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Principe de pleine concurrence – Point de référence de l’intervalle des prix de pleine concurrence

Photo du conseil d'Etat

Cet article a initialement été publié dans la revue Fiscalité internationale – Février 2019 – Editions JFA Juristes & Fiscalistes Associés. Il est reproduit sur notre blog avec l’accord de l’éditeur.

Le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles l’administration doit arrêter le niveau de marge adapté de la société contrôlée, en vue de déterminer ses rectifications. Elle peut retenir la médiane de l’interquartile dès lors que la situation examinée le permet.

À l’occasion de cette affaire qui portait sur la contestation de la réduction des suppléments de cotisation minimale de taxe professionnelle, le Conseil d’État s’est penché une nouvelle fois sur une question qui lui avait déjà été soumise et qu’il avait tranché par deux décisions du 6 juin 2018 en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle (CE, 6 juin 2018, n° 409645 et 409647, SCS General Electric Medical Systems).

À l’issue d’un contrôle, l’administration avait contesté la politique de prix de transfert du groupe et déterminé le montant des rectifications en retenant la médiane des comparables issus de l’étude réalisée par le service de vérification.

Le groupe contestait le recours à ce chiffre et faisait valoir, de manière subsidiaire au coeur de son argumentation, que si le prix qu’il avait retenu pour déterminer la rémunération allouée à la société française était insuffisant, conformément aux conclusions de l’administration, rien n’indiquait que la médiane, et non un autre point de l’intervalle interquartile, devait être choisie pour calculer le montant de la rectification.

Le Conseil d’État a considéré que la Cour administrative d’appel, en validant le recours par l’administration à cette référence de la médiane de l’échantillon de pleine concurrence, n’avait pas entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation et n’avait méconnu ni l’article 57 du CGI ni le principe de liberté des choix de gestion des entreprises.

Dans ses arrêts de juin 2018, le Conseil d’État avait clairement indiqué que la Cour administrative d’appel avait estimé que la « médiane constituait, dans les circonstances de l’espèce, le point reflétant le mieux les faits et circonstances des transactions concernées ». De la même manière, le Conseil d’État a considéré dans son arrêt de novembre 2018 que l’administration pouvait retenir cette médiane dès lors qu’elle avait justifié « son choix au regard des caractéristiques propres à la société requérante tenant à son positionnement sur le marché en cause et aux contraintes spécifiques qu’elle devait assumer ».

Telle est bien l’approche retenue par les deux rapporteurs publics1, l’un comme l’autre ayant considéré que les juges du fond avaient pris le soin de valider l’utilisation de la médiane au cas qui leur était soumis et n’avaient en rien jugé que cette dernière devrait être retenue toujours et en toutes circonstances.

Au demeurant, il n’est pas indifférent de se souvenir, alors que le mandat actuel du Forum conjoint sur les prix de transfert de l’Union européenne va s’achever au printemps prochain, que ce dernier s’est penché sur l’utilisation des comparables de prix de transfert au sein de l’Union européenne2. Il a proposé un rappel aux administrations et aux groupes internationaux des bonnes pratiques en la matière. Dans le même esprit que celui retenu par le Conseil d’État, le Forum suggère ainsi que le recours à la médiane soit envisagé uniquement lorsque des difficultés statistiques subsistent à l’issue de l’étude de comparables ou que des ajustements satisfaisants ne peuvent être apportés aux résultats de cette dernière.

 

L’oeil de la pratique

Le Conseil d’État vient rappeler à l’occasion de ces décisions son attachement à l’étude détaillée de la situation de l’entreprise et de la réalisation de ses opérations, en vue de déterminer le point de l’intervalle interquartile à retenir.

De même que le juge s’attache à vérifier que l’administration a bien procédé à cette analyse pour retenir la médiane de l’étude de comparables, ou tout autre point, les groupes doivent également s’assurer qu’ils sont en mesure de justifier le niveau de rémunération qu’ils ont retenu à l’issue de leur étude de comparables et à documenter leur position.

Sur ce sujet précis du niveau de rémunération à retenir, le Forum recommande, même si l’intervalle complet peut être utilisé (à la condition que le niveau de comparabilités des sociétés soit élevé), de le rendre plus précis à l’aide de méthodes statistiques, afin de renforcer sa fiabilité. Ainsi, à l’identique de la position de l’OCDE, lorsque l’intervalle interquartile est retenu, chaque point de cet intervalle doit être considéré comme représentatif du principe de pleine concurrence et, par conséquent, aucune rectification ne doit être proposée si la rémunération relative à la transaction testée se trouve comprise dans cet intervalle. Si au contraire elle se trouve en-dehors, elle doit être corrigée afin de la ramener dans cet intervalle, à l’issue d’une analyse conjointe par l’administration fiscale et le groupe. Si aucune raison permettant de justifier un autre point de cet intervalle ne peut être avancée par le groupe ou par l’administration, la médiane doit alors être considérée comme la cible à retenir. Le Forum s’est de la sorte attaché à s’appuyer sur les commentaires de l’OCDE, qu’il reprend à de nombreuses reprises pour les citer dans son rapport. Il cherche à en offrir une déclinaison européenne en apportant ses propres précisions et ses commentaires de clarification. Or, tel est bien la recommandation issue des principes OCDE3 : lorsque l’intervalle comprend des résultats dont le degré de fiabilité est suffisant, n’importe quel point de l’intervalle satisfait au principe de pleine concurrence et si le niveau de prix ou la marge se trouve à l’intérieur de l’intervalle de pleine concurrence, aucun ajustement n’est alors nécessaire.

Enfin, le lecteur peut être surpris de ce que le Conseil d’État s’accommode de l’absence de précision apportée par la Cour administrative d’appel quant aux conditions dans lesquelles elle apprécie les caractéristiques propres de l’affaire pour retenir la médiane de l’interquartile. À défaut de précision, il semble en effet illusoire de s’assurer que cette dernière s’est effectivement livrée à cette analyse des circonstances de l’espèce.


1 Romain Victor pour les arrêts de juin 2018 et Karin Ciavaldini pour l’arrêt de novembre 2018.

2 Rapport sur le recours aux comparables au sein de l’Union européenne, oct. 2016, JTPF/007/2016/Final. Nous en présentons une synthèse en annexe à la présente chronique (V. annexe 2).

3 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, rapport de l’OCDE, éd. 2017

 

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