La deuxième loi de finances rectificative pour 20121, codifiée à l’article 235 ter ZCA du CGI, a introduit une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés égale à 3 % du montant brut des dividendes distribués par des entités françaises ou étrangères passibles de l’impôt sur les sociétés en France.
Le champ d’application matériel de cette contribution couvre l’ensemble des revenus réputés distribués au sens de la législation fiscale (article 109 à 117 du CGI), et non pas uniquement les dividendes au sens strict. Les bénéfices réalisés en France par des sociétés étrangères via un établissement stable sont donc en principe visés, dès lors qu’ils « cessent d’être à la disposition de l’exploitation française ». De surcroît, la contribution s’applique indépendamment de l’origine des profits distribués et de leur régime fiscal entre les mains de la société distributrice. Les dividendes distribués par une société mère à partir de profits provenant de dividendes perçus de sous-filiales d’un même groupe sont également visés, provoquant ainsi une imposition en cascade très défavorable pour les groupes de sociétés. Le champ d’application personnel de la contribution est également très large puisqu’il recouvre l’ensemble des sociétés ou organismes français ou étrangers relevant de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés (SA, SAS, SCA, SARL, SNC, etc.).
Formellement, le redevable légal de cette contribution (ledit « contribuable ») est la société distributrice. La qualité du bénéficiaire de la distribution est donc indifférente. Qu’il s’agisse d’un résident ou d’un non-résident, d’une personne physique ou d’une personne morale, d’une fondation ou d’un organisme public, la contribution s’applique sans distinction. Les droits et protections dont le bénéficiaire effectif du dividende serait éventuellement titulaire en application d’une convention fiscale ou d’une directive communautaire ne sont donc pas opposables à cette contribution.
En substance, toutefois, cette contribution présente des caractéristiques qui ressemblent plus à celles d’une retenue à la source sur les dividendes qu’à celles d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés. Pour commencer, la définition légale du contribuable, qui s’apparente à celle de l’impôt sur les sociétés, paraît quelque peu artificielle au vue de l’incidence réelle de cette contribution. La contribution prélevée l’année (n) provoque en effet une minoration du bénéfice distribuable l’année (n+1) qui aura nécessairement, à l’instar d’une retenue à la source, un effet différé sur la rémunération des actionnaires. Par ailleurs, l’assiette de cette contribution est bien étrangère à celle de l’impôt sur les sociétés définie à l’article 209 I du CGI. Assise sur les dividendes mis en paiement (ou profits réputés distribués) par une société indépendamment de l’origine des sommes distribuées, cette contribution pèse ainsi sur les dividendes prélevés sur des bénéfices provenant de filiales étrangères ou entreprises exploitées hors de France alors même que ces bénéfices ne rentrent pas dans le champ d’application territorial de l’impôt sur les sociétés. De surcroît, le fait générateur de cet impôt n’a pas grand-chose en commun avec celui de l’impôt sur les sociétés. Pour ce dernier, il s’agit de la clôture d’un exercice (critère temporel) au cours duquel un bénéfice a été réalisé (critère matériel). Alors que la contribution de 3% est dû à raison de la « mise en paiement » du dividende, indépendamment de la réalisation d’un bénéfice imposable au cours de l’exercice écoulé. Enfin, dans l’esprit du législateur, il ne fait aucun doute que l’introduction de cette contribution a eu pour objet principal de compenser la perte de recettes liée à la suppression de la retenue à la source sur les sommes distribuées à des OPCVM étrangers en application de l’article 119 bis 2 du CGI2, suite à la décision préjudicielle rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’affaire Santander3. En somme, excepté le fait que cette contribution s’applique de façon indifférente aux distributions versées à des résidents et à des non-résidents4, les éléments constitutifs de cet impôt (son squelette en quelque sorte) ressemblent étrangement à ceux d’une retenue à la source sur les dividendes. Le caractère artificiel de l’adjectif «additionnelle» accolé à cette contribution semble d’ailleurs être confirmé par l’imperméabilité complète du régime juridique de cet impôt vis-à-vis de l’impôt sur les sociétés : non seulement la contribution additionnelle n’est pas déductible du résultat imposable à l’impôt sur les sociétés, mais l’ensemble des crédits d’impôts dont une société est titulaire à raison de ce dernier impôt ne peuvent venir réduire son obligation fiscale au titre du premier. Cette contribution n’est donc «additionnelle» qu’en apparence. En substance, le législateur a veillé à ce qu’elle conserve un caractère « juridiquement distinct »5 par rapport à l’impôt sur les sociétés.
Au vu de ces éléments, il ne passe pas un jour sans que la légitimité et, dans son prolongement, la légalité de cette contribution soit remise en cause. Le législateur nous aurait-il trompé sur la marchandise ?
Sans entrer dans cette polémique, une mise au point sur la régularité de cette contribution dite «additionnelle» vis-à-vis des engagements internationaux de la France semble nécessaire. Il est vrai qu’en dehors du vote démocratique, rien dans la constitution de 1958 ne permet au juge de l’impôt de sanctionner un législateur qui, de mauvaise foi, outrepasserait ses droits par l’intermédiaire d’un montage juridique sophistiqué (i.e. une violation non pas du texte, mais de l’esprit du droit en vigueur). Pour autant, avec l’intégration croissante de la France dans la mondialisation, il est permis de douter de la liberté du législateur français de s’affranchir abusivement des contraintes du droit lorsque celles-ci puisent leur source dans une norme supérieure à la loi votée par le Parlement : le droit international. Surtout qu’en l’espèce, la substance juridique de cette contribution additionnelle ne vient pas seulement violer l’esprit des conventions fiscales signées par la France (1.), mais semble rentrer en conflit direct avec le droit communautaire (2.).
1. La compatibilité discutable avec le droit conventionnel
D’un point de vue juridique, cette contribution ne rentre pas en contrariété avec les conventions fiscales signées par la France dès lors que l’analyse se limite à la forme de cet impôt et, plus particulièrement, à son redevable légal. Dès lors que ce dernier est bien une société distributrice qui a sa résidence fiscale en France, l’opération d’imposition qui découle de cette contribution n’est pas régie par le droit conventionnel : il s’agit d’un résident fiscal français soumis à un impôt français (i.e. situation purement domestique). Dans l’hypothèse toutefois où la société distributrice passible de la contribution n’aurait pas sa résidence fiscale en France, il y a bien un élément d’extranéité qui est régie par le droit conventionnel : une société étrangère est soumise à un impôt dans l’Etat de la source à raison des revenus réalisés par son établissement stable dans cet Etat. Seulement les conventions fiscales signées par la France, dans la mesure où elles sont conformes à l’article 7 du modèle OCDE sur les « bénéfices d’entreprise », ne limitent pas l’exercice du pouvoir d’imposition de l’Etat de la source sur les revenus qui sont attribués à un établissement stable dans cet Etat. Autrement dit, la France est libre d’imposer les revenus réalisés par un établissement stable français par l’intermédiaire d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés aussi longtemps que c’est bien l’établissement stable français qui reste seul redevable légal de l’impôt.
En revanche, dès lors que l’analyse est approfondie pour prendre en compte la substance de cet impôt (cf. introduction), la question de la conformité de ce dernier avec les conventions fiscales signées par la France devient discutable – en particulier l’article 10 du modèle OCDE qui interdit généralement à l’Etat de la source d’exercer son droit d’imposition sur les dividendes intra-groupe versés à des non-résidents. L’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, sous l’intitulé « Pacta sunt servanda », dispose en effet que « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Or, de l’avis d’une partie non négligeable de la doctrine fiscale internationale6, l’obligation qui est faite ainsi à l’Etat d’appliquer de bonne foi les traités lui interdit de modifier de façon abusive les catégories juridiques de son droit interne pour corriger artificiellement (et à son avantage) la répartition des droits d’imposition qui découle des conventions fiscales existantes. L’idée sous-jacente est que « le principe de bonne foi pose une limite au renvoi au droit interne autorisé par l’article 3§2 du modèle OCDE pour les besoins de l’interprétation et de l’application d’une convention fiscale, dans la mesure où il interdit à un Etat contractant d’altérer ou de contourner ses obligations en application d’une convention par le truchement d’une modification de son droit interne aboutissant à modifier le sens ou la portée de termes ou notions qui ne sont pas définies dans la convention »7. C’est la logique de la fraude à la loi qui s’applique en France aux particuliers (i.e. une application du texte de la loi en contrariété avec les intentions de son auteur), transposée cette fois-ci aux Etats vis-à-vis du droit international (ledit « treaty dodging »).
Dans le paysage fiscal mondial, certains juges nationaux n’ont d’ailleurs pas hésité à annuler des opérations d’imposition au motif que le législateur national avait abusivement étendu l’exercice de son pouvoir d’imposition en contrariété avec les règles distributives posées par une convention fiscale. Ce fut le cas de la Cour Suprême des Pays-Bas qui, dans plusieurs décisions rendue le 5 Septembre 2003, a affirmé solennellement qu’un Etat contractant ne pouvait modifier sciemment son droit interne en vue de modifier a posteriori la répartition des droits d’imposition négociée et acceptée au moment de la conclusion d’une convention fiscale avec un autre Etat, sous peine de violer le principe de bonne foi posé par l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités8. Une des affaires en cause concernait une nouvelle loi néerlandaise permettant d’imposer les salaires notionnels (i.e. une fiction juridique) réputés versés par une SARL située aux Pays-Bas à un dirigeant résident Belge. Selon cette loi, tout dirigeant de SARL qui ne percevait pas de rémunération à raison des fonctions exercées dans cette société était réputé titulaire d’un point de vue fiscal d’un salaire notionnel déterminé par référence aux salaires de dirigeants de sociétés comparables. Or, la convention fiscale entre la Belgique et les Pays-Bas, ratifiée bien avant ladite modification du droit interne néerlandais, si elle permettait à l’Etat de la source d’imposer les revenus correspondant à des « salaires et rémunérations similaires » (article 15) ou à des « jetons de présence » (article 16), elle interdisait à cet Etat d’exercer tout pouvoir d’imposition sur les « autres revenus » (article 22). Sur le terrain de la mauvaise foi, la Cour suprême a ignoré la qualification interne choisie par le législateur néerlandais qui aurait abouti à classer ce salaire notionnel dans la catégorie des « salaires et rémunérations similaires », pour conclure à la classification de ce revenu dans la catégorie conventionnelle des « autres revenus » pour lesquels les Pays-Bas avaient renoncés à tout droit d’imposition.
Au cas présent, il serait difficile de ne pas voir dans l’introduction de la contribution additionnelle une manœuvre abusive visant à modifier la portée des conventions fiscales signées par la France dans lesquelles celle-ci consent généralement à limiter significativement sa faculté d’imposer les dividendes de source française versés à des non-résidents (lesdits « dividendes sortants »). Pour autant, à supposer cette mauvaise foi du législateur caractérisée, il ne faudrait pas conclure trop vite à la possibilité pour le juge de l’impôt français d’accorder des dégrèvements d’impôts sur ce fondement. Il est vrai que la France, bien qu’elle n’ait pas ratifié la Convention de Vienne, respecte les stipulations de celle-ci qui se limitent, à l’instar de l’article 26 visé ci-dessus, à codifier la coutume internationale ou des principes généraux du droit international. Pour autant, l’exercice par le juge de l’impôt d’un contrôle de la bonne foi du législateur reviendrait à modifier substantiellement la répartition des compétences (et donc la séparation des pouvoirs) assurées par la Constitution française de 1958. En application de l’article 64 de la Constitution, il faut rappeler que le juge de l’impôt n’est qu’une «autorité» chargé d’appliquer les lois votées par le législateur, et non pas un «pouvoir» chargé de contrôler la bonne foi du législateur dans l’exercice des compétences qui lui sont dévolues par l’article 34 de cette même Constitution. Autrement dit, il n’est peut-être pas souhaitable pour l’équilibre des pouvoirs que le juge de l’impôt s’octroie unilatéralement une telle compétence de contrôle sur le législateur sans une modification préalable (et réfléchie) de la répartition des compétences au sein de la Constitution. Il n’est d’ailleurs pas non plus probable qu’une institution comme le Conseil d’Etat, respectueuse et garante d’une certaine orthodoxie juridique, s’aventure à développer une jurisprudence sur la base d’un concept de « treaty dodging » qui manque encore d’une assise solide et suffisante en droit fiscal français.
2. La contrariété manifeste avec le droit communautaire
Deux fondements distincts semblent susceptibles en droit communautaire de remettre en cause la validité de cette contribution additionnelle devant le juge de l’impôt : la liberté d’établissement d’une part (2.1.), et la directive mère-fille n° 90/435/CEE de l’autre (ci-après la « directive ») (2.2.).
2.1. La contrariété avec la liberté d’établissement
Deux conséquences majeures imputables à cette contribution sont susceptibles d’être à l’origine d’une contrariété avec la liberté d’établissement reconnue à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après «TFUE») : la discrimination entre deux sociétés françaises à raison de la résidence fiscale de leur société mère (2.1.1.) et la potentielle discrimination entre un établissement stable français et une filiale française d’une société étrangère (2.1.2.).
2.1.1. La discrimination entre deux sociétés françaises à raison de la résidence fiscale de leur société mère
La contribution de 3% s’applique à tous les dividendes versés entre sociétés mères et filiales, à l’exception de ceux versés entre sociétés faisant partie d’un même groupe fiscalement intégré au sens de l’article 223A du CGI. Dès lors, si une société française détenue à 95% a la faculté d’échapper à l’application de cet impôt pour les distributions effectuées au profit de sa société mère française, cette faculté n’existe plus pour les distributions effectuées au profit de sa société mère établie dans un autre Etat membre de l’Union Européenne. Dans le premier cas, la société mère française peut exercer une option en faveur du régime de l’intégration fiscale et ainsi faire bénéficier sa filiale française d’une exonération de la contribution de 3%. Dans le second cas, la société mère étrangère ne peut exercer d’option en faveur du régime de l’intégration fiscale et n’a pas la faculté de faire bénéficier sa filiale française d’une exonération de la contribution de 3%. En somme, le bénéfice de l’exonération de cet impôt est réservé aux seules situations purement interne.
En application d’une jurisprudence constante de la CJUE[[Voir notamment CJCE, 14 décembre 2006, C-170/05, Denkavit Internationaal BV.]], une telle différence de traitement entre deux sociétés françaises à raison de la résidence de leur société mère est constitutive d’une « restriction » à la liberté d’établissement interdite par le TFUE.
Toutefois, en raison du renvoi direct opéré par le texte de l’article 235 ter ZCA, I-1° du CGI à l’article 223A du CGI, il est possible de considérer que la « restriction » imputable à la contribution de 3% n’est que le prolongement de la « restriction » introduite par le régime français de l’intégration fiscale. Ce dernier est en effet à l’origine d’une différence de traitement entre une société mère française ou étrangère passible de l’impôt sur les sociétés français et une société mère étrangère dépourvue d’établissement stable en France : alors que la première catégorie de sociétés peut former un périmètre d’intégration avec leurs filiales françaises, la seconde catégorie de sociétés est privée de cette faculté. Toutefois, la CJUE a précisé dans son arrêt X Holding du 25 février 20109 qu’une « restriction » à la liberté d’établissement imputable à un régime national de consolidation fiscale peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir le besoin de « préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les Etats membres ». Dans ces conditions, il ne peut être exclu que le juge de l’impôt français considère que la discrimination introduite par cette contribution entre deux sociétés françaises à raison de la résidence fiscale de leur société mère est justifiée par le besoin de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les Etats membres et, par voie de conséquence, compatible avec la liberté d’établissement.
2.1.2. La discrimination entre un établissement stable français et une filiale française d’une société étrangère
La contribution de 3% s’applique à l’ensemble des revenus distribués au sens de la législation fiscale, notamment les bénéfices réalisés par une société étrangère via un établissement stable français qui sont « réputés distribués en application du 1 de l’article 115 quinquies ». Le 1 de l’article 115 quinquies du CGI, qui a pour objet d’introduire une présomption de distribution des bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères (i.e. ladite « Branch tax »), n’est toutefois pas applicable aux sociétés étrangères visées au 3 du même article, c’est-à-dire les sociétés qui ont leur « siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne ». Autrement dit, le renvoi direct opéré par le texte de l’article 235 ter ZCA, I dernier alinéa du CGI à l’article 115 quinquies I du même code sans autre précision conduit logiquement à exclure du champ d’application de cette contribution les établissements stables de sociétés étrangères établies à l’intérieur de l’Union Européenne.
Cette interprétation littérale du texte de l’article 235 ter ZCA combiné à l’article 115 quinquies I et III du même code, outre qu’elle épouse parfaitement les règles d’interprétation retenues par le Conseil d’Etat10, a été confirmée à l’occasion d’une conférence tenue le 16 octobre 2012 par Mathias de Sainte Lorette (chef du Bureau B2 de la Direction de la Législation fiscale)11. Dans ces conditions, il ne fait guère de doute que la mise en œuvre concrète de la contribution de 3% se traduira par une différence de traitement entre un établissement stable français d’une société étrangère établie dans l’Union Européenne, lequel pourra échapper à la contribution, et une filiale française d’une société étrangère établie dans l’Union Européenne, laquelle sera toujours soumise à cette contribution. En application d’une jurisprudence constante de la CJUE12 et du juge de l’impôt français13, une telle discrimination dans l’Etat d’accueil entre les différentes formes d’exercice de la liberté d’établissement (i.e. filiale ou succursale) est constitutive d’une « restriction » contraire au droit communautaire. Le risque que le juge de l’impôt français en arrive à la conclusion que cette contribution est incompatible avec le droit communautaire est donc très élevé.
2.2. La contrariété avec la directive
La contribution additionnelle est susceptible de rentrer en contrariété avec deux obligations distinctes découlant de la directive : l’exonération de retenue à la source assurée par l’article 5 de la directive, ainsi que l’obligation d’éliminer la double imposition économique prévue par l’article 4 de la directive.
2.2.1. L’interdiction de toute retenue à la source
L’article 5 de la directive interdit toute retenue à la source sur les dividendes versés dans l’Etat de résidence de la société distributrice. Au vu de la jurisprudence de la CJUE, trois conditions doivent être réunies pour qu’un prélèvement tombe sous la qualification de retenue à la source au sens de la directive. Celle-ci vise « {toute imposition sur les revenus perçus dans l’Etat dans lequel les dividendes sont distribués et dont le fait générateur est le versement de dividendes ou de tout autre rendement des titres, lorsque l’assiette de cet impôt est le rendement desdits titres et que l’assujetti est le détenteur des mêmes titres} »14. Parmi ces trois critères, seul le dernier n’est pas rempli par la contribution additionnelle de 3% : le redevable légal n’est pas l’actionnaire ou l’associé qui détient les titres dans la société distributrice. Or, cette condition relative à l’identité du contribuable a été confirmée récemment par la CJUE dans une affaire Burda15, au sujet d’un impôt allemand dont les taux variaient selon que les profits étaient distribués ou réinvestis dans l’entreprise. Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence à cet égard n’est pas encore clairement fixée, puisque la CJUE a déjà écarté par le passé la pertinence de ce troisième critère au sujet d’un prélèvement grec conçu comme un supplément d’impôt dû par la société distributrice à raison des dividendes versés à sa société mère16. Dans les conclusions rendues sous cet arrêt, l’Avocat général soutenait qu’il serait inapproprié de toujours « conférer une importance déterminante au fait que la charge fiscale pèse sur la société filiale [comprendre la société distributrice]. L’effet économique d’une imposition de la société filiale correspond à une imposition de la société mère, étant donné que l’impôt – ce qui est le principe même des retenues à la source – est retenu par la société distribuant les bénéfices et directement versé aux services fiscaux »17. Pour toutes ces raisons, la compatibilité de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés avec l’article 5 de la Directive ne va pas de soi et, en l’état actuel de la jurisprudence, nul ne peut présager de la position du juge de l’impôt français et de la CJUE sur cette question.
2.2.2. L’élimination de la double imposition économique
L’imposition en cascade provoquée par cette contribution semble également difficilement conciliable avec cette directive, ou plus précisément avec son objectif majeur : l’élimination de la double imposition économique résultant de l’impôt sur les sociétés payé en amont par la société distributrice dans son Etat de résidence. Pour parvenir à cet objectif, l’article 4 de la directive impose à l’Etat membre de résidence de la société mère de choisir parmi l’une de ces deux alternatives : soit l’exonération des dividendes reçus (avec la possibilité de réintégrer une quote-part de frais et charge de 5%), soit la mise à disposition d’un crédit d’impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés acquitté en amont par la filiale distributrice. Or la contribution de 3% s’applique à l’ensemble des revenus distribués au sens de la législation fiscale, y compris les distributions prélevées sur des bénéfices exonérés en application de la directive (i.e. produits de participation dans des filiales établies dans l’Union Européennes relevant du régime mère-fille en application de l’article 216 du CGI). Les obligations découlant de la directive étant inconditionnelles, il est possible de considérer que ce texte s’oppose à une législation nationale qui, à l’instar de la contribution de 3%, subordonne l’exonération des dividendes reçus de filiales étrangères à leur conservation par la société mère. C’est l’avis de Philippe Derouin, qui affirme que « la double imposition économique des dividendes prohibée par la directive concerne l’imposition des sociétés mères à raison des dividendes reçus de filiales, sans distinguer suivant que l’imposition de la société mère a pour fait générateur la réception des dividendes ou leur redistribution »18. Dans le même temps, il est important de préciser que l’application de l’article 4 de la directive à la contribution de 3% reste discutable, dans la mesure où cet impôt est « juridiquement distinct »19 de l’impôt sur les sociétés. En l’absence d’une jurisprudence claire de la CJUE sur la délimitation des impôts qui rentrent dans le champ d’application de la directive, la compatibilité de la contribution de 3% avec celle-ci est donc également discutable.