Une ordonnance du 15 avril 2020 confirme que la « période juridiquement protégée » devrait bien, pour l’instant, prendre fin le 24 juin 2020. Son analyse nous donne l’occasion de revenir sur les valeurs que nous mettons en œuvre lorsque nous décryptons les textes pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Après une « frayeur » suscitée par une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 10 avril, une ordonnance du 15 avril nous a rassurés, même si elle semble incomplète.
Comme nous l’avons écrit dans notre article du 27 mars, l’état d’urgence sanitaire doit en principe, sous réserve d’une modification, prendre fin le 24 mai 2020 et, par suite, la « période juridiquement protégée » se terminer un mois plus tard, le 24 juin 2020. Notre analyse est partagée notamment par le Conseil national des barreaux et par l’administration fiscale elle-même dans ses projets de BOFiP.
Nous avons donc pris connaissance avec circonspection d’une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 10 février 2020, publiée sur son site internet le 15 avril, selon laquelle l’état d’urgence sanitaire prendrait fin, en l’état, le 23 mai 2020 (ordonnance du juge des référés du CE, 10 avril 2010, n° 439903, syndicat des avocats de France, points 9 et 11).
Pour parvenir à une telle conclusion, le juge des référés a fait une application littérale de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des délais et procédures devant les juridictions administratives, qui citait une « loi du 22 mars 2020 susvisée ».
En créant, sans doute sans le vouloir, une contradiction avec tout ce qu’avaient écrit les praticiens du droit jusqu’à présent sur la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, cette solution a eu le mérite de faire apparaître au grand jour la « coquille » que contenait l’ordonnance du 25 mars 2020. La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 concernée n’était en effet pas celle du 22 mais celle du 23 mars 2020.
Une ordonnance du 15 avril a voulu rectifier cette erreur matérielle (ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, publiée au JO le 16). L’objectif affiché est clair, mais les modifications apportées restent à notre sens incomplètes.
S’agissant de l’objectif, le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance du 15 avril précise sans ambiguïté « qu’à ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 ».
S’agissant en revanche des modifications apportées, elles n’ont pas gommé toutes les imperfections des ordonnances prises le 25 mars. En effet, l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril modifie l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 en remplaçant la référence erronée de la loi du « 22 » mars, par la loi du « 23 ». En revanche, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars, sur lequel s’est appuyé sur le juge des référés du Conseil d’Etat pour rendre sa décision, n’a pas été modifié, et continue à faire référence à la loi du 22 mars… Concrètement, cela concerne la période pendant laquelle l’organisation et le fonctionnement des juridictions administratives sont modifiés (notamment pour les modalités de déroulement des audiences et de notification des décisions).
Il faudra donc une nouvelle ordonnance pour parachever les rectifications à apporter.
Signalons toutefois, et c’est heureux, que les mesures liées à la prorogation des délais sont bien valables pendant une période juridiquement protégée entendue comme allant en principe jusqu’au 24 juin 2020 (ces mesures, prévues à l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305, renvoient expressément à l’ordonnance n° 2020-306, qui fait référence désormais uniformément à la loi du 23 mars et plus à celle du « 22 »).
Humilité, réactivité et bienveillance : le triptyque indispensable d’un praticien du droit résilient
En cette période singulière et délicate, où notre rapport au temps, à l’espace et à la vie de manière générale est percuté, et où les mesures pour faire face à la crise inédite que nous traversons se multiplient, les praticiens du droit doivent nous semble-t-il, plus que jamais, faire preuve d’humilité, de réactivité mais aussi de bienveillance.
Qu’il y ait des erreurs dans les ordonnances prises pour faire face au covid-19, c’est inévitable. Que le juge administratif, compte tenu du nombre de dossiers dont il est saisi et de l’urgence dans laquelle il doit y répondre, puisse ne pas toutes les appréhender, cela se conçoit fort bien.
Nous souhaitons profiter de l’espace que nous ouvre ce blog pour saluer l’engagement et la célérité dont les autorités publiques font preuve. La rectification, dès le 15 avril 2020, de l’erreur de plume que contenait l’ordonnance du 25 mars en est une parfaite illustration.
Nous avons lu, comme beaucoup sans doute, les critiques qui pleuvent à la suite des ordonnances rendues par le Conseil d’Etat dans le cadre des référés liés à l’état d’urgence sanitaire et aux mesures prises pour lutter contre le fléau du covid-19. Nous avons aussi pris connaissance de la tribune du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, qui rappelle en substance fort justement que la justice doit savoir se montrer étanche aux pressions du moment (Jean-Denis Combrexelle : « Les juges administratifs du Conseil d’Etat se situent loin des polémiques », Le Monde, 12 avril 2020).
Bien sûr, en notre qualité d’« avocat aiguillon », nous conservons notre liberté de commenter de manière critique une décision juridictionnelle, même quand elle s’impose à tous. Toutefois, dans ces moments si particuliers où les auteurs des ordonnances travaillent sans relâche, nuit et jour, pour faire face dans l’urgence à une situation inédite, et où le Conseil d’Etat est sur une ligne de crête, notre priorité, qui entre pleinement dans notre ADN d’auxiliaire de justice, c’est de contribuer solidairement à cette lutte sans relâche contre un ennemi invisible, mais dont les dégâts sur l’économie sont déjà tangibles, en informant, en identifiant et en faisant remonter les interrogations, erreurs, attentes ou difficultés que nous identifions, sans aucun esprit polémique, pour que les autorités publiques puissent y répondre ou y remédier.
La date de la fin de l’état d’urgence sanitaire pourrait évoluer
Dans son allocution du 13 avril 2020, le Président de la République a annoncé que la fin du confinement devrait s’organiser à compter du 11 mai 2020.
Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 avril 2020 indique que la date de fin de l’état d’urgence sanitaire n’est « fixée qu’à titre provisoire » et « méritera d’être réexaminée dans le cadre des mesures législatives de préparation et d’accompagnement de la fin du confinement ». Il souligne que, selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, il conviendra d’adapter en conséquence la fin de la « période juridiquement protégée » pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais.
La date du 24 mai fait donc toujours référence, mais il convient donc de se tenir prêt pour le cas où elle serait avancée.