférés ne feraient l’objet d’une imposition (au titre des impôts directs). Prenons un exemple concret, une entreprise qui dispose en France de deux établissements et de son siège social décide de transférer ce dernier en Italie. Cette société ne transfère pas pour autant les actifs afférents aux deux établissements qu’elle détient sur le territoire français. Les actifs inscrits au bilan de chacun des établissements stables n’étant pas transférés, il n’y a pas de taxation d’une quelconque plus-value latente.
Dès lors, les entreprises françaises se voient indéniablement entravées dans leur droit au libre établissement dans l’Union européenne comme le confère le TFUE. Il est intéressant par ailleurs de noter que la levée de cette imposition au moment du franchissement de la frontière de l’Etat membre – française en ce qui concerne le dispositif du 2 de l’article 221 du CGI – (mais pas de celle de l’espace européen) est à la source du contentieux et des procédures d’infraction initiées par la Commission européenne à l’encontre d’un certain nombre d’Etats membres*. La France a été pour l’heure encore épargnée de toute nouvelle procédure sur ce fondement. Un contribuable entravé dans l’exercice de sa liberté d’établissement pourrait avec succès, selon nous, faire valoir ses droits.
* Voir notamment Grau Romain, Vail Morgan, « L’imposition à la sortie, un sujet toujours en voie de règlement dans les Etats membres de l’UE », Revue de Droit Fiscal 17 décembre 2009, n°51, étude, pp. 24 à 26 ; et l’article « Des taxes à la sortie dans un marché unique ?! » sur notre blog