Cet article a initialement été publié dans Les Echos le 4 juin 2020. Il est reproduit sur notre blog avec l’accord de l’éditeur.
Les Etats veulent tirer les leçons de la crise due au coronavirus en relocalisant leurs industries. Attention, prévient l’avocat Gianmarco Monsellato, cela ne se fera pas sans frais. Les transferts d’activités seront taxables dans les pays de départ.
C’est entendu, l’après-crise sera l’ère des relocalisations. Les chaînes logistiques vont se raccourcir et se rapprocher des marchés de consommation. Beaucoup y voient une chance historique d’investissement accrus en Europe ou encore de réindustrialisation de la France et d’autres pays. Un premier obstacle a déjà été identifié : la disparition de certains savoir-faire qu’il va falloir recréer. Un autre obstacle, aux conséquences toutes aussi importantes, est quant à lui encore trop largement ignoré : la fiscalité.
Relocaliser signifie réduire, ou fermer, certaines capacités de production ou de gestion dans certains pays pour les transférer dans d’autres. Or, l’essor des protectionnismes fiscaux inauguré par la réforme fiscale américaine fait que les pays qui vont souffrir des relocalisations vont certainement utiliser l’arme fiscale pour freiner ou pénaliser ce mouvement. Il s’agit notamment de la Chine et de certains pays d’Asie du Sud-Est envers lesquels la crise a révélé la grande dépendance des industries américaines et européennes. Les nouvelles règles fiscales internationales issues des travaux BEPS (érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices) de l’OCDE, leur faciliteront la tâche en revêtant d’une légitimité juridique une action essentiellement politique.
Les trois plaies de l’industrie française
Les transferts d’activités entraînés par les relocalisations seront taxables dans les pays de départ, sur la base de l’espérance de revenus perdus et non sur la comptabilité locale. La taxation reposera sur une indemnité notionnelle au bénéfice du pays de départ. Cela, représente déjà un coût qu’il faut anticiper et surtout, intégrer dans le plan d’investissement d’une relocalisation. Ce coût n’est pourtant que la face émergée de l’iceberg ! En effet, du côté du pays de destination, c’est-à-dire, celui qui sera bénéficiaire de la relocalisation, la déductibilité fiscale de l’indemnité notionnelle de relocalisation est loin d’être acquise. Certains pays considéreront qu’ils n’ont pas à la prendre en compte, intervenant souvent entre sociétés d’un même groupe. A contrario, d’autres accepteront de la prendre en compte, mais la considéreront comme une acquisition d’un actif non amortissable fiscal, rendant de fait le paiement non déductible. Finalement, le coût fiscal de la relocalisation risque de s’avérer prohibitif, fragilisant la pérennité de l’initiative.
Anticiper avant de se lancer
Comme toujours en fiscalité, l’anticipation est essentielle. En amont du projet, les entreprises auront intérêt à entamer une discussion avec l’administration fiscale du pays de destination. En France, la relation de confiance s’y prête bien. L’opération de relocalisation devra faire l’objet d’une structuration contractuelle et fiscale précise pour anticiper correctement le coût fiscal de sortie et augmenter les chances de déductibilité de ce coût dans le pays de destination. Enfin, le coût fiscal définitif, devra être précisément estimé pour l’intégrer dans les calculs de retour sur investissement et en prévoir les impacts sur les stratégies de prix découlant d’une saine gestion de sa chaîne logistique.
Après le débat de la dernière décennie sur les liens entre fiscalité et délocalisation, nous voilà confrontés à une nouvelle itération ! L’anticipation des entreprises et une vision stratégique de la fiscalité de la part des Etats seront nécessaires afin que la vague des relocalisations ne se brise sur une digue fiscale.