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Transfert indirect de bénéfices à l’étranger : une preuve toujours aussi exigeante

Photo du Conseil d'Etat

La déduction, par une société française, des subventions reçues de l’Etat, pour la détermination du prix de cession du produit de sa recherche à facturer à sa société mère étrangère, ne permet pas, par elle-même, de présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger.

Une société française exerçait une activité de recherche portant sur des projets relatifs aux composants électroniques et aux semi-conducteurs, pour lesquels elle percevait de l’Etat des subventions issues du fonds de compétitivité des entreprises, ainsi que des sommes au titre du crédit d’impôt recherche. Elle a conclu avec sa mère néerlandaise un contrat de General services agreement  prévoyant qu’elle transfère à sa société mère la propriété des droits incorporels non brevetables résultant de ses activités de recherche et développement dans le domaine des semi-conducteurs, moyennant la facturation des coûts relatifs à ces activités, augmentés d’une marge bénéficiaire de 10 %.

Au cours de deux vérifications de comptabilité, l’Administration a examiné les modalités de détermination de ce coût de revient majoré (cost plus), et a constaté que la base des coûts facturés par la société française à sa société mère avait été minorée du montant, d’une part, des subventions versées par l’Etat pour des actions de recherche et d’innovation au titre du fonds de compétitivité des entreprises et, d’autre part, des remboursements de CIR. En outre, elle a relevé que le  General services agreement  ne stipulait pas expressément que le prix de revient majoré refacturé à la société mère s’entendait du coût effectivement supporté, net du montant des aides publiques.

Partant du principe que la société n’aurait pas dû déduire le montant des subventions et du CIR dont elle avait bénéficié pour déterminer les coûts supportés au titre de son activité de recherche pour le compte de sa mère, le vérificateur a retenu les coûts bruts, c’est-à-dire sans déduction des subventions, pour déterminer le taux de marge pratiqué par la société. Selon les années en litige, il parvenait à un taux compris entre 5 et 9 %, inférieur au taux de 10 % prévu par le General services agreement. Il a comparé ces taux avec ceux pratiqués par cinq entreprises comparables selon lui, et a conclu à l’existence d’un transfert de bénéfices.

Les juges du fond ont accordé la décharge des impositions, en relevant que l’Administration n’apportait pas la preuve d’un avantage anormal par comparaison (panel et comparables insuffisants) et qu’elle ne proposait aucune méthode alternative pouvant s’y substituer (CAA Versailles, 11 octobre 2016, n° 14VE02651).

En cassation, le ministre soulevait un seul moyen. Selon lui, pour le calcul du coût de revient majoré (méthode du cost plus), la seule circonstance que les subventions publiques aient été déduites des coûts suffisait à caractériser l’existence d’un avantage par nature. Sa thèse n’a pas été accueillie. Le Conseil d’Etat refuse en effet de censurer l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Versailles, et juge que la déduction des subventions pour la détermination du prix de cession du produit de sa recherche à facturer par la société française à sa mère étrangère ne peut être regardée, par elle-même et indépendamment du niveau du prix de cession auquel cette déduction conduit par application du mode de calcul contractuel, comme un avantage permettant de présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI. Il ajoute que la circonstance que le contrat conclu entre les deux sociétés ne stipulerait pas expressément que les subventions s’imputent sur le coût de revient pris en compte n’est pas de nature à changer cette analyse.

L’avis des praticiens : Sandrine Rudeaux et Grégoire de Vogüé

L’affaire ministre c/ Philips illustre une nouvelle fois la sévérité des règles applicables en matière de charge de la preuve sur les prix de transfert. En choisissant de la mentionner aux tables du recueil Lebon sur ce point, le Conseil d’Etat la range parmi les décisions importantes qui font jurisprudence.

Pour mettre en œuvre l’article 57 du CGI, une fois la condition de dépendance établie, l’Administration a deux possibilités : soit elle démontre l’existence d’un avantage accordé par une entreprise établie en France à une entreprise associée établie à l’étranger (la première pouvant alors combattre la présomption de transfert de bénéfices par la démonstration d’une contrepartie au moins équivalente à l’avantage consenti) soit, si elle n’y parvient pas, elle doit établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu pour démontrer l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise établie en France (CE, 7 nov. 2005, n° 266436 et 266438, Cap Gemini et pour une confirmation récente, CE, 16 mars 2016, n° 372372, Sté Amycel France).

Lorsque l’Administration choisit d’aller sur le terrain de l’existence d’un avantage accordé par une entreprise française, la jurisprudence lui impose de recourir à des comparables, sauf lorsqu’elle est en mesure de démontrer que la nature d’une opération suffit, en elle-même, à présumer l’existence d’un transfert de bénéfices (on parlera alors « d’avantage par nature »). Se rattachent à cette catégorie notamment la renonciation à percevoir des intérêts sur des avances ou des prêts consentis à une société étrangère liée (CE, 9 nov. 2015, n° 370974, Sodirep Textiles SA NV), la renonciation à percevoir une redevance en contrepartie de la mise à disposition gratuite de la société mère étrangère d’un nom de domaine (CE, 7 déc. 2016, n° 369814, Sté Ebay France) ou le fait, pour une filiale française, de supporter des charges refacturées par sa société mère au titre d’une quote-part dans une prestation d’audit interne des sociétés du groupe (CE, 13 déc. 2017, n° 387975, Sté Office Dépôt Participations France et n° 387969, Sté Office Dépôt Business Solutions).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a refusé de présumer l’existence d’un avantage. La démonstration de l’insuffisance d’une marge bénéficiaire ne pouvait donc résulter que d’une comparaison avec d’autres entreprises, mais le ministre avait choisi de ne pas contester la censure opérée par la Cour administrative d’appel sur ce point. La décision ministre c/ Philips, faute d’avoir eu à la trancher, laisse donc intacte l’épineuse question de la déductibilité des subventions publiques. En pareil cas, pour que l’Administration puisse effectuer une comparaison pertinente, il faudrait selon nous qu’elle soit en mesure de savoir si les entreprises retenues dans le panel de comparables bénéficient de subventions et si, le cas échéant, elles les ont déduites pour déterminer leur marge. Or, une telle démarche implique, en amont, de qualifier les sommes correspondantes de subventions d’investissement ou de subventions d’exploitation, dont le traitement comptable est différent, et requiert une analyse au cas par cas. Faute de disposer de ces éléments, la démonstration d’un avantage paraît vouée à l’échec.

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