Ne cherchons plus, les responsables de la récession mondiale de 2009 sont désormais connus. Contrairement à ce que le bon sens semblait indiqué, il ne s’agit pas d’un effet brutal de la translation du centre économique mondial vers l’Asie, ni de l’éclatement tout aussi brutal d’une bulle immobilière et des actifs en général provoqué par des politiques monétaires d’une largesse sans précédent, ni même d’un changement de paradigme économique issu des effets disruptifs de la révolution technologique que nous vivons depuis le début du XXIe siècle. Il s’agit en fait tout simplement d’un complot des banques contre l’économie mondiale.
C’est à cette conclusion originale que sont parvenus les Etats européens et américains qui ont donc décidé de punir les responsables avec leur principale arme : l’impôt. Taxons donc les banques, sans oublier les compagnies d’assurances, pour réduire les déficits publics. Ainsi, dans de nombreux Etats européens, de nouveaux impôts frappant les institutions financières sont créés, ou les impôts existants sont augmentés. Les gouvernements hésitent d’autant moins qu’il s’agit là d’une des rares augmentations d’impôts qui aura la faveur de leurs opinions publiques.
Dans ce contexte pour le moins hostile, les institutions financières européennes, trop accaparées à gérer les attaques issues de leur région d’origine, ont sous-estimé les bouleversements venant de l’autre côté de l’Atlantique.
Or, en 2009, UBS est accusée de complicité de la fraude fiscale avec certains de ses clients américains. Devant une commission parlementaire, la banque a reconnu gérer en Suisse 19.000 comptes non déclarés pour des clients américains pour un solde de 17 milliards de dollars. La banque a accepté de verser 914 millions de dollars aux Etats-Unis et de communiquer l’identité de ses clients américains concernés pour clore cette affaire et éviter de se voir retirer sa licence bancaire aux Etats-Unis.
A la suite de ce scandale et pour lutter contre la fraude fiscale, le gouvernement américain a fait voter une législation dénommée FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) applicable à partir du 31 décembre 2012. Le but affiché est de collecter environ 8 milliards de dollars supplémentaires en 10 ans.
La pertinence de l’objectif passe au second plan si on considère le caractère disproportionné de la mesure: elle oblige de fait les institutions financières étrangères à considérer l’ensemble de leurs clients nouveaux et existants comme des fraudeurs, devant être soumis à l’impôt américain, sauf à apporter la preuve contraire. La présomption d’innocence est une fois de plus en fiscalité remplacée par une présomption de culpabilité.
Or, cette preuve contraire sera particulièrement difficile à apporter en raison du champ territorial étendu de l’impôt sur le revenu américain. En effet, dans la plupart des pays, seuls les résidents fiscaux sont soumis à l’impôt sur l’ensemble de leurs revenus. Ainsi, un français vivant à l’étranger avec sa famille n’est en général pas soumis à l’impôt sur le revenu français, sauf éventuellement sur ses seuls revenus de source française. Au contraire, aux Etats-Unis, en plus des résidents fiscaux américains, les nationaux américains y compris ceux ayant une double nationalité, les détenteurs d’un passeport américain ou d’une carte verte, les personnes nées aux Etats-Unis et n’ayant pas renoncé à leur nationalité sont également soumis à l’impôt sur le revenu américain, qu’ils soient ou non résidents fiscaux américains et qu’ils vivent ou non aux Etats-Unis.
Les sanctions étant dissuasives (30% de retenue à la source sur l’ensemble des revenus de source américaine ainsi que sur le produit des cessions des institutions financières étrangères ou de leurs clients), celles-ci vont être obligées de se conformer à cette nouvelle législation. La seule alternative (irréaliste ?) pour une institution financière étant de supprimer toute présence et tout investissement aux Etats-Unis. A cet égard, les nouvelles obligations devront forcément être respectées par l’ensemble des sociétés du groupe : il ne sera pas possible de limiter le respect de ces obligations aux seules filiales présentes ou investissant aux Etats-Unis.
Concrètement, chaque institution financière devra se soumettre à trois obligations : il s’agira tout d’abord de négocier un accord avec l’administration fiscale américaine par lequel elle s’engagera à respecter ces nouvelles obligations ; par la suite, les institutions financières devront produire une déclaration fiscale annuelle pour chaque client identifié comme étant dans le champ de l’impôt américain ; enfin, pour tous les autres clients, elle devra collecter et être en mesure de produire la preuve qu’ils ne sont pas dans le champ de l’impôt américain.
Ces obligations, qui risquent d’ailleurs d’être non compatibles avec certaines législations nationales sur la protection des données, nécessiteront de modifier les systèmes informatiques des institutions financières. Selon nos informations, certaines banques estiment que cette nouvelle législation générera un surcoût de plus de 100 millions de dollars par institution financière.
La mesure est contraire aux principes du droit international et répond à une logique protectionniste visant à renchérir les coûts d’opérations sur le marché américain des institutions étrangères. Il est néanmoins désormais trop tard pour la combattre, même si certains ajustements pourraient être obtenus via les mesures d’application. L’enjeu est dès lors de s’y conformer le plus efficacement possible afin d’éviter qu’au coût significatif de mise en conformité ne s’ajoute plus des tard des coûts de pénalités bien plus importants tant en termes financiers que d’image d’entreprise. Les Romains antiques avaient une devise qui expliquait que le droit s’arrête où le pouvoir commence. L’administration américaine connaît ses classiques et les institutions financières européennes n’ont plus d’autre choix que de jouer le plus harmonieusement possible la partition qui leur est imposée. Le chantier est donc immense et il est indispensable pour les institutions financières de s’atteler dès maintenant à la tâche pour être prêtes au 31 décembre 2012.