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Piliers 1 et 2 de l’OCDE : état des lieux d’un projet de réforme fiscale ambitieux

Cet article a été publié dans la Lettre du Trésorier n°406 de l’AFTE  et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

 

Le 8 octobre 2021, après plusieurs années d’âpres négociations, les 141 pays membres du Cadre inclusif Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) / G20 s’accordaient pour une solution à deux piliers (les piliers 1 et 2) afin de réformer en profondeur le système fiscal international et répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Ce grand bouleversement fiscal semblait compromis tant le défi technique s’avère complexe pour une mise en oeuvre dès 2023. L’adoption le 16 décembre 2022 par les vingt-sept Etats de l’Union européenne de la directive Pilier 2 marque un nouvel élan dans ce projet et encourage les groupes multinationaux à accélérer leur préparation.

Le pilier 1 ou l’instauration d’un nouveau droit à imposer

Le pilier 1 vise à instaurer de nouvelles règles de répartition des droits d’imposition des bénéfices des groupes. Ce pilier est construit autour de deux objectifs : i) instaurer un nouveau droit d’imposition (c’est-à-dire 25 % de leur profit avant impôt consolidé) sur une fraction du bénéfice consolidé avant impôt résiduel des groupes multinationaux au profit des juridictions dans lesquelles sont consommés ou utilisés les biens ou services
(« montant A »). Le montant A ne concernerait que les groupes multinationaux dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse les 20 milliards d’euros et dont la rentabilité (bénéfice avant impôt rapporté au chiffre d’affaires) est supérieure à 10 %. Les groupes opérant dans le secteur des industries extractives ou des services financiers ne seraient en revanche pas touchés par cette mesure, qui concerne à l’heure actuelle environ cent groupes à l’échelle du monde, dont moins de dix en France ii) simplifier l’application du principe de pleine concurrence aux activités de commercialisation et de distribution en attribuant un montant de rentabilité minimale (« montant B »). Le montant B s’appliquerait aux contrats d’achats et de reventes entre entreprises lorsqu’elles achètent des marchandises auprès d’une partie liée pour les revendre à des tiers. Le contour précis des distributeurs concernés reste à définir.

L’objectif affiché par le Cadre inclusif était à l’origine une mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2023 du pilier 1. Cette date a finalement été repoussée au 1er janvier 2024. Si les travaux de l’OCDE se poursuivent, notamment avec les consultations publiques sur les montants A et B, une application dès 2024 semble encore très ambitieuse étant donné la complexité du mécanisme à mettre en oeuvre, notamment sur le montant A.

Le pilier 2 ou l’instauration d’un taux minimum d’imposition

Le pilier 2 vise lui à instaurer un taux d’imposition minimum notamment par l’application des règles dites Global Anti-Base Erosion Rules pour un niveau d’impôt sur les bénéfices minimum de 15 %.

Ce mécanisme repose sur la mise en oeuvre de deux règles : i) la règle d’inclusion du revenu (RIR) prévoit le paiement d’un impôt complémentaire par l’entité mère ultime (ou une holding intermédiaire dans certaines situations) dans sa juridiction d’établissement si l’impôt payé dans l’une des juridictions étrangères par l’ensemble de ses filiales et succursales est inférieur au taux de 15 % ii) la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) qui prévoit, lorsque les règles Global Anti-Base Erosion Rules n’ont pas été adoptées dans le pays de la société mère ultime, que le paiement de l’impôt complémentaire déterminé de la même façon que pour la RIR soit mis à la charge de l’ensemble des sociétés du groupe par le biais d’une clé de répartition.

Les règles Global Anti-Base Erosion Rules s’appliqueraient aux groupes dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 750 millions d’euros pendant au moins deux des quatre derniers exercices consécutifs précédents.

Le 16 décembre 2022, les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne ont formellement adopté la directive Pilier 2 qui reprend, à quelques exceptions près, la législation modèle de l’OCDE publiée un an plus tôt. Cette directive devra être transposée par les États membres d’ici au 31 décembre 2023, pour une application de la RIR à compter de 2024 (exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023) et de la RPII à compter de 2025 (exercices ouverts à compter du 31 décembre 2024).

Cette décision a été saluée par l’OCDE qui espère toujours faire adopter le pilier 2 d’ici à la fin de 2023 par l’ensemble des membres du Cadre inclusif.

Des conséquences tangibles pour les groupes multinationaux

Contrairement à ce qui était anticipé, l’impact pour les groupes multinationaux pourrait ne pas être négligeable.

D’une part, l’enjeu financier pourrait être significatif. L’OCDE estime en effet que l’application du pilier 1 pourrait rapporter jusqu’à 36 milliards de dollars aux juridictions concernées et que l’instauration du taux minimum de
15 % (pilier 2) pourrait se traduire par des gains de recettes annuelles d’environ 220 milliards de dollars, soit 9 % des impôts sur les bénéfices mondiaux.

D’autre part, s’agissant de la mise en oeuvre de pilier 2, au-delà de l’impôt complémentaire qui pourrait être dû le cas échéant par un groupe multinational, les groupes concernés seront soumis à une nouvelle obligation déclarative excessivement complexe. En effet, pour les pays pour lesquels le groupe ne sera pas en mesure de bénéficier d’une des trois règles de simplification publiées par l’OCDE fin 2022, il devra démontrer sur la base de l’ensemble des règles Global Anti-Base Erosion Rules que l’impôt acquitté dans chaque pays est supérieur à 15 %. S’il ne peut pas le démontrer, il devra déterminer le montant de l’impôt complémentaire à acquitter.

En fonction des règles de détention et des déclinaisons locales des règles du pilier 2 dans chacun des 141 pays du Cadre inclusif, l’impôt complémentaire pourrait devoir être acquitté dans un autre pays que celui ayant généré le profit ou que celui de la société mère ultime. Les conséquences cash de cette dissociation entre lieu d’imposition et de profit devront être soigneusement étudiées.

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