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Le conseil d’administration : nouveau censeur de la politique fiscale des entreprises ?

Le conseil d’administration : nouveau censeur de la politique fiscale des entreprises ?

Cet article est un extrait de la revue « Choiseul Revue » reproduit sur ce blog avec accord de l’éditeur. Pour consulter la version originale de l’article, consultez la Revue Choiseul dans son intégralité.

Avant la fin de l’année 2017, les plus grandes entreprises installées au Royaume-Uni seront dans l’obligation de publier leur politique fiscale dans un document en ligne. Le dispositif britannique est inédit et s’inscrit dans une tendance de fond en faveur de la transparence fiscale régulée que d’autres pays suivront inéluctablement, en France et en Europe. La question n’est pas de savoir si cette tendance est bonne ou mauvaise mais de s’assurer que les conseils d’administration s’adaptent aux nouvelles attentes des États et de l’opinion publique et qu’ils soient en mesure d’apprécier les décisions à prendre en matière de politique fiscale et de pouvoir les défendre.

Depuis quelques années, on assiste à un vrai changement de paradigme en matière de fiscalité pour les plus grands groupes à la fois sur le fond, car de nouvelles règles se dessinent, mais aussi sur la forme, à travers de nouvelles obligations de communication. L’enjeu dépasse l’application de dispositifs réglementaires, pour devenir un véritable risque d’image et de réputation pour les entreprises qui n’anticipent pas une prise de position claire, responsable et respectueuse des règles en la matière.

La mise en place de nouvelles règles fait émerger une transparence fiscale régulée qui provient de la volonté des États et des administrations fiscales de mieux comprendre l’activité mondiale des groupes afin de déterminer la « juste part » de leur profit qui doit être allouée dans chaque pays où ils sont présents. On cherche désormais à réajuster la localisation des profits des entreprises et celle des activités économiques et à faire en sorte que la fiscalité des entreprises reflète la réalité économique.

L’illustration emblématique de cette évolution est la mise en œuvre en droit français du projet BEPS (Base Erosion Profit Shifting), projet commun de l’OCDE et du G20, et sa transposition en droit français depuis octobre 2016 qui conduit désormais les grands groupes réalisant un chiffre d’affaires mondial consolidé supérieur ou égal à 750 millions d’euros à déclarer la répartition pays par pays de leurs bénéfices en vue de faciliter le contrôle des prix de transfert par les administrations fiscales. Cette déclaration qui prend la forme d’une cartographie fiscale de l’entreprise s’accompagne par ailleurs de la transmission de nombreuses autres informations économiques et fiscales.

L’ensemble de ces nouvelles informations à communiquer suscite également l’intérêt de l’opinion publique qui évalue de plus en plus la réputation des entreprises de dimension internationale à l’aune de la moralité de leur politique fiscale.

Jusqu’à présent, le plus souvent, la question de la fiscalité n’était que ponctuellement et a posteriori examinée par les conseils d’administration par exemple lors d’opérations financières d’envergure ou afin d’examiner les conséquences d’une réforme fiscale. Désormais, les conseils d’administration font face à de nouvelles obligations et doivent prendre en compte la communication liée à leur politique fiscale.

Face à l’impact conséquent d’une transparence fiscale régulée et devant le risque d’image démultiplié, le conseil d’administration sera amené à examiner sous un nouvel angle la politique fiscale. Bien au-delà d’une simple validation, cette nouvelle responsabilité lui impose d’être suffisamment informé des questions fiscales pour fixer une ligne car il portera une nouvelle responsabilité, pouvant même conduire à une responsabilité civile en cas de faute de gestion dans l’exercice de cette mission particulière si des décisions (ou des carences) devaient relever d’une telle qualification. Il doit donc veiller directement à ce que le système de contrôle interne et externe du respect des obligations fonctionne de façon optimale et à ce que les responsabilités au sein du groupe soient bien définies. Les impacts pour l’entreprise, au-delà du coût fiscal lui-même, peuvent devenir d’une telle importance, en matière d’image ou de réputation, que le conseil d’administration ne peut plus se contenter d’en être informé, a posteriori, en cas de contrôle.

Au-delà des experts fiscaux, les nouvelles attentes des États et de l’opinion publique constituent un défi particulier pour les conseils d’administration.

Au regard des enjeux, les administrateurs pourront être reconnus responsables, même s’ils n’ont pas été formellement impliqués, tant devant l’opinion publique que devant les actionnaires, et ils doivent être en mesure d’établir et de communiquer sur des principes clairs liés à la politique fiscale, la méconnaissance d’un administrateur de ces enjeux n’étant en principe jamais exonératoire, au contraire. En conséquence, ils ne peuvent plus déléguer aux directions fiscales la mise en œuvre de la stratégie fiscale de l’entreprise aussi largement qu’avant, ou tout du moins une telle délégation ne saurait être exonératoire de responsabilité.

Ainsi, si l’émergence de la transparence fiscale a un impact futur fort sur les rôles et modalités de fonctionnement des conseils d’administration, elle touche aussi très directement les directions fiscales qui endossent un rôle stratégique d’appui au conseil d’administration. Elles vont être entendues par ce dernier en amont de chaque décision stratégique : implantation dans un pays, limitation des risques d’investissement et possible impact sur la réputation de l’entreprise.

Plus largement, les directions fiscales sont appelées à documenter les décisions qui doivent être soumises à l’arbitrage du conseil d’administration. Ainsi, en sera-t-il de la pertinence d’un contentieux au regard des diverses voies de recours (administratif, constitutionnel, européen, droits de l’homme…) qui doit désormais être intégrée dans les décisions stratégiques de l’entreprise, en ce qui concerne la faisabilité, le coût et le gain potentiel.

Enfin, les conseils d’administration pourront s’ils l’estiment opportun, prendre la décision de publier proactivement la politique fiscale de l’entreprise. Il s’agirait alors de transformer les exigences accrues en matière de conformité légale en une opportunité pour communiquer sur l’ensemble des impôts payés par l’entreprise en vue de fournir un aperçu complet de sa contribution totale dans chaque pays pour asseoir sa réputation. La transparence régulée des stratégies fiscales est en train de devenir une norme que les conseils d’administration doivent appréhender et maîtriser. Pour autant, les États dans les régulations qu’ils préparent doivent eux aussi travailler pour aboutir, en pratique, à un contrôle efficace des impôts payés qui ne nuise ni à la compétitivité des entreprises ni à leur réputation.

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