Sous-capitalisation et succursales de banques étrangères
Le Conseil d’Etat vient de consacrer, dans trois décisions très attendues (Banca di Roma, Caixa Geral de Depositos, Bayerische Hypo und Vereinsbank AG), la liberté dont dispose le siège social d’une banque étrangère de financer par l’octroi d’un prêt, de préférence à un apport de fonds propres, sa succursale française. Il confirme que l’Administration n’est pas fondée à rejeter la déduction des intérêts résultant de l’insuffisance alléguée de fonds propres de celle-ci. Est toutefois réservée l’hypothèse où le siège serait établi dans un Etat ayant avec la France une convention de type OCDE, conclue postérieurement à l’inclusion des nouveaux commentaires de cette organisation relatifs aux bénéfices des établissements stables.
L’Administration a procédé à une série de redressements concernant des succursales françaises de banques étrangères (italienne, allemande et portugaise), estimant qu’eu égard à la nature et à l’importance de leur activité, ces succursales n’avaient pas été dotées par leur siège d’un capital suffisant pour leur permettre d’exercer leur activité dans des conditions concurrentielles normales. Considérant que cette insuffisance de dotation avait rendu nécessaire l’emprunt auquel les succursales ont recouru auprès de leur siège étranger, l’Administration a réintégré les intérêts afférents à l’insuffisance théorique des fonds propres, en se fondant d’abord sur les dispositions de l’article 57 du CGI, avant de leur substituer celles de l’article 209 du CGI et de l’article relatif aux bénéfices des établissements stables de la convention fiscale applicable.
Les juges du fond saisis avaient considéré que l’Administration n’était pas autorisée à apprécier le caractère normal du choix opéré par le siège de financer l’activité de sa succursale par l’octroi d’un prêt plutôt que par un apport de fonds propres (notamment CAA Paris, 16 décembre 2010, n° 08PA05096, Banca di Roma, CAA Versailles, 8 mars 2011, n° 09VE02376, Banca di Roma, CAA Paris, 22 mars 2012, n° 10PA01140, Société Caixa Geral de Depositos).
Le Conseil d’Etat vient de valider leur analyse. Il consacre d’abord au regard du droit interne le principe de liberté du choix des moyens de financement des succursales par leur siège étranger (CGI, art. 209 I, 1ère partie). Si l’Administration peut remettre en cause la déduction des résultats imposables en France de prêts octroyés à la succursale pour des motifs liés à la non-conformité de leur objet, à l’activité de la succursale ou au caractère excessif de la rémunération prévue, en revanche, elle ne peut remettre en cause la liberté de gestion du siège de financer sa succursale par apport de fonds propres ou l’octroi d’un prêt. Il transpose ainsi la jurisprudence Andritz (CE, 30 décembre 2003, n° 233894) aux succursales de sociétés étrangères.
Sur le terrain conventionnel, il précise que l’article relatif aux établissements stables ne permet pas de substituer au montant des prélèvements et apports réalisés entre les différentes entités de l’entreprise, les fonds propres dont la succursale aurait dû être dotée en vertu de la réglementation applicable, si elle avait joui de la personnalité morale.
En effet, cet article a pour effet seulement :
- de restreindre le droit d’imposer de la France aux bénéfices attribuables à l’établissement stable ;
- de permettre à l’Etat de la succursale d’attribuer à celle-ci les bénéfices qu’elle aurait réalisés si, au lieu de traiter avec le reste de l’entreprise, elle avait traité avec des entreprises distinctes aux conditions et au prix du marché ordinaire) ;
- de déterminer l’assiette imposable en permettant la déduction des charges exposées en France et à l’étranger.
Toutefois, les conventions en cause (Italie, Allemagne, Portugal) ont été conclues conformément à l’ancienne rédaction de l’article 7 du modèle OCDE. Reprenant sa jurisprudence traditionnelle, le Conseil d’Etat refuse de les interpréter à la lumière des commentaires ultérieurs de cette organisation. Or, en 2008, des commentaires révisés ont été publiés, regardés comme applicables à la rédaction antérieure de l’article 7, juste avant que des commentaires nouveaux sensiblement identiques à ceux de 2008, n’accompagnent la nouvelle rédaction de juillet 2010. Cette nouvelle rédaction tend à donner toute sa portée à la personnalité fiscale des entreprises et notamment « l’attribution de capital sur la base des actifs et des risques attribués à l’établissement stable ». Aussi le Conseil d’Etat réserve-t-il l’hypothèse où les stipulations de la convention en cause auraient été adoptées postérieurement aux commentaires ainsi révisés.
- Conseil d’Etat, arrêts du 11 avril 2014, n° 346687, Banca di Roma, n° 344990, Vereinsbank, n° 359640, Caixa Geral
Obligation de déduire les provisions comptabilisées
Le Conseil d’Etat a définitivement tranché la question. Dès lors qu’une provision est comptabilisée et que l’ensemble des conditions fiscales sont remplies, l’entreprise n’a pas le choix, elle doit la déduire. La conséquence désastreuse de cette position de principe est que, pour l’avenir, la reprise de cette provision sera taxable alors que la déduction de sa dotation ne pourra pas toujours être récupérée. Si une action préventive est possible sur l’exercice clos au 31 décembre 2013, en revanche, aucune pratique comptable, notamment la reprise systématique en début d’exercice des dotations de l’exercice précédent, ne saurait immuniser l’entreprise pour l’avenir, en cas d’erreur délibérée avérée.
On sait que le bénéfice imposable d’une entreprise peut se déterminer par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de l’exercice (CGI art 38-2).
Corrélativement à sa déduction fiscale obligatoire au titre de son exercice de constitution, le juge considère que la reprise de la provision, lors d’un exercice ultérieur, entraîne une augmentation de l’actif net du bilan de clôture de l’exercice correspondant.
En pratique, pour la détermination du résultat imposable de l’exercice au cours duquel la provision est reprise, le juge reconnait à l’Administration le droit de minorer la valeur de l’actif net d’ouverture de cet exercice du montant de la provision qui n’a pas été déduite en son temps. La variation d’actif net ainsi mise en évidence entre l’ouverture et la clôture de l’exercice constitue un bénéfice imposable. Bien évidemment, cette possibilité de rectification, qui permet à l’Administration de taxer effectivement la reprise de la provision, n’est possible que pour autant que celle-ci ne soit pas opérée au titre du premier exercice non prescrit dont l’actif net d’ouverture a été rendu intangible par la loi (CGI, art. 38-4 bis).
Cela étant, s’il est ainsi posé un principe général de taxation de la reprise de provision, le mécanisme des corrections symétriques peut, sous réserve de la bonne foi de l’entreprise, permettre la récupération de la déduction fiscale de la provision non pratiquée en son temps.
Au cas particulier, le juge précise que si l’Administration est admise à minorer la valeur de l’actif net d’ouverture de l’exercice de reprise de la provision, elle doit également corriger à la baisse la valeur de l’actif net de clôture de l’exercice précédent. La correction des valeurs devrait ainsi être opérée jusqu’à l’exercice de dotation de la provision. Si ce dernier se situe en période prescrite, la correction symétrique se heurtera à l’actif net d’ouverture du premier exercice non prescrit et par suite mettra en évidence, pour cet exercice, une variation négative puisque l’actif net d’ouverture restera majoré de la provision fiscalement non déduite alors que celui de clôture aura été diminué par le jeu de la correction symétrique des bilans. Ainsi, l’entreprise pourra récupérer son droit à déduction de la provision.
Mais on observera que cette possibilité n’est opérante qu’à la condition que l’exercice de reprise de la provision soit postérieur à l’entrée en vigueur de l’article 38-4 bis du CGI, c’est-à-dire à partir de 2005, et qu’au surplus, le juge l’exclut formellement en cas d’erreur délibérée.
Compte tenu de l’incertitude antérieure quant à la règle de droit, on peut penser que pour tous les exercices clos avant la décision du juge, soit le 23 décembre 2013, la non-déduction fiscale de la provision, même si elle découlait d’une décision manifeste de l’entreprise, procédait d’une interprétation de la loi fiscale et non d’une erreur commise délibérément. Ainsi, la décision du juge permettrait pour le passé d’assurer une certaine équité.
Pour les exercices clos à compter de la décision qui a consacré la règle de droit, l’entreprise qui ne déduit pas une provision comptabilisée alors que celle-ci remplit l’ensemble des conditions fiscales, aura bien du mal à justifier qu’elle ne commet pas une erreur délibérée et, par suite, devrait difficilement pouvoir prétendre à la correction symétrique de ses bilans pour obtenir la déduction corrélative de la provision au moment de la taxation de sa reprise.
Dans ces conditions, les provisions non déduites et non encore reprises au titre d’un exercice antérieur devraient être reprises en comptabilité au titre du premier exercice clos après le 23 décembre 2013 et neutralisées pour la détermination du résultat imposable de cet exercice. Ainsi, la taxation éventuelle de cette reprise par le service vérificateur pourrait être compensée, par le jeu des corrections symétriques, par une déduction au titre du premier exercice non prescrit.
Cette application spontanée de la règle tracée par le juge de l’impôt permettra à l’entreprise de régulariser sa situation en purgeant toutes les provisions dont la non déduction ne peut pas, du fait de son antériorité, être regardée comme procédant d’une erreur délibérée.
Bien évidemment, si elles conservent leur objet, ces provisions devront faire l’objet d’une nouvelle dotation comptable qui, si elle remplit les conditions requises pour être fiscalement déduite, devra être prise en compte pour la détermination du résultat imposable de cet exercice.
Enfin, dans les cas où, compte tenu des éléments de faits, l’entreprise ne déduit pas une provision comptabilisée, la documentation susceptible de pouvoir justifier du bien-fondé de cette décision devra être impérativement constituée dès l’exercice de dotation de la provision et conservée jusqu’au moment de sa reprise comptable afin d’éviter la taxation de cette dernière.
En revanche, dès lors que la jurisprudence considère qu’une erreur délibérée constitue une décision de gestion opposable au contribuable, la technique comptable de la reprise des provisions dès l’ouverture de l’exercice suivant celui de leur dotation n’immunisera pas l’entreprise des conséquences d’une taxation de la reprise en cas de défaut de justification de la discordance fiscalo-comptable. En effet, si le caractère délibéré de l’erreur s’oppose au bénéfice des corrections symétriques, il s’oppose également à la rectification du résultat de l’exercice de dotation dans le cadre du délai spécial de réclamation.