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Ordonnance « DAC6 » : premiers commentaires de l’Administration en consultation publique

Ainsi que l’avaient annoncé les représentants de l’administration fiscale, les commentaires de l’Administration concernant l’ordonnance de transposition « DAC6 » (n° 2019-1068 du 21 octobre 2019 relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, CGI. art. 1649 AD à CGI, art. 1649 AH) feront l’objet de deux BOFiP : un sur le champ et les modalités d’application, un autre sur les marqueurs généraux et spécifiques.

L’Administration vient de publier en consultation le premier BOFiP sur le champ et les modalités d’application. Les personnes intéressées peuvent adresser leurs remarques éventuelles à l’Administration du 9 mars 2020 au 30 avril 2020 inclus. Néanmoins, ces commentaires sont opposables dès à présent et ce, jusqu’à leur (éventuelle) révision.

Le 2e BOFiP sur les marqueurs est particulièrement attendu.

Vous trouverez ci-après les principaux points qui ont retenu notre attention.

Déclarations de dispositifs transfrontières

Il est expressément indiqué que les dispositifs transfrontières déclarables dont la 1re étape a été mise en œuvre avant le 25 juin 2018 et qui produiraient leurs effets après le 25 juin 2018 ne doivent pas être déclarés. Cependant, selon l’Administration, toute modification apportée à ces dispositifs est déclarable.

Champ d’application

Dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration

UN DISPOSITIF…

Le terme dispositif est entendu au sens large et recouvre notamment tout accord, entente, mécanisme, transaction ou série de transactions, qu’ils aient ou non force exécutoire. Il comprend donc en particulier la création, l’attribution, l’acquisition ou le transfert du revenu lui-même ou de la propriété ou du droit au titre duquel le revenu est dû.

De même, il inclut la constitution, l’acquisition ou la dissolution d’une personne morale, ou la souscription d’un instrument financier.

…TRANSFRONTIERE…

Deux conditions sont requises pour qualifier un dispositif de « transfrontière » :

…. DECLARABLE

Rappelons que les commentaires sur les marqueurs généraux et spécifiques qui rendent le dispositif transfrontière « déclarable » feront l’objet d’une prochaine publication de l’Administration. A ce stade, celle-ci se limite donc à apporter ses premiers commentaires sur la condition préalable de « l’avantage principal » requis par certains marqueurs (ie marqueurs n° A.1., A.2., A.3., B.1., B.2., B.3., C.1.b.i), C.1.c. et C.1.d.).

Pour mémoire, l’article 1649 AH, I du CGI précise que : « Ce critère est rempli s’il est établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est l’obtention d’un avantage fiscal. » Cette notion est indubitablement en lien avec les dispositifs anti-abus (voir notamment article 205 A du CGI, Directive mère fille 2015/121 modifiant la directive 2011/96/UE (article premier), Directive ATAD 2016/1164 (article 6), Directive fusion 2009/133/CE (article 15)).

Le critère de l’avantage principal doit être analysé de manière globale. Ainsi, afin de déterminer si un dispositif transfrontière présente un avantage fiscal principal, ce dispositif devra être analysé dans son ensemble, en considérant les effets dans les États de l’Union européenne et hors Union européenne [et non plus les seuls effets circonscrits aux États de l’Europe comme précédemment annoncé].

A titre illustratif, il est indiqué qu’un dispositif peut être conçu pour profiter d’une différence de traitement fiscal entre deux États. Par exemple, lorsque qu’un paiement est à la fois déductible conformément à la législation de l’État A (paiement = charge d’intérêt), et non taxable selon la législation de l’État B (revenu = dividende exonéré).

On notera qu’un avantage fiscal est réputé exister lorsque le dispositif transfrontière permet notamment d’obtenir un remboursement d’impôt, un allégement ou une diminution d’impôt, une réduction de dette fiscale, un report d’imposition ou une absence d’imposition.

L’Administration prend le soin d’indiquer que la motivation ou l’intention des parties ne saurait être prise en compte pour apprécier le caractère « principal » de l’avantage ainsi obtenu (analyse objective). Aussi, le fait qu’une personne ne recherche pas l’obtention d’un avantage fiscal principal est indifférent.

L’importance de l’avantage fiscal repose notamment sur la valeur de l’avantage fiscal obtenu par rapport à la valeur des autres avantages retirés du dispositif.

A titre d’exemple, il est mentionné que dans le cas où l’avantage fiscal et l’avantage commercial seraient les avantages principaux retirés du dispositif et qu’un avantage marginal de positionnement géographique serait également retiré du dispositif, l’un des avantages principaux retirés du dispositif est un avantage fiscal.

L’Administration mesure également le caractère principal de cet avantage par référence au balancier suivant : « le dispositif transfrontière n’aurait pas été élaboré de la même façon sans l’existence de cet avantage ».

Sous réserve du respect de l’intention du législateur français, lorsque l’avantage principal est obtenu en France au moyen d’un dispositif transfrontière qui résulte de l’utilisation conforme d’un dispositif d’incitation fiscale, il n’est a priori pas considéré comme un « avantage fiscal principal » au sens de l’article 1649 AH du CGI.

Cette précision fait écho aux commentaires sur le « mini-abus de droit » (art. L. 64 A du LPF) selon lesquels les dispositions de l’article L. 64 A du LPF ne doivent pas trouver à s’appliquer lorsqu’un schéma est « encouragé » par le législateur via une incitation fiscale, alors même que ce schéma aurait un but principalement fiscal, sous réserve qu’il ne soit pas manifestement détourné de son objet (BOI-CF-IOR-30-20-20200131, n° 120).

Enfin, il est indiqué que « la notion d’objet ou de finalité du droit fiscal applicable renvoie à l’objectif poursuivi par le législateur au travers de la mise en œuvre des dispositions en cause ».

Le recours à cette formule fait une nouvelle fois écho aux commentaires sur les dispositifs « anti-abus » ! [par exemple les articles L. 64 et L. 64 A du LPF « à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » ; l’article 205 A du CGI « à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable » ; Directive mère fille 2015/121 modifiant la directive 2011/96/UE « allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la présente directive » (article premier) ; Directive ATAD 2016/1164 « allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable » (article 6)].

Personne tenue d’effectuer la déclaration

INTERMEDIAIRE…

En ce qui concerne l’intermédiaire prestataire de services, on relèvera que ce dernier n’est pas considéré comme intermédiaire, dès lors qu’il ne fait qu’intervenir ou prendre connaissance du dispositif transfrontière déclarable postérieurement à sa mise en œuvre ou postérieurement à la délivrance du conseil conduisant à la mise en œuvre du dispositif – bien entendu ceci sous réserve qu’il n’ait apporté aucune aide, assistance ou conseil se rapportant à la conception, la commercialisation ou l’organisation du dispositif transfrontière déclarable.

Quelques exemples sont donnés à titre illustratif : commissaire aux comptes dans le cadre de la réalisation de l’audit légal ; banque dépositaire qui réclamerait un trop perçu de retenue à la source avec le contribuable ; conseil, différent du conseil à l’origine du dispositif, dont la mission consisterait uniquement à se prononcer sur le caractère déclarable ou non d’un dispositif transfrontière.

De plus, certaines précisions sont apportées pour le secteur financier pour les opérations bancaires de routine (réception et conservation de fonds, transferts de fonds et opérations de change, octroi de financements, fourniture de services bancaires de paiement).

Pour ce qui est de l’intermédiaire soumis à l’obligation de secret professionnel, prévue et réprimée par l’article 226-13 du Code pénal (avocat par ex.), il souscrit la déclaration avec l’accord du ou des contribuables concernés par le dispositif transfrontière. Et à défaut de cet accord, l’intermédiaire notifie à tout autre intermédiaire l’obligation déclarative qui lui incombe. Il est ainsi précisé que lorsque l’intermédiaire notifie l’obligation de déclaration à un autre intermédiaire, il n’est pas tenu d’accompagner cette notification de toute information permettant de souscrire la déclaration.

On rappelle qu’en l’absence d’autre intermédiaire, l’intermédiaire soumis au secret professionnel notifie au contribuable concerné par le dispositif transfrontière l’obligation déclarative qui lui incombe. Dans ce cas de figure, il lui transmet également les informations nécessaires au respect de son obligation déclarative.

Enfin, il est indiqué que toute personne (intermédiaire ou contribuable) ayant reçu notification de l’obligation déclarative par un intermédiaire soumis au secret professionnel n’ayant pas obtenu l’accord de souscrire sa déclaration dispose de la faculté de réviser l’appréciation initiale rendue par l’intermédiaire qui le notifie, sur les faits et circonstances permettant de qualifier le dispositif de déclarable, et de conclure que le dispositif n’est pas déclarable. Bien entendu, dans ce dernier cas, l’absence de déclaration n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’intermédiaire soumis au secret professionnel qui l’a notifié.

ET/OU CONTRIBUABLE CONCERNE…

En référence au II de l’article 1649 AE du CGI, le contribuable concerné est défini comme toute personne :

En tout état de cause, le contribuable concerné est l’utilisateur ou est partie au dispositif transfrontière déclarable. Les exemples évoqués à titre illustratif sont éloquents :

Exemple 1 : Au sein d’un groupe, la société mère (Société A) conçoit un dispositif transfrontière déclarable utilisé par d’autres sociétés du groupe (Société B et Société C). Dans ce cas, la société A est intermédiaire concepteur et les sociétés B et C des contribuables concernés. Les rôles restent les mêmes si la société mère fait intervenir des intermédiaires prestataires de services pour fournir une aide/conseil/assistance sur des points ponctuels.

Exemple 2 : La Société A conçoit un dispositif transfrontière déclarable utilisé par elle et par d’autres sociétés du même groupe (Société B et Société C). Dans ce cas, la société A est à la fois intermédiaire concepteur et contribuable concerné. Les sociétés B et C sont également des contribuables concernés.

Exemple 3 : Une société de gestion de portefeuille organise un dispositif transfrontière déclarable utilisé par un organisme de placement collectif (OPC). Dans ce dernier cas, la société de gestion est intermédiaire concepteur et l’OPC contribuable concerné.

Modalités d’application

Fait générateur

Comme précédemment évoqué, l’intermédiaire qui reçoit une notification d’un autre intermédiaire soumis au secret professionnel dispose d’un délai de 30 jours à compter de la réception de cette notification pour effectuer sa déclaration ou, s’il est lui-même soumis au secret professionnel, pour notifier à tout autre intermédiaire ou à défaut au contribuable concerné.

Dans ce contexte, l’Administration précise que le délai de déclaration à respecter par l’ensemble des intermédiaires ne saurait excéder 90 jours à compter de la date d’envoi de la 1re notification.

Articulation avec les dispositifs « anti-abus » et les autres obligations déclaratives

L’Administration prend le soin de signaler que l’obligation déclarative DAC6 s’applique indépendamment de la circonstance que (i) les dispositifs transfrontières déclarables seraient en conformité avec les dispositifs anti-abus applicables existants et/ou que (ii) les informations à déclarer ont déjà été déclarées en application d’autres dispositions (et notamment au regard de la législation Tracfin).

Contenu de la déclaration

En application de l’article 1649 IV du CGI, les informations contenues dans la déclaration doivent être précisées par décret. Basés en grande partie sur la Directive DAC6, les commentaires de l’Administration apportent déjà une première lumière sur le contenu des éléments à reporter à l’Administration et les modalités pratiques correspondantes.

A cet égard, on notera que tant les intermédiaires que les contribuables concernés ne sont tenus de déclarer que les informations dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent à la date du fait générateur de l’obligation déclarative. Aucune sanction ne peut s’appliquer dans le cas où le déclarant ne déclare pas une information dont il n’a pas connaissance, qui ne se trouve pas en sa possession ou sous son contrôle.

Ainsi, un intermédiaire n’est pas tenu d’aller au-delà des exigences prévues par les différentes règles professionnelles applicables lorsqu’il recueille et déclare les informations nécessaires à la déclaration.

Par ailleurs, en ce qui concerne le contenu de ces « rubriques », on soulignera uniquement, à ce stade, les précisions relatives à l’estimation de la valeur du dispositif en ce qu’elle désigne l’évaluation des montants en jeu et s’apprécie au cas par cas, en fonction de la nature de celui-ci (e.g. montant de la transaction à l’origine d’un dispositif transfrontière, celle-ci étant constituée par exemple d’une vente, d’une acquisition, d’un prêt ou d’un investissement en capital). Les montants en jeu sont appréciés à leur valeur nominale.

Enfin, l’Administration précise que la déclaration d’un dispositif transfrontière déclarable ne vaut pas prise de position de l’administration fiscale sur ce dispositif.

Symétriquement, la déclaration d’un dispositif ne vaut pas reconnaissance par le déclarant du caractère potentiellement agressif du dispositif déclaré. Certes, nous le lisons bien. Cependant, à partir du moment où certains marqueurs exigent le critère de l’avantage principal et que ce même critère est défini dans des termes très proches de celui des dispositifs « anti-abus » (notamment art. L. 64 A du LPF – voir développements ci-dessus), comment valablement soutenir l’absence de lien entre la déclaration d’un dispositif et la reconnaissance par le déclarant de son caractère potentiellement agressif ? L’interrogation demeure…

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