Lorsqu’une société de personnes procède à la réévaluation de son actif avant d’être dissoute sans liquidation, l’application de la jurisprudence Quéméner est subordonnée à l’existence d’une double imposition effective entre les mains de la société qui procède à la dissolution (CAA Paris).
En application de la jurisprudence dite Quéméner (CE, 16 février 2000, n° 133296), la plus-value de cession de parts d’une société de personnes non soumise à l’IS fait l’objet d’un mécanisme de correction. Ainsi, le prix de revient fiscal des parts est fixé à partir de leur valeur d’acquisition, majorée du montant des bénéfices précédemment imposés entre les mains de l’associé et des pertes comblées par celui-ci, et minorée des bénéfices répartis et des pertes qu’il a déduites. Cette jurisprudence assure donc une neutralité fiscale aux associés de sociétés de personnes en tenant compte de leur translucidité fiscale. Est ainsi évitée la double imposition ou double déduction entre les mains desdits associés.
En 2015, le Conseil d’Etat a jugé que ce mécanisme était applicable non seulement en présence de cessions de titres comme de confusions de patrimoine (décision du 27 juillet 2015, n° 362025, SA MEA). Précisant plus récemment les conditions d’application de la jurisprudence Quéméner aux plus-values d’annulation de parts de sociétés de personnes lors d’une telle confusion de patrimoine, le Conseil d’Etat a jugé que la règle de correction du prix d’acquisition établie par la décision Quéméner, ne peut trouver à s’appliquer que pour éviter une double imposition juridique de la société qui réalise l’opération de dissolution (décision du 6 juillet 2016, n° 377904, Sté Lupa France). La CAA de Paris fait, en l’espèce, application de cette décision, dans une affaire quasi similaire.
La société Fra SCI détenait les titres de la SCI Foncière Costa, dont l’objet était de détenir et donner à bail un ensemble immobilier. Le 21 décembre 2009, la société Fra SCI a décidé de la dissolution sans liquidation de cette société avec une date d’effet anticipée, fixée au 1er décembre 2009, après que celle-ci ait procédé à une réévaluation libre de son actif. Cette dernière opération a fait naître un profit de réévaluation d’un montant de 13 992 563 €, portant la valeur de l’actif à 15 810 000 €. La plus-value ainsi générée au niveau de la SCI a néanmoins été compensée par la moins-value résultant de l’annulation des titres de cette dernière, du même montant, en application des principes posés par la décision Quéméner.
Comme dans l’affaire Lupa, l’administration fiscale avait dans un premier temps remis en cause l’opération sur le fondement de l’abus de droit avant d’y renoncer.
La CAA valide la position de l’Administration et refuse à la société Fra SCI le droit de fixer le montant de la plus ou moins-value qui résulte de l’annulation des titres de la SCI Foncière Costa en majorant la valeur initiale des titres de l’écart de réévaluation. La société Fra SCI n’était pas fondée à majorer le prix d’acquisition une nouvelle fois, dès lors que la réévaluation avait déjà été prise en compte dans ce prix d’acquisition. Elle précise que l’appréhension du profit de réévaluation par la société Fra SCI, conformément à l’article 8 du CGI, ne permet pas de constater une double imposition entre les mains de celle-ci.
La CAA précise, par ailleurs, qu’un contribuable qui n’entre pas dans les prévisions du rescrit Quéméner ne peut s’en prévaloir sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF (BOI-BIC-PVMV-40-30-20-20140428, RES n° 2007/54 (FE) du 11 décembre 2007). Il en va ainsi de la société Fra SCI, dès lors que ce rescrit ne prévoit pas expressément que le mécanisme de correction issu de la décision Quéméner peut être mis en oeuvre en l’absence de double imposition de l’associé de la SCI. Pourtant, ledit rescrit est très général et ne prévoit pas expressément la condition de double imposition.
On attendra avec intérêt la décision du Conseil d’Etat si un pourvoi était formé.
L’avis des praticiens : Sarvi Keyhani, avocat associée, et Soufiane Jemmar, avocat
Sachant que l’application des principes issus de la jurisprudence Quemener à une opération emportant la dissolution sans liquidation d’une SCI suite à la réévaluation libre de ses actifs immobiliers avait été expressément confirmée par le rescrit RES n° 2007/54 repris au BOFiP, l’approche retenue par la Cour s’agissant de l’opposabilité de ce rescrit est pour le moins critiquable sur le plan de la sécurité juridique des contribuables. Considérer que le rescrit ne contient aucune interprétation de la jurisprudence Quemener alors qu’il permet la déduction, sans condition, de la moins-value d’annulation des titres est contestable et pourrait justifier que le Conseil d’Etat soit saisi à nouveau. La protection juridique offerte par l’article L. 80A du LPF serait privée de toute portée si l’opposabilité de la doctrine administrative ne devait pas être appréciée, au vu de l’état du droit existant au moment de sa publication.