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Application de l’article 155 A du CGI et existence d’un ES en France

La CAA de Douai confirme que la circonstance que la personne qui a facturé la prestation a en France un établissement stable ne fait pas obstacle à ce que l’Administration choisisse, de manière alternative, d’imposer la personne qui a, pour l’essentiel, rendu le service en application de l’article 155 A du CGI.

Pour mémoire, l’article 155 A, I du CGI vise à dissuader les contribuables susceptibles d’être soumis à l’impôt en France (prestataires réels) de s’y soustraire en faisant percevoir leur rémunération pour services rendus par des personnes établies à l’étranger (personnes interposées). Ainsi, les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :

L’histoire

Une société immatriculée en Tunisie, a conclu, en 2007, une convention de collaboration commerciale avec une SAS française. Le gérant de la société tunisienne détenait la totalité du capital de la société tunisienne et 20% du capital de la société française. Les prestations facturées par l’EURL tunisienne en vertu de ce contrat ont été intégralement effectuées par son gérant, résident fiscal français.

A la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2008 et 2009, l’administration fiscale a considéré que l’EURL tunisienne disposait en France d’un établissement stable, et l’a assujettie à des cotisations supplémentaires d’IS ainsi qu’à des rappels de TVA.

Parallèlement, l’Administration a soumis le gérant à des cotisations supplémentaires d’IR, dans la catégorie des RCM, assorties d’une majoration de 40 %.

A l’issue d’un long contentieux, l’affaire est revenue devant la CAA de Douai. Ne demeuraient en litige que les cotisations supplémentaires d’IR.

La décision de la CAA de Douai

Application à l’EURL tunisienne de la théorie de l’assimilation

La CAA de Douai écarte la qualification de RCM retenue par l’Administration au titre des suppléments d’IR mis à la charge du gérant français.

Pour ce faire, elle recourt implicitement à la théorie dite de l’  « assimilation », en vertu de laquelle le juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une société de droit étranger, doit identifier au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et des règles qui en régissent la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable, afin de déterminer le régime applicable à l’opération par la loi fiscale française (principe posé par le Conseil d’État dans une décision du 24 novembre 2014, n°363556, Sté Artémis).

Au cas d’espèce, la CAA relève que l’EURL tunisienne est une société unipersonnelle, avec pour seul associé une personne physique. En droit français, une telle structure relève du régime des sociétés de personnes prévu par l’article 8 du CGI, dont les résultats sont imposés à l’IR dans la catégorie correspondant à l’activité de l’entreprise.

Sur la (non) applicabilité de l’article 155 A

Devant la CAA de Douai, l’Administration a invoqué une substitution de base légale, en lui demandant de fonder l’imposition sur les dispositions de l’article 155 A du CGI.

Elle fait valoir, à cet égard, que les prestations facturées par la société tunisienne ont été intégralement effectuées par son gérant français – et que l’activité de ce dernier relève, dans ce cadre de la catégorie des traitements et salaires.

Reprenant à l’identique le considérant de principe dégagé par le Conseil d’État en 2017 (CE, 12 mai 2017, n°398300), la CAA de Douai rappelle que « la circonstance que la personne qui a facturé la prestation a en France un établissement stable […] ne fait pas obstacle à ce que l’Administration choisisse, de manière alternative, d’imposer la personne qui a, pour l’essentiel, rendu le service » en application de l’article 155 A du CGI.

Autrement dit, l’Administration peut :

En l’espèce, l’administration fiscale ayant déjà imposé à l’IS l’ES français de l’EURL tunisienne au titre des sommes facturées à la société française, elle ne peut les imposer une seconde fois entre les mains du gérant de l’EURL sur le fondement de l’article 155 A du CGI.

Cette solution est en ligne avec la doctrine administrative selon laquelle, sauf en cas d’abus, il y a lieu de considérer que ne sont pas visées par l’article 155 A du CGI les activités rattachées à un établissement stable que possèderait en France la société étrangère, dès lors que les revenus correspondant y sont imposables (BOI-IR-DOMIC-30 n°130, 12 septembre 2012)

La Cour refuse donc la substitution de base légale et tranche en faveur du gérant de l’EURL.