La France s’apprête comme la plupart des pays européens à réformer en profondeur les règles de déduction des charges financières des entreprises.
Alors que le vote définitif du projet de loi doit intervenir jeudi 20 décembre, nous vous proposons une série de trois chroniques pour comprendre et anticiper les principaux enjeux de la réforme. Nous vous présenterons ainsi notre grille de lecture du nouveau dispositif pour illustrer ensuite certains enjeux pratiques des nouvelles règles et pistes de remédiation.
Anticiper les difficultés/opportunités liées à l’application de la clause de sauvegarde
Comme nous l’avons évoqué dans notre première chronique, la clause de sauvegarde prévue dans le cadre de la réforme permet à une entreprise de déduire 75 % des charges financières nettes non admises en déduction en application du test principal (30 % de l’EBITDA fiscal ou 3 m€).
L’application de cette clause de sauvegarde présente d’importantes difficultés de mise en œuvre qu’il convient d’anticiper et notamment :
Incertitude liée au périmètre de consolidation
La clause de sauvegarde prévue par le nouveau dispositif s’applique à une entreprise ou un groupe fiscal lorsque le ratio entre ses fonds propres et l’ensemble de ses actifs est égal ou supérieur à ce même ratio déterminé au niveau du groupe consolidé auquel elle/il appartient. Le texte précise uniquement que « les fonds propres » et « l’ensemble des actifs » doivent être « évalués selon la même méthode que celle utilisée dans les comptes consolidés ». Il existe donc une grande incertitude sur la notion de « fonds propres » et d’« actifs » d’une entreprise française ou d’un groupe fiscal auquel elle appartient :
- Selon une logique de sous palier de consolidation, la société française faîtière consoliderait à son niveau l’ensemble des fonds propres et des actifs de ses filiales françaises et étrangères. Dans ce cas, les groupes français devraient pouvoir systématiquement bénéficier de la clause de sauvegarde puisque cette société constituerait également la tête du groupe consolidé ;
- Selon une pure logique contributive pays, telle que celle retenue en Allemagne et envisagée en Norvège, les fonds propres et l’ensemble des actifs de l’entreprise/du groupe fiscal seraient limités au seul bilan contributif des entités concernées à l’exclusion des contributifs étrangers. Dans ce cas, les groupes français seraient au contraire grandement pénalisés car ils ne devraient alors pas pouvoir tenir compte de leurs participations étrangères ou des actifs détenus au travers de leurs filiales étrangères ;
- Selon une voie intermédiaire, les fonds propres et l’ensemble des actifs de l’entreprise comprendraient le bilan contributif des entreprises françaises sans élimination des titres des sociétés hors du périmètre du groupe fiscal français.
Compte tenu de l’importance du sujet, une clarification législative serait la bienvenue pour plus de sécurité juridique.
Incertitude d’application pour les groupes étrangers ne publiant pas en IFRS
Comme évoqué dans la chronique précédente, la possibilité d’utiliser des comptes consolidés établis en US GAAP devra également être confirmée.
Application dans le cas des groupes fiscaux horizontaux
La rédaction de la loi devrait interdire en l’état l’application de la clause de sauvegarde aux groupes fiscaux horizontaux. En effet, la notion de consolidation comptable par intégration globale repose sur la notion de contrôle exclusif entre les sociétés du périmètre de consolidation. Or, dans le cas d’un groupe fiscal horizontal, la société mère n’est pas française, excluant de ce fait un contrôle exclusif entre les sociétés françaises du périmètre de consolidation. Là encore, une clarification législative serait la bienvenue pour éviter que le dispositif ne soit remis en cause sous l’angle des principes de l’Union européenne.
Paramétrage des systèmes comptables
La mise en œuvre de cette clause de sauvegarde va nécessiter la préparation de comptes consolidés au niveau du périmètre France, ce qui impliquera un nouveau paramétrage des systèmes comptables. Par ailleurs, des clarifications pratiques sont attendues dans la mise en œuvre de cette clause de sauvegarde : obligation de préparer des comptes consolidés par application de la méthode d’intégration globale, ou encore son application dans le temps (obligation de reconstitution des fonds propres du groupe fiscal français via la neutralisation de l’ensemble des opérations historiques internes au périmètre de consolidation).
Application dans le cas des groupes déficitaires
En l’état, le texte ne prévoit pas que la clause de sauvegarde est d’application obligatoire lorsque les conditions sont remplies. Dès lors se pose la question de l’opportunité de l’application de cette clause de sauvegarde pour les sociétés/groupes fiscaux déficitaires. En effet, la déduction complémentaire (de 75 % des charges financières nettes non initialement admises en déduction du résultat fiscal) va entraîner une augmentation du déficit de l’exercice. Compte tenu des règles d’imputation des déficits (limitée à 1 m€ et 50 % du résultat fiscal au-delà d’1 m€), un arbitrage pourrait permettre une déduction sans plafond des charges financières excédentaires plutôt qu’une déduction plafonnée des déficits reportables.
Bien évidemment, il conviendra de regarder les projections futures de l’entreprise/groupe fiscal, car les intérêts reportés ne sont imputables que dans la limite du ratio de 30 % de l’EBITDA fiscal futur et les charges financières nettes de l’exercice futur.
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