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TVA applicable au voyage : la Commission Européenne dresse les pistes de réforme

Cet article a été initialement publié sur Tour Mag et il est reproduit sur ce blog avec l’autorisation de l’éditeur. 

La Commission Européenne a publié le 5 octobre dernier la synthèse des travaux du groupe de travail chargé de réfléchir aux pistes de réformes des règles du régime de TVA applicables au voyage et du tourisme. Le document adresse trois pans du secteur : le régime spécial de TVA sur marge applicable aux opérateurs/distributeurs ; le lieu de taxation des prestations de transport de voyageurs ; et le régime de détaxe de TVA sur les ventes de biens aux voyageurs non-communautaires.

Les lignes qui suivent se concentrent sur le premier sujet qui intéresse l’ensemble des opérateurs tels que les agents de voyages, tour-opérateurs, grossistes en voyage et agents réceptifs (dits « DMC » pour Destination Management Companies), ainsi que les organisateurs d’évènements, foires et salons (« MICE » pour Meetings, Incentives, Conferences, Exhibitions).

La mise en place du régime spécifique de TVA sur marge (dit régime « TOMS » pour Tour-Operator Margin Scheme) avait trouvé sa motivation dans le double objectif salutaire de (i) simplifier les obligations déclaratives des opérateurs en les dispensant de s’enregistrer à la TVA dans les pays de destination et (ii) de répartir consensuellement la recette fiscale entre les Etats de destination, qui ne remboursent pas la TVA payée sur les éléments du voyage se déroulant chez eux, et les Etats d’établissements des opérateurs, qui perçoivent la TVA sur la marge réalisée sur la vente du voyage.

Cela fait cependant quelques années que les praticiens et la Commission ont fait le constat des déviances et effets pervers du régime. Nous en citerons les trois principaux :

 

  1. Les disparités d’application du régime communautaire de marge entre les différents Etats Membres ont créé de graves distorsions concurrentielles entre les opérateurs. Les opérateurs français, notamment les DMCs et grossistes, ont beaucoup souffert de la position française appliquant le régime de marge aux relations BtoB là ou d’autres Etats membres ont permis – en contradiction avec le droit de l’Union européenne – d’appliquer les règles de TVA classiques à ces activités. Ainsi, les perspectives d’évolution du régime sont grandement souhaitables du point de vue de nos opérateurs nationaux
  2. De façon plus générale, les opérateurs communautaires souffrent de distorsions de concurrence avec leurs homologues non-communautaires, lesquels bénéficient pour la plupart d’exonérations de TVA sur la vente de voyages en Europe alors que les opérateurs européens doivent pour leur part collecter la TVA sur la marge dégagée sur la vente de ces mêmes voyages
  3. Enfin, les règles de détermination de la marge imposable se révèlent inapplicables en pratique à la plupart des métiers du voyage (tour-opérateurs, grossistes, etc.) et aboutissent à des aberrations fiscales qui vont directement à l’encontre de l’objectif de simplification qui avait motivé la mise en place du régime

Conscient de la nécessité de corriger ces déviances, le groupe de travail mis en place par la Commission a identifié quatre champs d’évolution rapide des règles. Nous en avons résumé ci-après les principaux enjeux.

La sortie de certains opérateurs du régime de TVA sur marge

L’une des principales source de distorsion du régime actuel provient de l’inclusion des opérations BtoB (ventes de voyages entre assujettis à la TVA) dans le champ du régime spécifique de TVA sur marge. Certains Etats Membres ont utilisé l’ambiguïté rédactionnelle du texte européen pour limiter l’application de ce régime aux seules opérations avec les « voyageurs » au sens « consommateurs finaux », alors que d’autres Etats – dont la France – appliquent le régime à toutes les ventes de voyages, tant BtoB que BtoC.

La Commission a elle-même poursuivi en justice et obtenu en 2018 la condamnation de l’Allemagne sur le sujet.

D’autres Etats Membres choisissent de ne pas appliquer le TOMS aux seules opérations faites par les DMC ou wholesalers. Ces Etats permettent ainsi la récupération de la TVA sur les ventes de voyages réalisées en BtoB. Les opérateurs français ont beaucoup souffert et souffrent toujours de la concurrence générée par cet état de fait.

Le groupe de travail propose ainsi de remédier à ces situations d’application disparate en évoquant la possibilité pour les Etats Membres d’opter pour l’exclusion totale des ventes en BtoB, y compris dans les cas de ventes de voyages d’affaires à des clients corporate. Pour notre part, notre préférence irait vers des changements plus structurants et harmonisés à l’échelle communautaire, tels que l’exclusion totale du régime des ventes en gros de voyages qui s’appliquerait obligatoirement dans le texte européen à tous les Etats Membres et leurs opérateurs.

La solution de l’option ne nous paraît en effet pas garantir la neutralité du régime pour tous. Nos opérateurs nationaux seraient ainsi forcément remis sur un pied d’égalité avec leurs homologues européens.

Dans le même ordre d’idées, la proposition visant à exclure les activités d’organisation d’évènements (MICE) ou salons du régime TOMS nous paraît également pertinente. L’impossibilité de déduire la TVA dans le cadre de ces flux liés aux MICE, qui n’intéressent le plus souvent que des assujettis à la TVA ayant un droit à déduction intégral, ne nous paraît pas justifiée, d’autant plus que dans ce secteur également la pratique des Etats Membres est disparate et donc source de distorsions.

La taxation des opérateurs non-communautaires

La règle actuelle du régime de TVA sur marge prévoit la taxation de la marge réalisée sur la vente de voyages se déroulant dans l’Union européenne au lieu d’établissement du prestataire. La plupart des pays situés en dehors de l’Union européenne n’imposant pas les ventes de voyages se déroulant hors de leur territoire, il en résulte un avantage de prix pour les opérateurs non-communautaires de l’ordre de 2 % à  4% du prix d’un voyage, ce qui est significatif pour des activité de volume à faible marge.

L’Allemagne a récemment tenté de remédier à cet état de fait en faisant sortir les opérateurs non-EU du régime spécifique de TVA sur marge, ce qui oblige théoriquement ces opérateurs à s’enregistrer à la TVA en Allemagne pour les opérations d’achat-revente de voyages dans ce pays.

L’intention est louable mais la mise en œuvre trahit des effets pervers : les opérateurs non-EU rebasculés dans le régime de TVA de droit commun peuvent désormais récupérer la TVA sur les achats des éléments de voyage, et vont dès lors préférer s’adresser directement aux prestataires (hôteliers, loueurs de véhicules, etc) plutôt que passer par un agent local qui – lui – reste soumis au régime TOMS, privant ainsi l’opérateur non-EU de la possibilité de récupérer la TVA grevant les différents éléments de voyage.

Les opérateurs de voyages allemands ne sont donc pas pleinement satisfaits de l’évolution des règles allemandes sur ce sujet.

Si l’idée allemande ne nous paraît pas recommandable, les solutions proposées par le groupe de travail communautaire sont davantage séduisantes.

L’idée la plus intéressante selon nous consisterait à basculer vers une règle de taxation au lieu de la destination, et non au lieu d’établissement de l’opérateur/distributeur. Certes, cela représenterait une perte de recettes fiscales pour les Etats Membres d’établissement des opérateurs, mais la généralisation de la règle aux non-communautaires permettrait – tout du moins théoriquement – de taxer toutes les opérations de ventes de voyages qui se déroulent en UE, qu’elles soient réalisées par des opérateurs communautaires ou non, et quelle que soit la nationalité du voyageur.

Le recours à la procédure du guichet unique permettrait en outre de ne pas compliquer la vie des opérateurs : en recourant à cet outil, la TVA du pays de destination serait en effet versée à un seul Etat Membre qui centraliserait l’ensemble des déclarations de l’opérateur, et serait chargé de reverser à chaque Etat les recettes fiscales lui revenant.

Ce régime est actuellement appliqué, avec un certain succès, au e-commerce dans l’Union européenne, en ce qu’il permet de dispenser d’obligations déclaratives les opérateurs dans chaque Etat de destination. Reste à voir comment contrôler et contraindre en pratique les opérateurs non-communautaires à venir s’enregistrer sur le portail d’un des Etats Membres de l’Union Européenne, cet enjeu dépassant largement le seul cadre du secteur du tourisme pour les pays de l’Union.

La clarification des concepts de voyage et d’intermédiaire tombant dans le champ du régime TOMS

Le régime actuel de TVA sur marge suscite des difficultés d’application liées au manque de clarté sur son champ d’application. Il n’est en effet théoriquement applicable qu’aux intermédiaires dits « opaques » qui agissent en leur nom pour le compte des prestataires de voyages, à l’inverse des intermédiaires dits « transparents » qui agissent au nom et pour le compte de leurs mandants.

Or, la pratique des opérateurs et des contrôles fiscaux en France révèle des sources de discussion sur les difficultés à opérer une distinction claire entre intermédiaires « opaques » et « transparents », faute de critères précis prévus par les textes.

Dans un but de clarification des concepts, le groupe de travail de la Commission propose une idée intéressante consistant à dresser une liste d’indices permettant d’identifier si un opérateur agit en son nom ou est purement transparent. Cela sécuriserait grandement les opérateurs.

De même, la notion de « voyage » est beaucoup discutée. Le juge européen a précisé qu’étaient seuls éligibles au régime de TVA sur marge les voyages incluant a minima un élément de transport et/ou d’hébergement. Mais la pratique révèle là encore des difficultés, et même le juge français a pu paraître s’égarer (voir la décision « Holiday Autos » du Conseil d’Etat du 07/12/2015 (n°371403) qui a fait application du régime de TVA sur marge à un revendeur de locations de voitures, sans composante de transport ou d’hébergement).

Sur la notion de voyage, plusieurs suggestions sont soulevées afin de circonscrire les composantes minimales d’un voyage rendant éligible à l’application du régime de TVA sur marge. De notre point de vue, l’idée de limiter le régime aux seuls packages incluant au moins un hébergement et un autre élément de voyage qui lui serait accessoire peut paraître séduisante.

La référence à toute autre composante qui ne serait pas un élément de voyage stricto sensu (par exemple une prestation de conseil) ne serait pas pertinente pour définir si la prestation est ou non soumise au régime spécial. La revente d’éléments de voyage « sec » (en tant qu’élément unique) pourrait également être sortie du régime de TVA sur marge, sachant que l’impact pratique d’une telle exclusion serait limitée car déjà aujourd’hui la grande majorité de ces transactions « sec » se fait sous intermédiation transparente.

La simplification du mode de calcul de la marge imposable

Les affaires « Commission contre Allemagne » et « Skarpa Travel », jugées par la Cour de Justice de l’Union Européenne en 2018, ont confirmé que les opérateurs doivent théoriquement déterminer leur marge imposable transaction par transaction (c’est à dire voyage par voyage).

Cette règle est considérée comme tout simplement inapplicable par un certain nombre d’opérateurs, notamment les TOs. De surcroît, sa correcte application nécessiterait des adaptations comptables et informatiques au coût exorbitant pour les entreprises du secteur, dans un contexte post-COVID déjà compliqué.

Outre les difficultés pratiques que posent cette règle, elle n’est pas non plus techniquement satisfaisante du point de vue fiscal car elle a pour conséquence de rendre la TVA due sur la totalité de la marge générée par tous les voyages financièrement bénéficiaires, sans possibilité de compensation avec la « marge négative » générée par la vente de voyages à perte durant la même période.

Les dépenses étant, pour le calcul de la marge imposable, retenues TTC et sans possibilité de récupérer la TVA dans les Etats membres concernés, la TVA encourue sur les dépenses engagées pour des voyages vendus à perte devient donc un coût définitif pour les agences de voyages (pour la partie des dépenses excédant le prix de vente du voyage).

Cette conclusion nous semble totalement opposée au principe de neutralité de la TVA, alors que les agences de voyages sont pleinement éligibles au bénéfice de ce principe. En effet, elles exercent une activité ouvrant pleinement droit à déduction, quand bien même la récupération de la TVA s’effectue « base sur base », et non « taxe sur taxe », du fait des modalités de calcul spécifiques inhérentes au régime de marge.

Il y a donc lieu d’envisager l’abandon de cette règle et le groupe de travail s’est heureusement efforcé d’identifier des pistes de réforme. Nous retenons l’idée d’une mise en place d’un régime obligatoire de calcul de marge sur une base annuelle, avec calcul provisionnel de la TVA due par référence à la date de départ (et non de paiement total ou partiel du prix du voyage comme c’est le cas aujourd’hui), ce qui correspond bien davantage à la pratique sectorielle. Des ajustements de la marge imposable seraient effectués en fin d’exercice en fonction des coûts réels effectifs encourus.

Régime de TVA applicable au voyage : conclusion

Il est effectivement grand temps de dépoussiérer et réformer rapidement le régime de TVA sur marge applicable au secteur du voyage. Les efforts de la Commission Européenne sont donc à saluer, dans une perspective de sécurisation fiscale et de suppression des distorsions de concurrence, qui affectent particulièrement nos propres opérateurs nationaux français.

Les discussions sont ouvertes sur les pistes de réforme, et l’enjeu majeur est désormais de réussir à susciter – au niveau des Etats Membres – l’opportunité de donner aux opérateurs communautaires les armes dont ils ont besoin pour évoluer dans un marché totalement mondialisé.

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