Dans le cadre de deux toutes récentes décisions (dont l’une a été publiée au Bulletin), la Cour de cassation apporte des précisions sur les éléments qu’une entité doit apporter sur la composition de son actionnariat, afin de bénéficier d’une exonération de la taxe annuelle de 3 % sur les immeubles. Elle y indique, à cet égard, que la production d’un simple acte sous seing privé ne constitue pas un élément de preuve satisfaisant.
Rappel
Pour mémoire, toutes les entités juridiques françaises ou étrangères qui possèdent, directement ou par entité interposée, un ou plusieurs immeubles (ou droits réels portant sur ces biens) en France sont redevables d’une taxe égale à 3 % de la valeur vénale des immeubles en cause (CGI, art. 990 D et suivants).
De nombreuses exceptions réduisent toutefois de façon sensible le champ d’application de la taxe.
Notamment, les entités juridiques qui ont leur siège en France, dans un autre État de l’UE, dans un État ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ou dans un État ayant conclu avec la France un traité leur permettant de bénéficier du même traitement que les entités qui ont leur siège en France, peuvent bénéficier d’une exonération totale de la taxe de 3 %, à condition de prendre l’engagement de communiquer un certain nombre de renseignements à l’Administration sur sa demande (CGI, art. 990 E, 3°-d).
Les renseignements visés par l’engagement sont les suivants :
- la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés en France ;
- l’identité et l’adresse de l’ensemble des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent plus de 1 % des actions, parts ou autres droits ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d’eux.
Dans ses commentaires au BOFiP (BOI-PAT-TPC-20-20-20161005, n°570), l’Administration dresse une liste, non exhaustive, des documents permettant d’attester de l’identité des actionnaires :
- les actes sociaux déposés auprès des juridictions ou services publics de l’État de résidence de l’entité (par exemple, extrait du registre du commerce, statuts, procès-verbaux d’AG, etc.) ;
- les déclarations déposées auprès des autorités fiscales de l’État de résidence de l’entité ;
- les documents authentifiés par un membre d’une profession réglementée constatant la répartition des titres et les mouvements de titres, ainsi que tout justificatif tenant aux mouvements financiers liés aux actes de cessions, d’acquisitions de titres, augmentations ou réductions de capital ;
- tout autre document officiel délivré par l’administration étrangère précisant l’identité, et l’adresse des actionnaires et le nombre de parts ou droits détenus.
L’histoire
Les deux affaires (distinctes), examinées par la Cour de cassation le même jour, concernaient des sociétés luxembourgeoises, propriétaires d’immeubles situés en France, qui revendiquaient le bénéfice de l’exonération en faveur des entités en mesure de justifier de la composition de leur actionnariat.
Dans les deux cas, l’Administration a estimé que les éléments justificatifs produits au titre de la composition de l’actionnariat étaient insuffisants et a donc remis en cause le bénéfice de l’exonération (exercices 2009 à 2012).
Décisions
La Cour de cassation vient confirmer la position de l’Administration dans les deux affaires.
1re espèce (Cass. Com., 12 octobre 2022, n°20-14.073, publiée au Bulletin)
Les deux personnes morales actionnaires fondatrices de la société luxembourgeoise avaient cédé leurs parts à des particuliers, sous réserve que ces derniers apurent les dettes des cédants.
La Cour de cassation rejette l’ensemble des éléments produits par la société luxembourgeoise pour justifier de la composition de son actionnariat ainsi modifié :
- L’extrait du registre des actions nominatives de la société faisant état de l’enregistrement du transfert des actions, certifié par un notaire : document jugé comme étant « univoque », en ce que l’information qui y figure émane uniquement de la société et de ses administrateurs ; la Cour considère, en outre, que la certification par le notaire n’attestait que de la conformité du document à son original.
- L’attestation établie par un autre notaire : regardée par la Cour comme ne reposant sur aucune autre recherche ou vérification que le registre des actions.
Elle considère que les actes de cessions produits ne sont que des actes sous seing privé, ne pouvant corroborer la réalité économique de la cession des parts sociales en cause.
La Cour de cassation souligne, de surcroît, que la société luxembourgeoise n’apportait aucun élément de nature à prouver que les nouveaux actionnaires auraient effectivement acquitté les dettes des actionnaires historiques.
Elle en conclut que, si en principe, la preuve peut être apportée par tout moyen, au cas d’espèce, en l’état des éléments transmis et en l’absence de justificatifs relatifs à des actes sociaux déposés auprès de services publics de son État, des déclarations déposées auprès des autorités fiscales, des documents authentifiés par un membre d’une profession règlementée, ainsi que des justificatifs tenant aux flux financiers relatifs aux mouvements de ses actions, la société luxembourgeoise ne produisait aucun élément convaincant de la détention des actions composant son capital.
On observera que la Cour de cassation reprend ici, à titre d’exemples, les éléments listés par l’Administration dans son BOFiP précité.
Soulignons encore que, par le passé, la Cour de cassation a pu valider, à titre de justificatif tenant aux flux financiers, la prise en compte d’une attestation de la Banque du Luxembourg relative à l’identification du bénéficiaire économique d’une société de droit luxembourgeois détenant un bien immobilier en France (Cass.Com., 18 octobre 2016, n°15-14.528).
Enfin, on notera que la Cour de cassation écarte – de manière particulièrement sévère – comme étant inopérant l’argument selon lequel le Luxembourg n’exige pas qu’une société publie spontanément au registre de commerce les actes relatifs aux cessions d’actions, ni même qu’une société ne puisse pas procéder à une telle publication.
2e espèce (Cass. Com., 12 octobre 2022, n°20-14.565)
Dans la seconde affaire, la Cour de cassation écarte également les justificatifs produits par l’entité luxembourgeoise :
-
- Les registres des actionnaires – regardés comme étant unilatéraux ;
- Les PV d’AGE en ce qu’ils ne visaient que les reports déficitaires de la société luxembourgeoise ;
- L’attestation certifiant l’identité des associés, établie par une société tierce.