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Comment traverser le moyen-âge fiscal en Europe ?

Comment traverser le moyen-âge fiscal en Europe ?

L’Europe a connu pendant un millénaire une période de transition chaotique entre l’ordre de l’Empire romain et celui des Etats nations issus de la Renaissance, époque où les structures sociales s’obstinaient à appliquer des règles obsolètes, entraînant un désordre durable. Force est de constater que l’étude des actualités fiscales donne l’impression de vivre une période similaire pour les entreprises notamment, à l’image d’Apple récemment.

Notre cadre fiscal international s’est construit sur le socle des souverainetés nationales où l’Etat de droit était garanti par des frontières. Entre temps, l’économie s’est mondialisée et les frontières ont largement disparu. Les souverainetés nationales sont alors entrées en conflit, remettant en cause les principes de sécurité juridique et multipliant les doubles impositions. Puis, le commerce international a cessé de croître et l’emploi dans les pays à économie mature reste en berne sans que personne ne semble vouloir y voir une relation de cause à effet. L’Europe, fidèle à son Histoire, est particulièrement concernée par cette mutation chaotique.

L’exemple d’Apple est à ce titre particulièrement instructif. Voilà une entreprise américaine qui a établi son siège européen en Irlande et qui y bénéficie d’un régime fiscal attractif. Ce régime est fondé sur la Loi du pays concerné. Il est depuis longtemps bien connu de ses voisins et de la Commission européenne qui l’ont tous accepté en son temps. Plusieurs pays ont d’ailleurs tenté d’imiter l’Irlande, avec des succès variables. La France en fait partie, puisqu’elle a développé un système de quartiers généraux pour groupes étrangers qui se voulait aussi attractif mais qui aura eu moins de succès du fait notamment d’une plus grande complexité.

Or, cette entreprise américaine se voit désormais sommée de rembourser les avantages retirés de l’application de la loi Irlandaise. Une entité sans souveraineté fiscale (la Commission européenne) condamne un Etat pour avoir exercé la souveraineté fiscale que les traités européens lui garantissent et fait payer le coût de cette sanction à l’entreprise à qui pourtant ni la Commission ni l’Etat irlandais n’ont rien à reprocher. L’Irlande refuse de bénéficier de ce remboursement et conteste la décision de la Commission. Si cette dernière devait avoir gain de cause, il n’est pas exclu que l’Irlande doive reverser aux Etats-Unis la somme perçue d’Apple. La Commission européenne aura alors œuvré à la réduction du déficit budgétaire américain. La scolastique moyenâgeuse apparaît plus claire en comparaison.

L’épisode pourrait prêter à sourire s’il ne constituait pas un grand pas franchi dans le retour au protectionnisme et à des économies de bloc. En effet, les Etats-Unis estiment que la Commission cherche à nuire aux entreprises américaines et menace l’Europe de représailles économiques. Or, en cas de représailles américaines, elles toucheront toutes les entreprises européennes quel que soit leur secteur d’activité, à l’image par exemple de Deutsche Bank ces derniers jours.

Mais l’affaire Apple, déjà célèbre, illustre le chaos fiscal européen. Un marché unique, une devise unique pour partie, 25 fiscalités différentes et concurrentes entre elles et une Commission européenne qui fait subitement rentrer la fiscalité dans le droit de la concurrence, innovation juridique la plus osée et la plus contestable de ce nouveau siècle. La fiscalité a bien quitté la sécurité juridique pour entrer dans le monde des conflits politiques.

L’OCDE a tenté d’ordonner ce grand désordre, en recourant à la « soft law » c’est à dire des recommandations sans force légale. Or, la faiblesse de la « soft law » réside justement dans son absence de pouvoir contraignant. Faute de pouvoir d’exécution, elle ne peut procurer la sécurité fiscale dont les entreprises ont tant besoin. C’est pourquoi, malgré la qualité des travaux de l’OCDE, ils n’ont pas freiné l’inflation des doubles impositions, qui touchent 94% des entreprises européennes, ni ses conséquences néfastes sur la croissance économique. Les solutions sont pourtant connues : une base fiscale unique en Europe, et une organisation mondiale de la fiscalité ou à défaut une procédure d’arbitrage international efficace comme elle existe pour le commerce. Les législateurs ne cessent de les repousser préférant continuer cette course au protectionnisme dont les effets négatifs sont pourtant bien connus.

Les entreprises sont donc confrontées à un désordre fiscal structurel qui représente leur premier risque non opérationnel. En effet, au risque financier majeur s’ajoute celui de réputation. Avant d’avoir raison en droit, il faut désormais convaincre l’opinion publique, ses salariés, ses clients du bien-fondé de sa politique fiscale, car le juge intervient bien après les médias et tribuns politiques.

Face à un désordre fiscal qui semble devoir durer, concevoir et appliquer une gouvernance fiscale à part entière représente la meilleure réponse de l’entreprise. Chaque gouvernance est particulière, mais toutes reposent sur trois principes :

  1. Une gestion des risques fiscaux fondée sur une cartographie mondiale qui soit à la fois prospective et comparative
  2. Une stratégie financière qui intègre une modélisation fiscale
  3. Une communication claire et pédagogique tant en interne qu’en externe

Une telle gouvernance permettra d’investir efficacement malgré le désordre fiscal actuel dont on ne peut qu’espérer qu’il ne durera pas mille ans.

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