Depuis une dizaine d’années, la Cour de justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, ont entrepris une œuvre de suppression de la majeure partie des retenues à la source discriminatoires visant les non-résidents.
Dans ce contexte, c’est principalement les dispositions du paragraphe 2 de l’article 119 bis du CGI qui ont été remises en question par la Cour de justice et le Conseil d’Etat. Ont ainsi été jugées incompatibles avec le droit de l’Union européenne, la retenue à la source qui frappait les dividendes distribués à :
- des sociétés entrant dans le champ du régime des sociétés mères (CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05 Denkavit International BV et Denkavit France SARL ; CE, 6 avril 2007, n°235069, Denkavit International BV et Denkavit France SARL) ;
- des organismes de retraite (CE, 13 février 2009, n° 298108, Société Sitchting Unilever Pensioenfonds Progress) ;
- des OPCVM (CJUE, 10 mai 2012, aff. jtes C-338/11 à 347/11, Santander Asset Management e.a) ;
- des organismes de bienfaisance (CE, 22 mai 2015, n°369819 et 369820, Ministre c/ Wellcome Trust) ;
- des personnes physiques (CE, 7 mai 2014, n°356760, Reynaerts).
La seule invocation des décisions du juge français et du juge communautaire ne suffit cependant pas à garantir la restitution de la retenue à la source. En effet, les contribuables doivent porter une attention toute particulière au respect des règles procédurales spécifiques encadrant ces réclamations. Celles-ci peuvent dans certaines situations, s’avérer plus contraignantes que les règles de droit commun.
L’actualité récente nous donne l’occasion de faire un tour d’horizon de la procédure contentieuse liée aux retenues à la source.
En principe, lorsque la personne ou société qui a opéré la retenue de l’impôt et en a effectué le versement au service des impôts demande une restitution de ce versement, le point de départ du délai de réclamation se situe à la date dudit versement et la date d’expiration de ce délai est le 31 décembre de la deuxième année suivant la date du versement (LPF, art. R*. 196-1, b).
Lorsque la réclamation est présentée par le contribuable qui reçoit les sommes, deux situations se présentent.
Si le contribuable est résident de France, le point de départ du délai pour réclamer est la mise en recouvrement du rôle et le point d’arrivée est le 31 décembre de la deuxième année qui suit la date de mise en recouvrement (LPF, art. R*. 196-1, a).
Si le contribuable est non-résident, le point de départ du délai pour réclamer est la date à laquelle les retenues ont été opérées (date du paiement, à leur bénéficiaire, des revenus amputés de l’impôt retenu à la source), et la date d’expiration du délai est le 31 décembre de l’année suivant celle de ce point de départ (LPF, art. R*. 196-1, b).
Ainsi, une distinction est opérée entre le contribuable résident qui dispose d’un délai de réclamation de deux ans courant à compter de la réception de l’avis d’imposition et le contribuable non-résident qui dispose d’un délai d’un an courant à compter de la date de paiement des revenus ayant fait l’objet de la retenue à la source.
Cette distinction soulève de nombreuses questions tant au regard du droit interne que du droit communautaire.
Si la conformité du délai abrégé avec le droit de l’Union européenne vient d’être confirmé par deux arrêts récents de la Cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 12 mars 2015, n°12VE02080, Ministre c/ M. Mme A et CAA Versailles, 6e ch ; 12 mars 2015, n°12VE02554, Ministre c/ M. et Mme Foery) à propos de la restitution de la retenue à la source prévue par l’ancien article 244 bis A du CGI, l’analyse retenue par les juges du fond nous parait contestable.
En premier lieu, on rappellera que ces affaires concernaient le prélèvement libératoire prévu à l’article 244 bis A du CGI en matière de plus-value immobilière réalisée par un non-résident.
Or, l’on peut s’interroger sur l’application de ce délai de réclamation abrégé s’agissant d’un prélèvement libératoire où par hypothèse, la partie versante et le contribuable se confondent.
En second lieu, la position de la CAA de Versailles nous parait contraire à l’intention du législateur. En effet, il ressort des travaux parlementaires que les délais prévus par la seconde partie de l’article R*. 196-1 du LPF visent à « offrir aux contribuables une seconde chance en leur apportant des facilités nouvelles pour obtenir le dégrèvement » et ne peuvent donc pas avoir pour effet d’écourter le délai de réclamation de droit commun de deux ans.
Le Conseil d’Etat avait ainsi suivi ces commentaires dans un arrêt du 5 juillet 2010, n°310945, SNC Serater où il avait jugé que « dès lors que les délais [de deux ans] prévus par la première partie de l’article R. 196-1 du LPF ne sont pas clos, une réclamation, n’est en tout état de cause pas tardive ».
Par ailleurs, la doctrine administrative avait un temps reconnu cette approche favorable pour le contribuable mais n’a malheureusement pas été reprise lors de la refonte du BOFiP en septembre 2012.
Enfin, au regard du droit communautaire, ce délai abrégé nous apparaît comme une restriction à la libre circulation des capitaux (dans les cas où l’efficacité des contrôles fiscaux et la lutte contre la fraude fiscale sont assurés) tout en méconnaissant le principe d’équivalence qui encadre avec le principe d’effectivité1
Ainsi, la Cour de justice a déjà pu juger contraire à la libre circulation des capitaux, une législation belge qui prévoyait, pour l’évaluation d’actions nominatives, en vue de l’imposition d’une succession, un délai de prescription de dix ans lorsque siège de la direction effective de l’entreprise émettrice est situé dans un autre Etat membre alors que ce délai est ramené à deux ans lorsque le siège de la direction effective de l’entreprise émettrice est situé en Belgique. Selon la Cour, une telle distinction est, en effet, de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements ou de maintenir de tels investissements (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-132/10, Halley).
S’agissant du principe communautaire prétorien d’équivalence, celui-ci impose que l’action en restitution des sommes acquittées en méconnaissance du droit de l’Union européenne ne soit pas effectuée dans des conditions moins favorables que celles qui encadrent des recours de nature semblable en droit interne (En ce sens, CJUE du 18 avril 2013, aff. C-565/11, Mariana Irimie).
Or, s’agissant des retenues à la source, il nous semble qu’en mettant en place un délai de réclamation différent en fonction du lieu de résidence du contribuable, la loi française méconnaît ce principe.
Dans un autre registre, l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 juillet 2015, n° 376369, Société Aubépar, nous permet également de mettre l’accent sur la procédure particulière relative aux demandes de restitution de retenue à la source sur les dividendes fondées sur l’application du droit conventionnel et de l’article 119 ter du CGI par des non-résidents.
En effet, dans ce cas spécifique, la doctrine administrative publiée au BOI-INT-DG-20-20-20-20-20120912 § 100 à 150 admet que le bénéficiaire des revenus dispose d’un délai de deux ans à compter de la date de versement de la retenue à la source auprès du Trésor français pour demander a posteriori à l’établissement payeur le bénéfice du taux conventionnel.
Dans le cadre de cette procédure, le contribuable qui conteste l’application de la retenue à la source doit saisir l’établissement payeur et non l’Administration en déposant l’imprimé Cerfa 5000 (« attestation de résidence ») et son annexe 5001 (« liquidation de la retenue à la source sur dividendes »).
Par cette décision, le Conseil d’Etat a d’une part, étendu l’application de cette procédure aux demandes d’exonération prévue par l’article 119 ter du CGI et, d’autre part, jugé que le dépôt de ces formulaires constitue une réclamation au sens des dispositions de l’article L 190 du LPF alors même que ceux-ci n’ont pas été adressés à l’administration fiscale mais à l’établissement payeur.
S’agissant des délais et voies de recours devant la juridiction administrative, l’on peut supposer que le dépôt de ces formulaires devrait faire naître une décision implicite de rejet de l’Administration qui ne devrait pas faire courir les délais de recours contentieux. En effet, l’éventuel remboursement effectué par l’établissement payeur ne peut être regardé comme une décision de l’administration fiscale dans la mesure où celle-ci peut toujours le remettre en cause.
On notera que cette décision ne tranche pas la question de la compatibilité avec le droit de l’Union européenne de cette procédure de remboursement. Celle-ci a été soulevée dans le cadre d’un avis motivé par la Commission européenne Communiqué de presse de la Commission européenne du 24 septembre 2015, MEMO/15/5657, aff. 2009-5064.
En effet, en cas de réclamation contentieuse, les non-résidents bénéficient de moins de temps pour faire leur demande, le point de départ de celle-ci étant le moment de la retenue lors de la distribution des dividendes, alors que pour les contribuables résidant en France, c’est le moment de la réception de l’avis d’imposition.
Enfin, le Conseil d’Etat a jugé le 5 juin 2015 dans l’affaire Société Groupe Bruxelles Lambert n°373858, que les intérêts moratoires dus à la suite des restitutions de retenues à la source prélevées sur les dividendes ont pour point de départ les dates de paiement par l’établissement payeur à la société bénéficiaire des revenus des dividendes nets de retenues à la source et non, comme le soutenait l’administration fiscale, la date à laquelle l’établissement payeur verse la retenue à la source au Trésor public.