Que pensez-vous des projets de » TVA sociale » actuellement en cours de discussion ?
Le transfert des charges sociales vers la TVA revient à dévaluer au sein de la zone euro, et à gagner en compétitivité. Cela fait longtemps qu’on aurait dû le faire. Payer autant de charges que de salaire a forcément un impact sur l’emploi et le pouvoir d’achat. Nous sommes à un niveau de taxation qui diminue l’assiette fiscale. Mais il faudrait une remise à plat de la fiscalité, sinon cela n’aura pas d’effet immédiat, ni spectaculaire.
Pourquoi ?
La fiscalité doit être repensée pour prendre en compte la compétition fiscale internationale et protéger la base fiscale en France. Augmenter les impôts ne fait pas rentrer l’argent dans les caisses. L’assiette de l’impôt est aussi importante que son taux.
Pourquoi les grands groupes paient-ils moins d’impôts en France que les PME
D’abord, l’ampleur de l’écart reste sujette à discussion. Ensuite, les groupes internationaux ont beaucoup d’activité à l’étranger et ils y paient beaucoup d’impôts. Cela nous amène donc à une autre raison, dont nous n’avons pas conscience en France, qui est le protectionnisme fiscal. Pendant trente ans, nous avons assisté au démantèlement de la plupart des barrières douanières : les taxes à l’entrée sur les produits. Mais nous n’avons pas perçu, d’ici, la montée d’un autre protectionnisme, qui constitue une barrière à la sortie, sous l’impulsion des administrations fiscales. Le Japon, la Chine, l’Allemagne ou les Etats-Unis se mènent en effet une véritable guerre fiscale pour imposer chez eux les bénéfices des multinationales. Le principal enjeu est la détermination des » prix de transfert » auxquels les multinationales s’échangent des biens entre les différents pays. Et, depuis vingt ans que je suis ces questions, je n’ai jamais eu affaire, dans ce domaine, à un paradis fiscal. En effet, 95 % des firmes multinationales ne jouent pas à ce jeu-là.
Quand cette guerre fiscale a-t-elle commencé ?
Elle couvait sous l’administration Clinton, quand des redressements fiscaux entre les Etats-Unis et le Japon ou l’Europe ont eu lieu. Puis il y a eu une accalmie. Jusqu’en 2009, la question des prix de transfert était encore recouverte d’un voile pudique. Mais il a disparu depuis que la grande crise a éclaté. Le Brésil, l’Inde et la Chine ont changé, à leur avantage, la géopolitique fiscale. Cela a été le cas avec la réforme fiscale chinoise de 2008.
Comment cela fonctionne-t-il ?
L’Inde, le Brésil ou la Chine disent aux grandes entreprises : « Vous profitez des bas salaires chez moi, vous consommez mes ressources naturelles, je dois taxer plus que les profits que vous déclarez. » Les entreprises étrangères répondent : « Mais nous avons investi et apporté de la technologie. » Il s’agit d’un véritable bras de fer. Le protectionnisme fiscal fonctionne comme un piège : on investit, et quatre ans plus tard le redressement fiscal arrive.
C’est donc aux Etats de défendre leurs entreprises ?
Oui. Cela fait vingt ans que la souveraineté fiscale est en train de disparaître en Europe, sous l’effet de la globalisation et de la contestation des prix de transfert. Mais les Européens et les pays développés jouent aussi cette compétition fiscale entre eux, si bien qu’ils ont du mal à se défendre. Et nous sommes, en France, particulièrement naïfs et en retrait sur cette question, contrairement aux Etats-Unis, au Japon, à l’Allemagne ou au Royaume-Uni…
Que préconisez-vous ?
On ne peut retrouver une souveraineté fiscale qu’en contractualisant avec les grandes entreprises et en leur disant : « Localisez votre assiette fiscale chez moi et je vous défendrai vis-à-vis du fisc des autres pays, quitte à vous indemniser si je n’y arrive pas. » En faisant cela, et même en baissant le taux d’impôt sur les bénéfices à 25 %, je vous garantis que les recettes augmenteront. La sécurité fiscale a de la valeur, elle diminue les coûts de gestion.
Interview de Gianmarco Monsellato parue dans l’édition du 10 janvier du quotidien Le Monde
Propos recueillis par Adrien de Tricornot
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