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Entreprises en difficulté : la Commission européenne amorce une nouvelle étape vers un droit européen harmonisé de l’insolvabilité

La Commission européenne a publié, le 7 décembre dernier, son projet de directive (2022/0408) qui vise à harmoniser certains aspects des législations des Etats membres. La vocation de ce nouveau texte est de développer les investissements transfrontaliers et améliorer le fonctionnement du marché unique en limitant les divergences entre les différents droits européens des entreprises en difficulté qui sont source d’obstacles à une plus grande intégration européenne.

Un sujet d’attention au niveau européen

Le droit européen s’est déjà intéressé par le passé au droit des entreprises en difficulté. Un premier règlement de 2015 (n°2015/848) avait traité des conflits de loi européens permettant d’identifier dans quel Etat membre une procédure devait être ouverte, quelle loi devait lui être appliquée et comment s’organisait la coexistence de procédures parallèle (procédure d’insolvabilité secondaire). Les différentes législations nationales en matière de droit des entreprises en difficulté ont par ailleurs été amendées par une directive de 2019 (n°2019/1023), transposée en droit français par l’ordonnance du 15 septembre 2021 (voir notre série d’articles à ce sujet).

Le nouveau projet de directive accroît encore l’ambition en la matière en visant plus qu’une coordination des droits nationaux, pour offrir une harmonisation du droit des Etats membres. Les bénéfices attendus expliquent les objectifs poursuivis :

Ce projet se concentre sur quelques mesures clés qui devraient avoir un impact significatif sur l’efficacité et la durée des procédures selon la Commission européenne.

Les mesures les plus significatives du projet

La Commission européenne propose de nouvelles mesures, dont certaines sont dans le droit-fil de l’orientation prise avec la directive précitée de 2019. Ce texte vise à permettre l’ouverture des procédures le plus en amont possible, en communiquant plus largement sur les outils de gestion des difficulté mis en place par les différents Etats membres ou, encore, en obligeant les dirigeants à solliciter l’ouverture d’une procédure dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle ils ont eu, ou auraient dû, avoir connaissance de l’état de cessation des paiements de leur entreprise (cette obligation existe déjà en France et le délai est de 45 jours à compter de la date de cessation des paiements).

La directive vise également à renforcer l’efficacité des procédures, notamment en permettant aux organes de la procédure et tribunaux d’avoir accès à des bases de données permettant d’identifier les actifs appartenant au débiteur, ou encore en facilitant la liquidation des microentreprises en difficulté.

Notons que le texte comporte également des propositions relatives aux nullités de la période suspecte, à un nouveau comité de créanciers ou encore au prepack cession que nous verrons en détails par la suite.

Il n’est cependant toujours pas envisagé, à ce stade, d’unifier des concepts tels que l’insolvabilité, pourtant au cœur de la matière. Cela explique que l’instrument utilisé est une directive et non un règlement. Un choix qui se justifie par la plus grande difficulté à obtenir une norme unifiée au travers d’un consensus des 27 Etats membres.

Une conception extensive du mécanisme des nullités de la période suspecte

Le projet de directive ambitionne de généraliser un concept déjà connu en droit français et qui a pour objectif le recouvrement d’actifs appartenant au débiteur, et ainsi la maximisation de la valeur pouvant être redistribuée entre ses créanciers, au moyen de l’annulation d’un certain nombre d’actes passés au détriment de la masse des créanciers (l’ensemble agrégé des créanciers).

Les actes susceptibles de faire l’objet de ces mesures sont définis dans des termes généraux. Ils peuvent d’ailleurs consister en une omission ou avoir été accomplis par un cocontractant du débiteur ou par un tiers. Les conséquences de l’annulation, tout particulièrement dans ces cas de figure, seront complexes.

La proposition de directive classe les actes en cause en trois catégories :  

En fonction de la catégorie à laquelle appartient l’acte remis en cause, la durée de la période dite suspecte, c’est-à-dire la période pendant laquelle doit avoir été passé l’acte pour être susceptible d’annulation, différera.

A titre d’exemple, la période suspecte pour les actes passés pour une contrepartie insuffisante sera d’un an quand celle des actes passés par le débiteur avec l’intention de nuire aux créanciers sera de 4 ans avant le dépôt de la demande d’ouverture de la procédure.

En droit positif français, la période suspecte est définie comme la période allant de la date de cessation des paiements à la date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Elle ne peut donc durer plus de dix-huit mois.

Un nouveau comité au service de la protection des intérêts des créanciers

Afin de renforcer la position des créanciers dans la procédure, le projet de directive propose de mettre en place un nouveau comité de créanciers. Ce comité ne doit pas être confondu avec celui que nous connaissions en droit français, avant l’ordonnance du 15 septembre 2021 qui instaura les « classes de parties affectées », devant permettre la consultation des créanciers sur les projets de plans de sauvegarde ou de redressement.

Ce nouveau comité de créanciers constituerait un nouvel organe de la procédure doté de ses missions propres. Il s’agit pour ce comité de s’assurer de la protection des intérêts des créanciers et de l’implication des créanciers individuels dans le cadre de la conduite de la procédure collective.

En droit positif français, le mandataire judiciaire a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Il est certes possible d’obtenir la désignation d’un contrôleur parmi les créanciers, mais celui-ci n’est chargé que d’assister le mandataire judiciaire dans ses fonctions et le juge commissaire dans sa mission de surveillance de l’administration de l’entreprise.

La mission du nouveau comité de créanciers irait bien au-delà de celle du créancier contrôleur puisqu’il aurait a minima des droits d’information spécifiques. Cela englobe le droit d’être consulté sur certaines questions qui intéressent les créanciers représentés par le comité, en ce compris la vente d’actifs en dehors du cours normal des affaires ou encore la supervision de l’insolvency practionner, ce qui inclus notamment le fait de consulter et d’informer ce praticien des souhaits des créanciers.

La promotion du prepack cession

L’objectif, avec cet instrument, est de maximiser la valeur pouvant revenir aux créanciers. Il est, en effet, établi qu’il est plus intéressant financièrement de vendre une branche d’activité en cours d’exploitation plutôt que les actifs la composant « à la découpe ».

Le principe du prepack est de préparer et de négocier la cession d’une entreprise en amont de toute procédure et de n’ouvrir celle-ci que dans un second temps, pour encadrer ladite cession, une fois les parties d’accord sur le résultat de leur négociation.

Le projet de directive s’attache à mettre en place les garde-fous nécessaires afin que les potentiels acquéreurs puissent être informés du processus de cession et que la meilleure valeur de marché possible puisse être obtenue à l’issue d’un processus compétitif. C’est dans cette optique qu’un professionnel (le « monitor ») devra être désigné par le tribunal pour superviser le processus de cession mis en œuvre. Il sera le garant de ce que celui-ci est bien concurrentiel, transparent, juste et conforme aux standards de marché.

Le prepack cession décrit par la Commission européenne s’appuie par ailleurs sur la notion de « test du meilleur intérêt des créanciers » introduite par l’ordonnance du 15 septembre 2021: dans tous les processus de prepack cession, le monitor devra confirmer que la meilleure offre reçue ne constitue pas une violation manifeste de la règle du test du meilleur intérêt des créanciers, et, si la seule offre reçue par le monitor provient d’un proche du débiteur (s’agissant d’une personne morale, il faut notamment comprendre un dirigeant ou un actionnaire majoritaire), il devra alors vérifier que le principe du test du meilleur intérêt des créanciers est bien respecté.

Il ne s’agit à ce stade que d’un projet de directive qui pourrait encore évoluer avant d’avoir à être transposé en droit français, mais il convient de noter que les objectifs fixés par le projet, ainsi que les différentes mesures décrites pour y parvenir, continuent d’orienter les droits des Etats membres en matière de droit des entreprises en difficulté dans un sens pro-créancier. Le changement de paradigme observé en droit français dans le cadre de la transposition de la première directive, d’un droit des entreprises en difficulté plutôt pro-débiteur vers une meilleure prise en compte des intérêts des créanciers, devrait donc, en l’état de la rédaction du projet, se confirmer.

 

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