Site icon Deloitte Société d'Avocats

Plateformes de mise en relation par voie électronique : la pression augmente, notamment en matière de TVA

Plateformes de mise en relation par voie électronique

La loi relative à la lutte contre la fraude, définitivement votée par le Parlement le 10 octobre dernier, a été publiée au Journal officiel du 24 octobre, sans avoir fait l’objet d’une saisine préalable du Conseil constitutionnel. Ses mesures recouvrent pour l’essentiel 3 thématiques que sont le renforcement des moyens de contrôle et des sanctions à disposition de l’Administration, le renforcement du contrôle des opérations à l’étranger et l’articulation des procédures pénales et fiscales. En outre, la loi couvre un volet de lutte contre la fraude sociale, qui ne sera pas développé ici. Nos experts vous livrent leurs commentaires sur six de ces mesures nouvelles.

Depuis le 1er juillet 2016 (1), les plateformes et places de marchés en ligne françaises ou étrangères ont un devoir d’information envers les utilisateurs qui, par leur biais, réalisent des ventes de biens, des prestations de services, ou qui échangent des biens et des services. Sont visés les utilisateurs français ou étrangers, assujettis à la TVA et qui effectuent des opérations dont le lieu de taxation est situé en France en vertu des articles 258 à 259 D du Code général des impôts (CGI).

L’article 242 bis du CGI oblige en effet les opérateurs de plateformes à délivrer une information loyale, claire et transparente sur les régimes et obligations tant fiscales que sociales incombant à leurs utilisateurs (vendeurs, prestataires, parties à l’échange), lors de chaque transaction. Ils sont également tenus de mettre à leur disposition un lien vers les sites des administrations fiscales et sociales pour qu’ils se conforment, le cas échéant, à ces obligations. Enfin, ils doivent leur adresser un état récapitulatif des transactions qui ont été réalisées durant une année, en janvier de l’année suivante.

La Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (JORF du 24 octobre 2018) est venue modifier et renforcer l’arsenal.

Tout d’abord, la loi reprend les informations qui doivent figurer dans l’état récapitulatif adressé aux utilisateurs (éléments d’identification de l’opérateur de la plateforme et de l’utilisateur, statut de particulier ou professionnel de l’utilisateur, nombre et montant des transactions, etc.), en y ajoutant les coordonnées du compte bancaire utilisé pour recevoir les fonds « si elles sont connues de l’opérateur ». Elle précise également que les informations sont adressées par voie électronique au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données. Le non-respect des obligations liées à cette obligation peut entraîner l’application d’une amende pouvant aller jusqu’à 50 000 €, en cas de contrôle (nouvel article 1731 ter du CGI).

Ensuite, l’article 242 bis ancien prévoyait que le respect de ces obligations devait être attesté par un certificat annuel délivré par un tiers indépendant (commissaire aux comptes). Cette obligation a été remplacée dans la nouvelle mouture par une communication obligatoire et annuelle à l’administration fiscale d’un document récapitulant les informations transmises aux utilisateurs. L’opérateur est cependant dispensé de cette obligation dans le cas de la vente de certains biens meubles corporels entre particuliers (cf. article 150 UA II. du CGI : meubles meublants, appareils ménagers, véhicules automobiles – sauf s’ils qualifient d’objets d’art, d’antiquité ou de collection, ainsi que les meubles en général autres que les métaux précieux). La dispense vise également les services sans objet lucratif avec partage des frais avec les bénéficiaires. Ces dérogations ne seront applicables que si le montant total annuel des ventes ou services par utilisateur ou le nombre de transactions annuel ne dépasse pas un certain plafond qui devra être fixé par décret.

Il convient de noter que dans l’exercice de son droit de communication, l’administration fiscale pourra également demander aux opérateurs de plateformes des informations de même nature que celles mentionnées ci-dessus.

Enfin, et c’est une mesure phare de la Loi, cette dernière crée un nouveau cas de solidarité de paiement de la TVA à compter du 1er janvier 2020, visant les plateformes qui totalisent plus de 5 millions de connexions par mois.

En effet, selon les nouvelles dispositions codifiées aux articles 283 bis et 293 A ter du CGI, lorsqu’il existe des présomptions qu’un utilisateur se soustrait à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la TVA, l’administration fiscale peut signaler cette personne à l’opérateur de la plateforme, afin que celui-ci prenne les mesures permettant à la personne défaillante de régulariser sa situation. L’opérateur doit notifier à l’administration fiscale les mesures prises pour remédier à ce manquement. Passé un délai d’un mois (à compter de la notification ou, à défaut, du signalement), si les présomptions persistent, l’administration fiscale peut mettre en demeure l’opérateur de la plateforme de prendre des mesures supplémentaires ou d’exclure l’utilisateur. A nouveau, l’opérateur doit notifier les mesures prises. Si cette mise en demeure n’est pas suivie des faits dans le délai d’un mois, la TVA est solidairement due par l’opérateur de la plateforme.

Il convient de noter qu’une précédente mouture prévoyait la possibilité pour les opérateurs de plateformes de déclarer, collecter et acquitter la TVA pour le compte de l’utilisateur, lorsque le client de l’utilisateur est établi ou réside en France. Cette mesure n’a finalement pas été retenue.

La lutte contre la fraude à la TVA est une préoccupation majeure des Etats membres. Le commerce électronique est particulièrement ciblé, dans la mesure où il facilite grandement la vente ou l’échange de biens et services entre personnes qui peuvent agir en qualité d’assujetti – sans forcément en avoir pleinement conscience. La solidarité s’inscrit dans le cadre de cette lutte et a déjà séduit certains pays. Cependant, même si la solidarité incite à la vigilance et au renforcement des mécanismes de contrôle, sa mise en œuvre n’est pas forcément aisée et son efficacité peut être relative. En témoigne la Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 qui, dans son préambule, déclare que la solidarité n’a pas permis d’assurer une perception effective et efficace de la TVA. Or, pour pallier à cette insuffisance, la Directive prévoit une mesure qui va plus loin que la solidarité, en « opacifiant » les plateformes pour les rendre redevables de la TVA en lieu et place des vendeurs dans certains cas. En effet, elle prévoit que pour les ventes à distance de biens importés d’une valeur intrinsèque ne dépassant pas 150 € ou pour les livraisons de biens effectuées dans la Communauté par un assujetti d’un pays tiers au profit d’un particulier, les plateformes ou places de marchés en ligne ayant facilité ces ventes seront réputées avoir reçu et livré les biens, à compter du 1er janvier 2021. Il est à ce titre précisé dans notre Loi relative à la lutte contre la fraude que la mesure de solidarité ne s’appliquera pas dans le cas de ces ventes spécifiques.

Au final, et dans tous les cas, ce sont les plateformes qui sont de plus en plus recherchées pour le paiement de la TVA. Qu’elles soient solidaires de leurs usagers ou redevables de la TVA en première ligne, elles sont au centre des débats – et pas seulement au niveau des Etats membres. La pression augmente donc à leur égard.  


(1) Loi de Finances pour 2016 – décret d’application 2017-126 du 2 février 2017 (JORF du n°0029 du 3 février 2017)

Sur le même sujet

Exit mobile version